Zorba le Grec : L’Attaque de la moussaka géante


Suite à son visionnage en direct sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Michael Cacoyannis.


L’apollinien et le dionysiaque. Nietzsche et Sisyphe. Un fiasco presque à la Fitzcarraldo (Herzog, 1982), mais aussi l’écho de Stromboli (Rossellini, 1950), Marius (Korda, 1931), Manon des sources (Pagnol, 1952), La Fille de Ryan (Lean, 1970) ou Harold et Maude (Hashby, 1971). Avant tout, surtout, une histoire d’amour entre deux hommes, dès le premier regard, en effet, à travers une vitre mouillée. Socrate & Platon ? Non, Montaigne & La Boétie, oui. Mystère de l’élection, voire de la filiation. L’ancien soudard trucideur de Turcs, agresseur de Turques, dessillé du nationalisme, il en porte les stigmates (christiques) sur le torse, sait désormais la valeur d’une vie, de toutes les vies, y compris les salies, tandis que le littéraire solitaire hésite, trop cogite, poursuit sa route en plein jour, revient la nuit. Zorba, père endeuillé, sinon indigne, de gesticulations, d’abandon(s), trouve une sorte de fils very British, lui-même orphelin de son géniteur (Mavrandoni perdra son fiston fou d’amour, noyé d’obscurité). Nécessité que la mine de lignite renaisse, que la lignée persiste. Durant le prologue portuaire, Patron signe un pacte oral avec un ange-démon, aux multiples noms, tel un certain Légion. Puissance de la parole, quand l’écrivain stérile brode autour du mariage épistolaire, par ressentiment, par pitié, par grand-père à prostituée, aux cheveux teintés. Débuté en comédie, sous la pluie, le métrage s’oriente vers le drame, s’avère solaire mélodrame, débarrassé de mythologie. Pas de Médée, même selon Pasolini (1969), ici. Pas de pathos non plus, pas le temps de se lamenter en trémolos comme il faut. À vieillir, on va vite, pas le choix, ou alors ouvre ta porte à la mort et tais-toi.


Chez Minnelli, Quinn déguisé en Gauguin tourmentait Douglas grimé en rouquin (La Vie passionnée de Vincent van Gogh, 1956). Dorénavant, après huit ans, il déniaise Bates, l’incite à un hédonisme innervé de stoïcisme. Dans Love (Russell, 1969), Alan étreindra Oliver (Reed) au coin du feu littéral. Auparavant, il se réchauffe et se brûle au feu de l’ancêtre, à sa capacité d’illusion, d’horizon. La Crète de Cacoyannis, producteur enrichi, scénariste compatriote, cinéaste classique, empathique, monteur rythmique, attentif aux visages, sur fond de paysages, parvenant à saisir l’intensité d’un quatuor en or, ne ressemble pas à celle du Minotaure, même si la jeunesse succombe encore. Les (plus) pauvres y plument les (moins) miséreux, petite leçon de réalisme économique donnée à l’orthodoxie marxiste, saluons les moines homonymes, affolés, alcoolisés, bénisseurs de téléphérique en plastique. Madame Hortense, vive la France, assortie de son risible Ritz, en fera les frais, dépouillée sur son lit de mort, décor évidé à la Melville (Le Samouraï, 1967). Le canari de Delon ? Le perroquet de la cocasse et poignante Lila Kedrova. Et une chèvre de bouc émissaire. Et un pépin de Chamberlain. Irène Papas, superbe de beauté, de fierté, prête son corps à une veuve convoitée, à dévaloriser, à lapider en mode sémite, biblique, sur laquelle pratiquer un égorgement hors-champ, atrocité cohérente avec la logique amourachée-destructrice d’Oscar Wilde. Gare à l’altérité, à l’indépendance. Une pietà entre adultes consentants, des larmes éloquentes, des poings contre une chute de reins féminins. Si peu de bonheur et déjà la terreur. Non-assistance de parité à personne en danger ou ventouses de pneumonie au son de baisers. Funérailles hilares, fada lucide, mariage sur la plage, privation d’office. Alexis s’en fiche, Bouboulina ne s’en souciera pas.


L’Anglais, témoin à double titre, demande in extremis de lui apprendre à danser, réflexe à la Friedrich. Londres évoqué, l’agneau (du sacrifice) avalé, le désastre délicieux distancié, on rit, en rime à Sam Neill selon L’Antre de la folie (Carpenter, 1994), en réponse renversée à la coda de La strada (Fellini, 1954). On pourrait certes adresser à Zorba le Grec le reproche identique de manquer de folie. Peu importe : quinquagénaire, doux-amer, le voyage demeure vivant, amusant, parfois bouleversant. Un film fameux ? Une fable libre et cruelle, point surfaite.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir