Les Guerriers du Bronx + Les Nouveaux Barbares : Street Trash


            Quand « foutre le Bronx » ne signifie pas se foutre du spectateur.


Tu souriras souvent en découvrant ce diptyque ante/post-apocalyptique, mais avec et non contre lui, car Enzo G. Castellari sait se servir d’une caméra, crois-moi, s’entourer de collaborateurs de valeur, citons le producteur Fabrizio De Angelis, le scénariste Dardano Sacchetti, d’ailleurs en compagnie de son épouse Elisa Livia Briganti, le décorateur-costumier Massimo Lentini, le directeur de la photographie Sergio Salvati (Crawlspace, 1986 + Puppet Master, 1989 de David Schmoeller), le compositeur Walter Rizzati, les acteurs Christopher Connelly & Venantino Venantini, tous partenaires de Lucio Fulci, autre exilé aux USA pour ses remarquables L’Enfer des zombies (1979), L’Éventreur de New York (1982), Manhattan Baby (idem), Murder Rock (1984), n’oublions point le fidèle monteur Gianfranco Amicucci (Bambola de Bigas Luna, 1996), le musicien Claudio Simonetti, bien sûr ancien Goblin, les comédiens George Eastman, Vic Morrow, Giancarlo Prete, Fred Williamson, figures familières de l’imagerie survolée aujourdhui. L’auteur du sympathique/aquatique La Mort au large (1981), un temps reboosté par les basterds du guignolo Tarantino, fait mieux que relire Les Guerriers de la nuit (Hill, 1979), New York 1997 (Carpenter, 1981) ou Mad Max 2 : Le Défi (Miller, 1981) et le premier volet de sa trilogie – pas vu Fuga del Bronx (1983) – rime curieusement, harmonieusement, puisque les correspondances régissent la cinéphilie, avec l’argument de La Malédiction Winchester (Michael & Peter Spierig, 2018) abordé hier. Ici aussi, l’héritière d’un empire des armes prend la tangente au grand dam des autorités sociétales et familiales. Ann, c’est-à-dire la jolie Stefania Girolami, fille de son père sous patronyme d’état civil, remarque son caméo en donneur de réplique à son propre frérot boss de la crosse, quitte les beaux quartiers sécurisés de la Pomme pourrie, part s’encanailler chez les sans foi ni loi du renommé quartier mal famé.

Ce désir d’adolescente rimbaldienne, sens duel, car le poète se recycla maladroit trafiquant en armement, dirigée par l’idéalisme, voire le féminisme, de fuir le cynisme d’une patriarcale lignée empoisonnée, aux mains ensanglantées, un salut sépulcral à notre Serge Dassault national, nous éloigne donc du personnage présidentiel de Donald Pleasence, séquestré contre son gré dans sa prison de désillusion, à ciel ouvert et couvert. Moins anarchiste que son confrère Carpenter, Castellari s'affirme finalement romantique et sa dystopie rapprochée, située en 1990, ne se départ pas de valeurs morales, au contraire. En dépit de son surnom, Trash ne s’avère guère une ordure et la musculature du taciturne, éphémère Mark Gregory ne saurait dissimuler un filigrane efféminé, tant pis pour son pic phallique pointé vers le visage de la fausse otage à genoux, cadrage libidineux malicieux. Comme le compatriote Leone, Enzo ne s’illusionne sur l’humanité des hommes du passé, de l’avenir, leur accorde cependant un squelette d’éthique, les portraiture sans rature dans des westerns urbains assez sereins malgré leur modicité, leur rapidité de conception et d’exécution. Les gentiment ou méchamment moqués « nanards » n’existent pas, les genres cinématographiques non plus, ne s’exprime que le cinéma, ne survivent que des films financièrement défavorisés riches de fantaisie, d’énergie, ratés ou réussis, parfois les deux en même temps. Formé à l’architecture, marotte de Michelangelo Antonioni, auparavant spécialiste du dit western spaghetti, appellation à la con de critiques aux limites du racisme, à raison refusée par le signataire de Il était une fois dans l’Ouest (1968), Castellari se délecte à composer ses plans en Scope, à cartographier dans l’urgence un espace en déshérence, en réminiscence allégée, okay, des ruines de Allemagne année zéro (Rossellini, 1948), fétichisme nazi compris, dans le sillage d’un sous-genre a priori outrageant, cf. Salon Kitty (1976), l’un des meilleurs titres du peu salace Tinto Brass.


