Thanatos : L’Ultime passage : Nous irons tous au paradis
EMI mon amie, NDE fastidieux…
« La mort n’existe pas »,
on ne le savait pas, aux incrédules décédés on le dira, alors viva le cinéma
sympa, qui nous place à deux pas de l’au-delà, qui témoigne de tout cela, paraît-il
pour la première fois. Thanatos : L’Ultime passage (Pierre
Barnérias, 2019), appréciez au passage la délicatesse du titre, annonçant la
finesse du traitement, débute de façon fœtale, affirme in fine les foutaises du fatal, sur fond d’horizon breton, de
statues à l’unisson, d’une chanson d’un sosie vocal de Céline Dion, d’une
citation de Mère Teresa, oui-da. Le spectateur, en l’occurrence la spectatrice,
majorité sexuée de salle provinciale très clairsemée, malgré ce samedi soir,
allez savoir, peut par conséquent rentrer chez lui rassuré, rasséréné, il ne
mourra pas, au sein de la lumière suprême il s’élèvera, quitte, ensuite, à
redescendre fissa, encore au creux du corps, histoire d’accomplir sa
« mission », encouragé par ses proches posthumes, amen. André Bazin, on s’en souvient,
interdisait au ciné fictionnel de filmer le sexe et le cercueil, la
pornographie en rit, le JT s’en tape. Le documentariste cadre donc un cadavre à
la face floutée, ouf, porté presque en pietà par un thanatopracteur en sueur,
essoufflé, émotif, complice, compatissant. Doté d’un équivalent du steadicam, d’une polecam, de drones,
attirail technologique censé posséder la légèreté, la mobilité, l’ubiquité du
« corps astral », il se met en abyme, narcissisme post-moderne, Truman Capote s’en moque,
garde son sang-froid, hourra. Devant la caméra sereine, aérienne, pour ainsi
dire désincarnée, idoine au sujet, relisez-moi ou pas à ce propos, pourtant,
souvent, posée au sol, les « expérienceurs » ouvrent leur cœur, se
remémorent leur mort, assemblage scolaire de récits d’épiphanies, de relations
de révélations, hélas (?) sujettes à caution, biochimie du cortex, peste, de paroles d’apaisement, de transformation ou
rédemption express.
Revenu à la vie, le survivant la chérit,
ne craint plus demain, aussi consolé que John Merrick, alité maltraité, materné,
mélancolique, onirique (Elephant Man, David Lynch, 1980).
Dans le pareillement raté, pas pour les mêmes raisons, Enter the Void (Gaspar
Noé, 2010), un petit dealer trépassé
à Tokyo, au milieu des toilettes, chouette, finissait par ensemencer via son esprit sa sister jolie, coda fluo in
utero, éternel retour de/à l’amour, boucle bouclée incestueuse, cyclique,
réincarnée. Ici, rien de bien tibétain, ni de malsain, seulement du
prosélytisme-mysticisme jamais stylé, puisque digne d’un programme télévisé,
cependant projeté sur grand écran, bande de garnements. Nappé d’une mélasse
supposée musicale, aux limites du supportable, Thanatos : L’Ultime passage
écrase toute critique, toute remise en cause, sur son dispensable passage,
pratique l’empilage, comme si l’accumulation quasiment cosmopolite constituait autre
chose qu’un reflété acte de foi, formulé par des gens au demeurant attachants,
bienveillants, comme si l’altruisme représentait la réponse essentielle, plus
près du Ciel, comme si la souffrance, enfin, se dissolvait dans la délivrance,
la croyance. N’en déplaise à la thèse balèze, crever, dans la plupart des cas,
ne se passe pas dans la joie, loin de là, et la promesse d’un merveilleux destin
ne saurait corriger l’indifférence, l’arrogance, la méconnaissance de certains
médecins. Franchement, on se fout un chouïa de cette métaphysique-là, de cet
émollient cinéma, opposant paresseusement matérialisme et spiritualité,
aveuglement et lucidité, œcuménisme et individualité. On pourrait, pourquoi
pas, parier, sinon prier, à la Pascal, ne vous en privez pas ; on
préférera, toutefois, l’immanence à la transcendance, le précieux présent au
temps passé, au temps suivant, le rocher de Sisyphe au paradis hypothétique,
apparemment réservé aux Blancs, aux ressortissants d’Occident, la renaissance
céleste a priori annexée sur le
revenu des bienvenu(e)s.
En vérité je vous le (re)dis, la
cinéphilie procède en partie de la nécrophilie, les films familiarisent avec
les fantômes, la chair recèle en soi un univers. On crée en compagnie de
macchabées, flanqué de la Faucheuse, falote victorieuse. On traverse la vallée
salée, solaire, ensemble, en solitaire. L’existence s’avère un survival, un voyage qui s’envisage en
sauvetage, s’achève en naufrage, exige du courage, produit du partage. Raisons
supplémentaires pour se révolter, se réinventer, résister aux sirènes sucrées
des étoiles enterrées, pas vrai ?
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