Le Masque du démon : La Sorcellerie à travers les âges


Woman of steel, « sorcière » vénère, gang bang au bord de la transe…


En 1960, le cinéma change, à l’image du monde : en France (À bout de souffle, Jean-Luc Godard), aux États-Unis (Psychose, Alfred Hitchcock), au Royaume-Uni (Le Voyeur, Michael Powell), et surtout en Italie (L’avventura, Michelangelo Antonioni + La dolce vita, Federico Fellini), de nouvelles formes s’affirment, des sensibilités différenciées s’affichent, l’errance et la violence de l’existence prennent possession/prennent position dorénavant des/sur les écrans. Néanmoins, rien ne naît ex nihilo, en tout cas pas tout cela, et Belmondo semble un écho sartrien de Bogart, le motel de Norman Bates appartient au « gothique américain », l’extrémisme maladif de Mark Lewis, assassin sentimental, suicidaire, développe le perfectionnisme épuisant, déchirant, de la chère Moira Shearer, chaussée par les Archers (Les Chaussons rouges, Emeric Pressburger & Michael Powell, 1948), tandis que la disparition de Lea Massari ressuscite, dans la bergsonienne durée, au seuil de l’absurdité, le drame bourgeois du « ménage à trois », que le paparazzo de Marcello réinvente le « néo-réalisme » rossellinien (Rome, ville ouverte, 1945), lui-même, déjà, en réaction, aussitôt, in situ, aux fameux et fastidieux « téléphones blancs » du ciné mussolinien. Moins scandaleux, moins adoubé, que ses contemporains illustres, Le Masque du démon (Mario Bava, 1960) ne manque pourtant pas de lustre et perdure à sidérer, à stimuler. S’il se souvient à son tour de ses prédécesseurs, renvoyons vers « l’horreur » selon la Universal des années 30, ensuite sa récente mise à jour en couleurs/en rondeurs par la Hammer ; s’il rappelle le péplum, l’intéressé en signa, par exemple Hercule conte les vampires (1961), concurrent du moment, appréciez le bourreau à gros biscottos, il déploie, désormais (con)sacré, sa propre personnalité/radicalité, pendant un prologue pionnier, important, promis au bel avenir du pire.


En 1960, personne ne parlait de « féminicide », Dieu merci, et cependant le spectateur au passé, au présent, assiste à ceci, à une mise à mort sexuée, en maskulin komité, kouvert de kagoules d’obskurité, rakkord avek les klowns immakulés du KKK, Griffith ne s’en fiche. Le crime amoureux, donc sadien, s’assimile ici à la sorcellerie, le jugement des hommes, guère magnanimes, précède de peu la condamnation divine. Comme chez Hawthorne, docteur d’adultère, une lettre symbolique paraphe l’infamie. Souillée du sceau de Satan, la sœur du princier, impitoyable inquisiteur, qui expose à notre attention son délit, qui fraternellement la renie, lui répond par un monologue de malédiction, mauvais sort jeté aux limites de la mort, sur les descendants au fil des ans. Marquer nocturnement la coupable convient mais sa souffrance ne suffit point, il faut en sus la (dé)masquer, à l’instar de son inanimé amouraché. Raffinement de l’atroce – la face en ferraille comporte des pointes à l’intérieur des parois, pour faire des ravages sur l’invisible visage, rime métonymique à la célèbre « vierge de Nuremberg », autre sarcophage à carnage. Placé sous le signe du feu, du brasier d’insanité, du bûcher à volonté, le début du Masque du démon se situe en voix off au dix-septième siècle, période nous dit-on très troublée, de supposés vampires empestée. Toutefois y souffle en studio un air délétère, austère, de sacrifice au sein de la folie, en correspondance avec Le Vent (Victor Sjöström, 1928), où Lillian Gish affrontait autrefois, de manière muette, éloquente, les éléments déments et, accessoirement, murée dans sa demeure, un violeur amateur, sexualisation presque originelle du home invasion US. Adieu au désert ensablé, esseulé, voici une maligne cérémonie embrumée, arborée, de sang coulant in fine sur l’acier (steel, bis), après le coup de masse maousse donné, davantage létal que celui du gong de la Rank, OK.


En 1960, le « débutant » Mario Bava frappe un grand coup itou, il ne se contente pas de délivrer une leçon de cinéma, il parvient en trois minutes trente à nous émouvoir, à nous faire croire à chaque plan, à chaque instant, aux artifices de son supplice. La situation pourrait se prêter aux farces et attrapes, au gore incolore et indolore. Maître du climatique, de l’économique, du méta, cf. les épilogues (dé)mystificateurs de La fille qui en savait trop (1963), Les Trois Visages de la peur (idem), Lisa et le Diable (1974), maestro de la direction de la photo, il caro Mario ne rigole malgré Gogol, reste sérieux, magnifie le peu, n’oublie jamais l’enjeu. Mouvementée, au propre, au figuré, remarquez le travelling arrière liminaire, puis panoramique, puis avant, sur l’officiant et celle qui ne se repent, l’introduction du Masque du démon se scinde en deux, pardon du possible pléonasme, lorsque la coupe du montage accompagne la présentation du masque, perçu en subjectif point de vue, par conséquent à la place de la stoïque, érotique, hypnotique Barbara Steele, (re)lisez-moi au sujet de Un ange pour Satan (Camillo Mastrocinque 1966), justement, auparavant portraiturée à distance rapprochée, son dos dénudé, martyrisé. Les gros plans héroïques, sinon iconiques, de la superbe, double sens, hérétique, participent de cette sympathie, de cette empathie du cinéaste envers celle dont il retrace la disgrâce. Bien plus tard, Monica Bellucci subira en plan-séquence et temps réel une mémorable sodomie forcée, au creux du tunnel utérin de Irréversible (Gaspar Noé, 2002), et à nouveau on souffrira avec elle, sans une once d’excitation, rempli de colère et de compassion. Chacun tue ce qu’il aime, résumait Oscar Wilde, Les Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963) ou Pulsions (Brian De Palma, 1980) exposent ça, films profondément féminins, a fortiori puisqu’ils défigurent leurs égéries. En matière d’héritage, d’outrage, notons que Le Grand Inquisiteur (Michael Reeves, 1968) et La Nuit des masques (John Carpenter, 1978) retravailleront avec brio le matériau de La maschera del demonio.


En 1960, un jeu de lumière astucieux dote les pointes douloureuses, odieuses, d’une vie virtuelle, surréelle, et des éclairs derrière des nuages tout sauf sages précisent que Satan, chéri déchu, se trouve bel et bien au ciel, majuscule optionnelle. En 2020, sillage assez désastreux de six décennies de consommation, d’hédonisme, de crise(s), de terrorisme(s), de capitalisme, de socialisme, de SIDA, de multimédia, de retour du religieux et d’avènement de la « Toile » mondiale, Le Masque du démon continue, intemporalité de l’actualité, à nous mettre en garde contre nos comportements déviants, notre fanatisme infantile, notre ritualisation de l’extermination. Nonobstant, sa séduction se hisse au-dessus du moralisme, tresse ensemble, de façon supérieure, la beauté et la cruauté, le représenté et le dissimulé, oppose l’immobilité des meurtriers anonymes et l’aura mobile du soleil noir de sa dark star.

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