Short Cuts : Remarques sur cinq courts métrages


Miss Dombasle bis, à nouveau Michel Fau, Bach & Bizet, Élodie éblouit…


À la mémoire de Laure Killing (1959-2019)

Viens voir les comédiens invite le titre programmatique, détour par Aznavour, et Amor Maman (Roland Menou, 2018), Le Coup des larmes (Clémence Poésy, 2019), Même pas mal, petit animal (Juliette Kempf, 2017), Ordalie (Sacha Barbin, 2017), Roberto le canari (Nathalie Saugeon, 2018) en effet séduisent via leurs actrices, méritent d’être mis à l’honneur pour leurs acteurs – pas seulement, puisqu’ils permettent de découvrir de vrais regards de cinéastes sans fard, dignes de tous nos égards. Films féminins, sur/avec/de femmes, malgré un tête-à-tête entre mecs, à peine dérangé par Claude Perron (Cortex, Nicolas Boukhrief, 2008) sur le palier, ce quintette comique et dramatique confirme la force du « deuxième sexe » et la faiblesse du « premier ». Dans le lucide et longuet Cat’s Eye, récemment terminé, la romancière canadienne Margaret Atwood parle avec justesse de la « tristesse archaïque » des types, annonce que les nanas en savent trop, qu’elles ne peuvent être donc ni déçues (deceived) ni crues (trusted). Il demeure cependant à les aimer, dans la vie, au ciné, en tout cas certaines, surtout ainsi esquissées, sinon si bien servies, par elles-mêmes, leur capacité, leur beauté, par des items très maîtrisés, heureusement délestés de la moindre once de médiocre misandrie. Résumons, à destination de ceux qui ne les virent, dommage, de ceux, tant mieux, qui les verront : dans Amor Maman, produit par Julie Gayet, eh ouais, interprété itou par Audrey Tautou en facétieux sosie de Frida Kahlo, par Philippe Katerine en jardinier pseudo-anglais à la Lady Chatterley, le « roman familial » amusant, amitiés à Luis Mariano, connaît son acmé de Nativité, son épilogue sur une plage, en clin d’œil de dos à celle de Pauline, on présume (Pauline à la plage, Éric Rohmer, 1983), la délicieuse Arielle idem, en sus escortée par la regrettée Édith Scob, duo tout sauf snob.

Dans Le Coup des larmes, India Hair & Sabine Timoteo disposent du choix des armes, en écho à Corneau (1981), couple en déroute, au bord du doute, partenaires séparées puis retrouvées, afin de mieux s’affronter, se (re)perdre, abolies par un final brechtien, distancié, enneigé, à la Blow Out (Brian De Palma, 1981), autre mélodrame de cinéma méta. Dans Même pas mal, petit animal, une mère célibataire, remarquable Maud Wyler, se débat un dimanche sur fond d’anniversaire (d’enfant), de transfert (de fichiers photographiques retouchés, de mariages immaculés), de farouche grand-mère, avant de savourer ensemble un soupçon de sérénité au restaurant-café, merci à la coupure de courant non réglé, assorti d’une part de gâteau au choco ; dans Ordalie, un duel formel, aux allures de rituel, relecture express disons de L’Emmerdeur (Édouard Molinaro, 1973), les irrésistibles Michel Fau & Gaspard Ulliel fissa substitués aux modèles Jacques Brel & Lino Ventura, déploie sa diplomatie, sa suicidaire ironie, où un peu de vent agite le rideau du survivant ; dans Roberto le canari, le décès d’un oiseau foutu au frigo fait philosopher un marmot, ressuscite la mort du père et ses obsèques suspectes, scène de repas à la Pialat, tandis que le cancer traité déjà fait tomber les cheveux des attachants amoureux, nommons Élodie Bouchez & David Kammenos. On le voit, on le lit, ces tragi-comédies, à l’image de nos multiples vies, intimes, intimistes, actuelles, éternelles, consacrent le quotidien, accomplissent beaucoup avec presque rien, avec une économie de moyens et d’effets forçant le respect. Le réel héroïsme, mon ami(e), s’exprime et se magnifie ici, merde aux métrages Marvel, à leur rance résilience à la truelle, guère fraternelle.











