Peur sur la ville : Le Dernier Métro


Giallo de guignolo ? Thriller pas d’amateur….


Pour mon père

Dans Le Dernier Tango à Paris (Bernardo Bertolucci, 1972), Marlon Brando ne supportait point le métro parisien, aérien, se bouchait les oreilles afin de ne plus l’entendre, surtout d’en dessous. Dans Peur sur la ville (Henri Verneuil, 1975), Jean-Paul Belmondo monte dessus, s’y accroche, y court, s’y couche, se glisse parmi un compartiment, évidemment tueur(s), salut au ferroviaire Costa-Gavras (1967). Sorte d’aimable docteur Mabuse en voix off, maître du mur des petits écrans filmé par le grand, (re)matez le testament médiatique, prophétique, du « diabolique » intéressé (1960), (re)pensez à la mosaïque idem, inutile, de Tony Montana plongé dans sa paranoïa, sa coca (Scarface, Brian De Palma, 1983), le cinéaste dirige la rame doublement infernale, Denfer + Divine Comédie, oh oui, en sus de son acteur cascadeur, cauchemar d’assureur, flic amer muté à la Criminelle, policier en train de pister un suspect familier. Cette scène célèbre s’avère cinéphile, puisque Verneuil s’y souvient du Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967), traque en écho, et de L’Ombre d’un doute (Alfred Hitchcock, 1943), chute – sens duel – providentielle incluse. À la géométrie de l’environnement, domaine du métal, du verre, du sous terre, de l’air, correspond celle de la composition des plans, précise, pensée. Remerciée au générique, le royaume de la RATP devient devant l’estimable caméra un terrain de jeu dangereux, à la fois réaliste, sensoriel, et onirique, mythologique, « Minos » tel un exterminateur giscardien de la « boue sexuelle » féministe, classée X. Due au polyvalent Jean Penzer, la direction de la photographie participe de la dichotomie, autant naturaliste que fantastique. Letellier semble ainsi évoluer, au propre, au figuré, sur une monstrueuse créature sous-marine auréolée d’un halo verdâtre, à l’intérieur d’un tunnel carrément chthonien.

Longtemps après, dans Mission impossible (De Palma, 1996), Tom Cruise l’imitera, rampera à son tour, cette fois-ci sur le sommet d’un TGV, encore équipé d’un hélicoptère, pas le même, certes. À l’immobilité du placide et déserté « poste de commandement » répond l’agitation autour et bientôt au-dedans du wagon. Appréciez au passage que le conducteur du train, peut-être italien, co-production oblige, possède la voix reconnaissable de Francis Lax, remarquez l’immaculé mussolinien des téléphones des gardiens, d’ailleurs incognitos, pris de dos, abstraction à l’unisson. Tandis que les passagers, en place ou sur le quai, se surprennent des arrêts supprimés, la chasse mobilis in mobile annonce/rappelle les séquences similaires, différenciées, de Pulsions  (De Palma, 1980), Blow Out (De Palma, 1981) ou L’Impasse (De Palma, 1993). Le réalisateur et le monteur Pierre Gillette, autre collaborateur sans œillères et sans peur, à cheval sur le « cinéma commercial » et le « film d’auteur », alternent point de vue subjectif du persistant prédateur et perspectives objectives depuis la rive. Du noir, du bleu, une tache de rouge (d’extincteur), mais aussi du son, par exemple celui de la machine et des talons, « Bébel », alors quadragénaire, adoubé Fred Astaire des monte-en-l’air. À l’extérieur, en hauteur, la symétrie se duplique, zoom arrière et zoom avant épousant la division des voies, des convois. Un panoramique immortalise la posture héroïque, avant que les armes ne parlent, affrontement éloquent sur fond de transparences et de cris forcément d’effroi. Le skaï écarlate des sièges sanglants présage l’épilogue expéditif, choc de chauffeur, de portes ouvertes sur l’impact. Critiqué par Michel Chion, ce moment ne manque pourtant pas de mordant, séduit via sa virtuosité mesurée, madeleine proustienne de dimanche soir déjà tard.


Commentaires

  1. Passer de l'échec relatif du Stavisky de Resnais à ce succès commercial d'un film type académisme du héros musclé et insubmersible figure masculine de l'époque,
    Bébel d'exploit remarquable!
    J'ai vu à Naples début des années 8o des grappes de gamins pauvres circulant ainsi gratos sur les toits des vieux trams, nichées en guenilles entassées qui risquaient l'électrocution sous le passage obscur des tunnels en particulier ou dans certains virages, il y avait souvent des accidents.
    Quand à Jean Martin il me rappelle la figure du paternel d'un ami d'enfance qui avec sa Renault 16 Tx roulait à 170 kilomètres heures sur des routes de campagne limitées à beaucoup moins... Toute une époque, ma faveur va bien évidemment à Charles Denner
    figure si singulière et véritable combattant de l'ombre comme égaré hyper lucide au milieu de ces surhommes, ou de ces justiciers mythiques tel Minos en guerre contre le libertinage et le porno sans espoir de...
    Au début de ma carrière professionnelle dans les bureaux d'ingénierie, j'avais rencontré un collègue de travail dont les parents habitaient l'immeuble de brique de la rue Poubelle visible dans le film et qui avaient assisté médusés au tournage de la fameuse scène si acrobatique...

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=vhzuQYazMP0
      https://www.youtube.com/watch?v=FSbWDok9HVk

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    2. Merci pour le partage, peut-être un lien de cause à effet entre les deux films suggérés ? autre qu'un esprit d'une certaine époque, peut-être il vous sera possible d'éclairer ma lanterne relativement à ces questions, la folie des hommes est si bien partagée :
      "Folies de femmes "von Stroheim, 1922 https://www.youtube.com/watch?v=M5kbKLOUF7s
      (Erich Von Stroheim, l'un des acteurs préférés de mon père avec Vittorio Gassman)
      https://films.oeil-ecran.com/2010/04/15/folies-femmes/

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    3. Yannick Bellon dirigeait Denner en Baudelaire à la TV puis Daniel Auteuil en agresseur sexuel au ciné.
      Pas vu ce Stroheim-ci mais visionné jadis l'âpre Les Rapaces :
      https://www.youtube.com/watch?v=mTzii0-2d-I
      Comme un écho en mode méta :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/08/the-last-movie-kill-gringo.html

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    4. Merci pour la réponse en forme d'information très cinéphile...

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  2. Petit clin d'oeil à l'écran façon "madeleine proustienne de dimanche soir déjà tard"
    http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2021/04/une-chambre-decho-au-miroir-des-fantomes.html

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