L’Écorché
Trois instantanés de certitude ensablée.
1
Et si tu as peur du cadran
Regarde bien tous ces gens
Ce n’est pas un rêve c’est la vie
Jérémy Frerot, Revoir
À ma mort, ramène-moi vers la mer
maternelle, méditerranéenne. Cinéphile endeuillé, fatigué, enfouis-moi loin du
cinéma. Sous le sable de Mademoiselle Rampling, laisse le ressac me bercer au
rythme tarkovskien, voire utérin, océanique et cosmique. Puisque le bonheur
n’existe pas, puisque n’existent que des instants d’ataraxie, que l’éphémère
éternité me délivre de mes tourments d’avant. En vérité, connais-tu rien de
plus serein qu’un cimetière marin ? Enfant, j’édifiais des châteaux
humides, promis à la ruine, présage du pas si grand âge. Pourquoi, caro Kitano,
le métrage vécu nous reconduit-il à la plage virginale ? Parce que toutes
les pages, même virtuelles, même apparemment spécialisées en ciné, s’effacent
au fil du temps désarmant, se verront supprimées par mes soins, table rase de
lecteur cartésien. Littéraire entiché d’images sonores, homme, blanc,
hétérosexuel, catégories à la truelle, très actuelles, j’assume mon romantisme
matérialiste, véracité de l’inverse, j’affectionne les films horrifiques et me
questionne la tristesse implicite des bandes a priori priapiques.
Tandis que tu découvres un nouvel article, presque des derniers mots, je ne te
vois pas et ceci me permet à m’adresser à ta silencieuse obscurité. Seule la
distance autorise la confidence. Seules les œuvres nous identifient, au moins
en partie. Les états civils, les CV, les petits faits vrais, la chronique des
cosmétiques, des coliques, je les cède volontiers aux intéressés, sur leurs
réseaux supposés sociaux. Rareté du dialogue, pérennité du monologue. Capitaine
à la boussole de subjectivité, je garde le cap et me remémore la cape
d’Albator, la Lénore de Poe, poète plutôt que pirate, certes. Mais ma nef aussi
folle que l’antre de John comprend un équipage fantôme, skeleton crew à la
Stephen King.
2
Pour remonter la pente
Je m’écris je me chante
Je m’évite je m’invente
Zazie, Patatras
En anglais, le terme désigne itou
l’équipe de tournage et le cinéma, comme la musique orchestrale, comme le
football, demeure l’une des rares formes d’expression sociale, de partage
hyperbolique, à notre époque moderne, parfois si ancienne, d’individualisme
sélectif, de tribalisme en série, de communautés cadenassées. Le français me
ferme l’horizon anglo-saxon ? Je ne veux me livrer qu’à travers sa transmission
matricielle, sa musicalité sensuelle et rationnelle, tendance Racine. Je ne
communique pas, j’écris, accorde-moi cela, que tu aimes ou pas ma prose
indépendante, souvent à contre-courant. La différence, je m’en fiche, la
normalité, surtout présidentielle, me hérisse. Mon beau souci de la beauté, je
lui fais côtoyer, au quotidien, les territoires de la laideur, de la douleur,
je m’en sers en talisman stimulant, je me pense capable de la percevoir ailleurs
qu’au musée du ciné, ces cinémathèques nécessaires et cependant suspectes,
entassement de souvenirs, de masques de cire, de classiques ésotériques. Et la
surprise guide mes pas, ravit mon clavier, car je ne sais jamais, je t’assure,
comment le flux se finira, sculpteur avec de l’ardeur et du cœur, dépourvu de
peur, hors celle de la paresse, de la bassesse, du sérieux pris au sérieux,
inconscient de la dimension ludique et mélancolique, donc tragi-comique, du
miroir filmique, de mon reflet au carré. Contrairement à Edgar & Hitchcock,
je me dispense de poser l’épilogue en premier, l’inspiration m’inspire, et le
pire, et le hasard, qui ne respire pas, qui dévoile la statue lexicale déjà là.
Un texte ne saurait naître sui generis,
n’en déplaise à Barthes, néanmoins il possède son propre souffle, son mystère
ouvert, sa légitimité heuristique, sinon, à quoi bon ?
3
And nothing
lasts forever
We can do
better
Matt Simons, We Can Do Better
Insipidité des points de vue
dépourvus de personnalité, vide alternative du missel et du fiel ! Impardonnable
pauvreté des items résumés par leurs
bandes-annonces ! Épuisante poussière des imaginaires surgelés, des
imageries rassies, des arguments modelés par des directeurs de programmes
infâmes ! Nous méritons mieux, nous valons davantage que cet aveu
d’impuissance, cette bêtise généralisée, commercialisée, ces scandales banals,
ce déballage à deux balles. Au désert, demande au saint de don Luis, on
désespère, se soulève la jupe de l’Adversaire, Romand, Carrère ou Lucifer, en
avance transgenre, déguisé en tentatrice remplie de malice. On s’y fortifie, a fortiori,
on s’y défait des jours lestés, des nuits d’insomnie. Sur la route de Zabriskie
Point, un Ground Zero explose au ralenti, extermination du luxe US selon
l’architecte Antonioni. Le ciné sert à dessiller, à réveiller, à terroriser les
théoriciens des genres, sourit Lucio Fulci. Mon cinéma à moi m’accompagne
depuis quatre ans, depuis bien plus longtemps. Je ne prise ni l’humanisme ni
l’amnésie. Je travaille, vaille que vaille. Je visionne et j’envisage, le Temps
ravage mon ramage et me dévisage, me défigure. Agrandi sur un écran, le visage
devient paysage bouleversant. La figuration procure lassitude et délectation.
Pour le pardon, tu repasseras. La caméra carbure à nos trépas, ne t’en fais
pas. Je ne crois pas à l’au-delà, tant mieux ou tant pis pour moi, alors les
crabes me croqueront au creux de la crique sudiste. Un jour, mon amour, tous
les projecteurs s’éteindront, tous les sites de streaming se tairont, et les chaînes de télévision, et les galettes
en plastique de collectionneur compulsif. Personne, en réalité, ne remarquera
la disparition du cinéma, simple épiphénomène au sein de l’immense néant
programmé avec simplicité, inéluctabilité, par les scientifiques lucides. En
attendant, réjouis-toi de ton sursis, médiatise tes envies, formule les hommes
aimables et les femmes fréquentables. Puis, à l’ultime moment, rejoins le bout
du monde, regarde l’horizon, allonge-toi et repose du sommeil en plan-séquence,
dissous dans la douce absence.
Il Cielo sotto la polvere - Trailer
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=ZSmEwLZsuvg
I Viaggiatori della Sera - Film Completo
https://www.youtube.com/watch?v=0DhOMhcdJbM
https://www.youtube.com/watch?v=anQZuSK1zFU
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