Ben-Hur : Et vogue le navire…


 « 41 » x 4, duel de regards, moment orgasmique…


Plus de soixante ans après sa sortie en salles, malgré de multiples (re)diffusions à la TV, Ben-Hur (William Wyler, 1959) n’endure aucune usure, conserve avec insolence la puissance de son prosélytisme spectaculaire. Ce mélodrame masculin, sorte de Monte-C(h)risto à moitié homo, merci au co-scénariste Gore Vidal, tout sauf Vandale, constitue un sommet de classicisme hollywoodien, quasi racinien, où l’auteur (très) estimable de L’Insoumise (1938), L’Héritière (1949), Vacances romaines (1953), L’Obsédé (1965) ou Funny Girl (1968) pourtant déploie son point de vue et sa maestria, fait à chaque plan, à chaque instant, du cinéma, au sein et au-delà de la célèbre « transparence » étasunienne. Leçon de cadrage, de découpage, d’assemblage, de caractérisation, d’accélération, de composition, musicale et picturale, la fameuse séquence de la marche (immobile) des galériens le démontre bien. Il s’agit certes d’une réussite massive, reflétant l’effort collectif des galley slaves presque dirigés à la baguette (de chef d’orchestre), alors l’on se doit de citer des participants importants : Hugh Hunt au décor, Miklós Rózsa au score, Robert L. Surtees, papa de Bruce, à la direction de la photographie, Margaret Booth, John D. Dunning, Ralph E. Winters au montage, et, last but not least, le tandem à distance de Charlton Heston & Jack Hawkins. Durant quatre minutes denses, intenses, Wyler parvient cependant à donner son propre tempo, à se passer des mots, à portraiturer un précipité de darwinisme, voire d’homoérotisme, en sus sado-masochiste, en moite et humide huis clos de studio.  


Le widescreen, transposition disons numérisée, visionnée, du 70 ou du 35 mm des copies disponibles sur grand écran, lui permet, en toute liberté, de varier les échelles de plan, de ne pas filmer que des enterrements et des serpents, n’en déplaise à Fritz Lang. Débutée sur un visage, terminée sur un naufrage, la bataille navale entre Romains et Macédoniens inclut par conséquent un esclave sémite et un consul transalpin, ensuite un père suicidaire et son fils adoptif, affranchi. Quintus Arrius verrait bien Judah Ben-Hur en gladiateur, en conducteur de char, jamais trop tard, mais le rameur n’en démord pas, il se vengera, évidemment assisté de son Seigneur, amen et continue donc à ramer. L’exposition stratégique (et narrative) expédiée, un plan d’ensemble de maquettes interposé, nous (re)voici dans la soute, à survivre coûte que coûte. La cadence ne cesse de s’accélérer, les types de vitesses de se succéder, les mecs maltraités de suer, de s’épuiser, de subir le fouet, présentés en perspective et de côté. Si le train, oui ou non hitchcockien, procède par définition du cinéma méta, miroite la position de voyageur-voyeur du spectateur, la galère agit idem. Elle délivre davantage, elle abrite une dialectique organique, héroïque, épique, pragmatique, entre l’individu et le groupe, un test d’endurance conduit jusqu’au bout de la souffrance. Le « rest » ordonné renvoie vers le repos imposé autant que vers la paix supposée des enterrés. Emmurés à l’intérieur du ventre de leur baleine italienne, les athlètes en silhouette ainsi rajeunissent le Jonas de la Bible et présagent le Gepetto de Pinocchio.


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