Le Grand Restaurant : Soul Kitchen


Mets réchauffé ? Plat sympa…


Si Charlie Chaplin, à l’occasion du précurseur (courageux) Dictateur (1940), portraiturait un Adolf Hitler dédoublé, solitaire, destiné à perdre (la raison, un ballon), in extremis rédimé, au moins sous les traits de son imitateur (voire l’inverse) sémite, via un discours à l’humanisme lacrymal, Louis de Funès, dirigeant Le Grand Restaurant (Jacques Besnard, 1966), donne dans le bref, le modeste, le souvenir, le rire (vingt-et-un ans) après le pire. Ce projet personnel, pensé, repensé, retardé, concrétisé grâce à son statut de star, accessoirement co-écrit par les soins du principal intéressé, outre une satire (assez) savoureuse des mœurs d’un établissement gastronomique, en sus d’une méditation en action(s) sur la démission (présidentielle), constitue, en tout cas durant une scène (de recette) célèbre, une sorte d’avant-goût de La Grande Vadrouille (Gérard Oury, 1966), comédie révisionniste sortie dans la foulée, la même année, vouée au succès (indémodable) que l’on sait. Il s’agit, surtout, d’une démonstration des talents renversants de l’acteur, jadis acéré observateur des pénibles (et paupérisées) conditions (d’exploitation) de travail d’un pianiste épuisé, de bistrot ou de cabaret. Comme souvent, le comédien amouraché de Molière (rematez le raté, dommage, L’Avare, 1980, co-réalisé avec Jean Girault) s’y moque d’un (petit) puissant, d’un obséquieux tyran, plongé, à l’insu de son plein gré, au sein d’un vrai-faux ravissement (vacancier, politisé). Polyglotte, peu charitable, le bedonnant Bernard Blier en fait les frais, flic stoïque, Monsieur Septime, au nom impérial, au management carcéral, digne désormais d’une plainte pour harcèlement moral, se transforme à vue d’œil, en temps réel, en (sinistre) sosie à vous couper l’appétit, pris en contre-plongée, baigné d’une claire obscurité, d’une frange fameuse et d’une moustache odieuse, en ombres chinoises, fissa affublé.


À la table de l’Allemagne, de l’Italie, le passé refait surface, menaçant, amusant, comme un relent de l’insanité d’avant, d’une caricature impure (obsédée par la « race » supposée « pure ») du contrôle devenu fol. Fregoli fasciste aux fourneaux, de Funès possède une sidérante capacité de versatilité, car maître du maniement des tonalités, de leur enchaînement presque en simultané. Auparavant, un similaire mouvement animait une chorégraphie d’anthologie, pianiste bis, scène cette fois-ci collective, commencée de manière (policée, plan d’ensemble de proscenium) apollinienne puis terminée en « folie collective », en « bacchanale » en costard, en uniforme, c’est-à-dire, reprenons l’opposition nietzschéenne, en apothéose placée sous le signe (destructeur, libérateur) de Dionysos. Assistant d’André Hunebelle, Besnard signe son premier film et sait où disposer sa caméra, comment capturer au mieux la direction (des corps en chœur) de l’ensemble, assurée par Colette Brosset, bien montée (rythmée) par Gilbert Natot, collaborateur régulier de Georges Franju. Tandis que le court monologue du « secret professionnel », culinaire, se caractérise par son immobilité, sa dualité, sa stase mémorielle et sa mise à distance consensuelle, le ballet agité, à la vaisselle carrément cassée, bien brisée, s’observe aussi du dessus, remarquez la double plongée à la Busby Berkeley, se déguste ainsi en comédie musicale raccourcie, modèle d’unisson, de soumission (Michel Modo, garçon chouchou de son patron), d’expulsion (le pauvre et maladroit Paul Préboist s’en va, revient à la fin), de déraison en réunion. De Funès retrouve encore, par conséquent, Chaplin, la danse en point commun, organise et ensuite subit la puissance du piano staccato, crescendo, pseudo-russo, en écho anticipé à une seconde danse, déguisée, improvisée, remarquable, mémorable, « communautaire », œcuménique, celle, bien sûr, des Aventures de Rabbi Jacob (Gérard Oury, 1973).


Commentaires

  1. "Monter la garde et porter les armes,
    / Pour tout potage un dur rata,
    / Fuir payse et pays sans larmes,
    / De la ligne c'est le forçat.
    source : 1864. Almanach des misérables. Parodie en vers"

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  2. On dit : être ce que l'on mange ; Romero corrige : être en se mangeant :
    https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/07/lhomme-tranquille-remercier-george.html

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