Freaks : Chloé


Mutants débutants, résistants, mutatis mutandis, pardi...


Doté d’un titre inutilisable, en tout cas très connoté, au moins depuis le film homonyme de Tod Browning – mais me plaît l’aspect pragmatique, poétique, de La Monstrueuse Parade (1932) –, Freaks (Zach Lipovsky & Adam B. Stein, 2018), s’il délaisse la poignante et impitoyable corporalité de l’opus précité, parvient (en plein) à en conserver (l’esprit) le refus de la toujours suspecte « normalité », marotte démagogique d’un méprisable/méprisant ex-président de la République. Il s’agit, résumons fissa, d’une sorte de refonte du Firestarter (1994) de Mark L. Lester, donc d’un (mélo)drame familial et gouvernemental, à base de super-pouvoirs et au bord du désespoir. Le solide Emile Hirsch, jadis délicieux péquenot, au générique de Killer Joe (William Friedkin, 2012), semble s’inspirer, pour composer son personnage de paranoïaque papounet, de la folle (en effet) performance de Michael Shannon dans Bug (2007), similaire autarcie en tandem, signée du même réalisateur (et du même auteur, le dramaturge Tracy Letts). Nous voici, à nouveau, aux États-Unis (disons désunis), au sein de leur imagerie, où le foyer s’avère sacré, pas vrai, Dorothée (Le Magicien d’Oz, Victor Fleming, 1939), où il faut le défendre, à main armée, contre la menace, sans cesse vivace, Donald Trump opine, du fameux home invasion, pénétration de double acception (je renvoie évidemment vers les viols « environnementaux », territoriaux, des Chiens de paille, Sam Peckinpah, 1971, Un justicier dans la ville, Michael Winner, 1974, ou vers le plus récent, sarcastique et politique, À couteaux tirés, Rian Johnson, 2019). Pourtant grandir, tous les « responsables » (légaux) le savent, le redoutent, signifie justement sortir, au propre, au figuré, de l’espace a priori sécurisé, en réalité souvent le lieu (je pense à The Girl Next Door, Gregory M. Wilson, 2007 + The Woman, Lucky McKee, 2011, diptyque névrotique, d’après feu Jack Ketchum, pas que) des secrets les plus affreux, nous précisent, parmi la supposée vraie vie, les statistiques des « violences domestiques ».



Ici, la gosse du récit, petite recluse de sept ans, sujette à saigner (des yeux, point du nez, Freaks en sus se souvient de Furie, Brian De Palma, 1978), à traverser les pièces, sinon les années, grâce à la belle bulle temporelle élaborée par son géniteur (trop) protecteur, se voit irrésistiblement attirée par un étrange camion, presque kingesque, bis, en l’occurrence celui d’un marchand de glaces, sis au pied de sa maison, aperçu par un interstice de la fenêtre fermée, calfeutrée. Au volant, le vénérable (et increvable) Bruce Dern – (re)lisez mon éloge de l’acteur (en apesanteur) à l’occasion de Silent Running (Douglas Trumbull, 1972) – va la conduire vers une vibrante aventure, loin de toutes les impostures, par exemple les parents « truqués », d’à côté, à louer, à la Philip K. Dick, chic. Au terme de son voyage au bout de la nuit, de l’envie (d’une ice cream, d’une mommy, la Canadienne Amanda Crew s’y colle), Chloé (Charlie chez Stephen King) s’élève dans le ciel, fraîche orpheline désormais portée, puis éduquée, par une mère retrouvée, sauvée, prénommée Mary, toute ressemblance avec la Vierge pas si fortuite, puisque Assomption, allons bon. Auparavant, elle perd son père, bouclier sacrifié, elle assiste ainsi, en larmes, effondrée, en position de piété, à la réalisation de son souhait, parricide d’émancipation, les cinéphiles psys apprécieront (le filigrane féministe). À ce (cruel) sort, à cette (essentielle) mort, s’ajoute encore celle de son grand-père, chauffeur échauffé (du véhicule supra), faux curé, véritable croisé, lui-même à la recherche de sa propre fifille, emprisonnée à l’insu de son plein gré, elle-même maman de notre héroïne, vous (me) suivez ? Deux hommes transis, au tapis, deux femmes altières, dans les airs (une troisième représentante du « deuxième sexe », Grace Park s’y attaque, « femme en noir » au service du pouvoir, commet aussi un suicide assisté, mince) : l’argument, un brin languissant, séduit par sa symétrie, sa sincérité, son indépendance financée, à défaut, certes, de sidérer, de renverser, via sa forme amorphe, à la limite du téléfilm en widescreen, bicéphale plutôt que triomphal.



Passant (primé) de festivals, disponible demain en France, en vidéo, Freaks constitue, par conséquent, une assez plaisante surprise, qui paraîtra (et « parlera »), n’en doutons pas, familière au fanatiques des X-Men et autres Stranger Things, guère ma tasse de thé (de ciné, de TV), vous le savez. Conte d’enfance et de maltraitance, reposant largement sur les frêles et puissantes épaules de la convaincante Lexy Kolker (de l’âge de son personnage), il associe sotto-voce les échos de Boucles d’or et les Trois Ours & Le Petit Poucet, tressés à la sensibilité de Steven Spielberg & Bryan Singer, ma chère. Tout ceci suffit-il à refaçonner la SF filmée ? Cela occupa, pas si mal, humain, trop humain camarade, ma terrestre soirée, eh ouais.


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