Pour forcer le destin, pour marcher demain, pour survivre au qui-vive, pour (s’ex)terminer en beauté, pour parvenir à sourire toutefois envahie par le pire, pas besoin de collants colorés, d’une américaine moralité, de millions de dollars supposés nous y faire croire – il faut uniquement du cœur, du courage, un chœur de gens, un faisceau de talents. S’il reste à espérer quelque chose du contemporain cinéma français, je vous renvoie vers mes divers textes sur le sujet, ceci se situe en partie parmi tout cela, belles promesses et exercices de maestria en soi. Si Amor Maman s’avère un divertissement charmant, rempli de la tendresse burlesque d’Arielle – le générique remercie sa « folie » –, Le Coup des larmes un thriller épuré – comparez le résultat monté avec le scénario déposé, téléchargeable sur le site du CNC – en plein air, sorte de western avec lesbiennes, ça nous change des rodéos et des pistoleros souvent homos, revoyez La Rivière rouge (Howard Hawks, 1948) ou encore L’Homme aux colts d’or (Edward Dmytryk, 1959), Même pas mal, petit animal un suspense de pâtisserie, d’épuisement, de solitude à plusieurs, de panique à la suite d’une disparition, oh, Simon, si ces quatre opus constituent de pleines réussites, ludique, tendue, agitée, millimétrée, Roberto le canari s’affiche comme mon favori, pardon de développer. Je ne connais pas personnellement Élodie Bouchez, mais nous appartenons à la même génération, mais je la découvris jadis dans le réaliste et remarqué La Vie rêvée des anges (Érick Zonca, 1998), je la redécouvre aujourd’hui, plus de vingt années après, je me dois, volontiers, de la célébrer. Doté d’un rôle délicat, à la Romy Schneider (remember La Mort en direct, Bertrand Tavernier, 1980), Mademoiselle Bouchez anime et illumine chaque plan où elle apparaît.  

La caméra complice, pas complaisante, pas pathétique, de Nathalie Saugeon immortalise son visage, ses seins, sa silhouette fluette, son bonnet frisquet, ensoleillé. Venez voir l’actrice, venez voir ce que signifie déclamer avec vérité, sincérité, suprême fausseté – « paradoxale », dirait le spécialiste Denis Diderot – un monologue admirable, un souvenir de train surpeuplé, sur le chemin du cimetière, expérience en solitaire du despair, alors collée contre un inconnu pas inconvenant, pas malvenu, ni « porc » ni « prédateur », Seigneur, ensuite époux assis, souriant, juste son silence, son odeur, sa présence, sa chaleur, et sa main qui la retient, la libère, lui permet, debout, de s’élever dans les airs. Auparavant, dans la semi-obscurité de la salle de bains, à la suite de celle du lit liminaire, intimité ingénument troublée par le bambin et sa bestiole mortifère, ils s’embrassaient, se déshabillaient, se touchaient, des mèches doucement s’arrachaient, elle se retournait vers le miroir, le mouroir, elle contemplait sa face funèbre, funeste, il couvrait sa tête de ses mains, on fera l’amour le lendemain, je te soutiens, j’assume le cadavre jaune, je ne m’empresserai pas de le remplacer, de t’oublier, bien que tu le suggères, ma très chère. Sommet de romantisme malade, endeuillé, éclairé par l’élégance d’un fou rire de funérailles, gravité invincible des gosses taciturnes, amusement poignant des réconciliés parents, Roberto le canari cueille le spectateur en douceur, en douleur, plutôt qu’il ne cloue le cercueil, car la coda ne désespère, ne désarme, cadre la vie vaine et merveilleuse au creux d’un arbre, cycle éternel, menstruel, mélange de mésange. Que le cinéma, hexagonal ou pas, puisse provoquer cet état, émouvoir et ravir, portraiturer sans trahir, persister à nous dire, faire ressentir, notre décès de toute manière programmé, pathologie ou pas, perte de proches ou point, avoir la puissance de transcender cette sinistre destinée par le sexe, les sentiments, la famille accessoirement, à la fois abri et pilori, rassure, rature les impostures, paraphe le mécanique mirage, le laïc miracle, du bref, éphémère « cinématographe », Bresson ou non.

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