L’Adieu : Menteur, menteur
Leurs épousailles pour repousser ses funérailles…
Mélodrame drolatique au happy ending vidéographique, L’Adieu
(Lulu Wang, 2019) se caractérise par son sens de la composition, sa
maîtrise des émotions. A priori
lacrymal, l’argument familial s’illustre heureusement par un traitement
stimulant, dépourvu du pénible pathos. Mieux, cette chronique d’une mort
annoncée, programmée, en tout cas par la médecine, se voit vaccinée contre
l’angélisme, le révisionnisme. Naguère belle-mère autoritaire, désormais
grand-mère atteinte d’un cancer
pulmonaire, Nai Nai livre sans le savoir (?) une belle bataille, la seule qui
vaille, qui déraille, ou, surprise, connaît un sursis, un répit, merci à « l’évacuation
des toxines », à la gymnastique acoustique en pleine ville, au cri de sa
petite-fille, faisant s’envoler à distance des oiseaux en CGI. Dans L’Adieu,
tout le monde (se) ment, omet la vérité, essaie de protéger l’aînée, elle-même
capable/coupable de pieux mensonge envers son mari enterré, fumeur invétéré. La
scène du cimetière, très cocasse, avec ses pleureuses over the top, une pensée pour leurs homologues corses, cristallise la
forme géométrique et le ton général, s’éloigne de l’élégie, fracasse
l’épitaphe, malmène le requiem. Si le
spectateur, disons d’humeur SM, exige de souffrir, de se confronter au pire,
qu’il (re)visite le diptyque classique de La Gueule ouverte (Maurice Pialat, 1974)
et Mia
madre (Nanni Moretti, 2015), sur lequel j’écrivis aussi. Tourné vers la
vie, tenant au large la maladie, se focalisant sur l’ensemble des non-dits, L’Adieu
ne rend pas malheureux, ni ne fait mal aux yeux. Élégamment
éclairé/cadré en widescreen par la
douée directrice de la photographie d’origine hispanique Anna Franquesa Solano,
doté de ponctuations musicales, vocales, instrumentales, précises, pertinentes,
placées par le pianiste Alex Weston, servi par un casting choral impeccable, mention spéciale au tandem improbable, probant, de la trentenaire Awkwafina et de la
vétérane Zhao Shuzhen, le métrage en apparence bien sage émeut en majeur, sur
un mode mineur.
Lulu Wang ne se contente pas de
raconter un récit ironique, on s’en doute autobiographique, basé sur un « actual
lie », appréciez l’oxymoron liminaire, reflet inversé, pardon du
pléonasme, du fameux et fastidieux « inspiré d’une histoire vraie »,
sésame paresseux de (télé)fictions falotes. La réalisatrice cartographie de
surcroît un pays depuis longtemps converti au capitalisme, aux jardins
enfantins disparus, aux immeubles hideux advenus. Le temps d’un instant, d’un
couloir, d’un trop tard, Billi croise ainsi la détresse discrète d’une
prostituée, métonymie d’un système mondialisé, délocalisé. Questionnée par le
réceptionniste curieux, collant, elle refuse de choisir entre les États-Unis,
adoptive patrie, et la Chine, paradis de jadis, elle préfère esquiver via de diplomatiques « différences ».
Ici, en Asie, les ascenseurs neufs tombent en panne, l’eau du robinet se boit
bouillie, le crabe remplace le homard et la promise japonaise ne se sent pas à
l’aise, ne comprend rien, n’agit point comme il convient, au moins selon la
critique antique, soucieuse des bienséances rances, de l’avis d’autrui. Au-delà
du dilemme moral, carrément cornélien, du elle va bien, tout va bien, L’Adieu
diagnostique une pathologie sociologique, économique, imitons Marx,
fait dialoguer, au propre, au figuré, cf. la séquence du repas, presque à la
Pialat, bis, à couper l‘appétit des
convives réunis, remarquez le plateau tournant à l’avant-plan, l’immigration et
la réconciliation, le nationalisme et le cosmopolitisme, l’individualisme et le
collectivisme, l’inconscience et la culpabilité, l’identité et l’altérité, la
maternité et la fraternité, l’avenir et le passé. Tout cela, de bon aloi, peut
rappeler le ciné longuet, un brin surcoté, sinon oublié, d’Edward Yang (Yi Yi,
2000) mais L’Adieu, concentré de tensions, d’unissons, possède sa plaisante
personnalité, parle chinois et anglais, dispose d’un « film censorship
consultant », du soutien ricain de Sundance. Modeste, sincère, soigné, il
étudie in situ, sans imposture, la
dialectique de la « double culture », souligne l’universalité de la
spécificité, CQFD cinématographique, domestique, in extremis héroïque.
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