Notre cinéaste désargenté, pas stupide, pas démuni d’idées, retravaille en duo des motifs archétypaux illustrés avec brio par le Ford de La Prisonnière du désert (1956) et le Eastwood de Josey Wales hors-la-loi (1976), à savoir le ravissement, renversé puis réinstallé, la communauté recomposée, pacifiée. Cette question essentielle de la civilisation européenne déplacée-imposée sur la terre des natives au prix sanglant que l’on sait, marronnier du révisionnisme, utopique ou pas, de la filmographie thématique des seventies, se voit intelligemment délocalisée dans un no man’s land de contrebande, cauchemar barbare de Rudy Giuliani, maire énamouré de « tolérance zéro », nom de studio porno, mon coco. Outre des clins d’œil économiques à En quatrième vitesse (Aldrich, 1955), Rollerball (Jewison, 1975), L’Équipée sauvage (Benedek, 1953), Orange mécanique (Kubrick, 1971), Flash Gordon (Hodges, 1980) ou Bon baisers de Russie (Young, 1964), Les Guerriers du Bronx (1982) et Les Nouveaux Barbares (1983) dialoguent avec la démarche leonesque en ce qu’ils greffent sur un univers US une sensibilité transalpine, opératique, réinventent un réalisme sarcastique, remodèlent le modèle approprié pour de vrai, au-delà du plagiat paupérisé, peu inspiré. Tout sauf mercenaire, une pensée pour Hammer, flic nihiliste, et ceux de Sturges démarqués de Kurosawa, matrice apocryphe du pistolero à poncho, davantage dissident en douce, drapeau sudiste inclus, Castellari filme son Amérique à lui, en résonance avec Un justicier dans la ville (Winner, 1974), Exterminator (Glickenhaus, 1980) et Les Rats de Manhattan (Mattei, 1984). Le Vietnam évacué, bye-bye à la mutante bestialité tandis que subsiste une discrète mélancolie, protagoniste à problèmes personnels ou incinération funéraire à la Conan le Barbare (Milius, 1982), poétiquement prolongée par des cendres dispersées dans la East River, au large des Twin Towers. 

Paul Kersey, architecte-vigilante, s’épuisait selon son aveugle vendetta, incapable de punir les bourreaux de sa femme et sa fille, sinon par procuration, en Sisyphe rancunier rétif au supposé laxisme de la police, le vilipendé-adulé Dirty Harry (1971) de Siegel confirme. Trash, vrai-faux héros de jeu vidéo, procède par paliers. Les Nouveaux Barbares se déploie autour du siège, géométrie circulaire en écho à Rio Bravo (Hawks, 1959), à Assaut (Carpenter, 1976), le premier source inspirante assumée, admirée, du second, son huis clos anxiogène ensuite réutilisé parmi les glaces de The Thing (1982), admirable remake métaphysique du drolatique La Chose dun autre monde (Nyby, 1951), boucle bouclée en Antarctique. Les Guerriers du Bronx opte pour la linéarité, le tracé horizontal, fatal, de la flèche véloce vers la cible, du commando réduit, décimé, en marche vers la Boucles d’or au milieu des loups dune guerre des gangs téléguidée de ghetto. Tout se terminera par une concorde mise KO, un anniversaire amer, cadeau pas beau, pas réglo, molto facho, de massacre au lance-flammes commis par des policiers casqués, organisé par un psychopathe hilare in fine harponné en pleine poitrine, tiré à travers la ville. Plus mouvementé, motorisé, monothéiste, homoérotique, Les Nouveaux Barbares commence par une hécatombe similaire, caravane encerclée, occupants exterminés, en mémoire des pionniers du Far West, des Indiens toujours agresseurs, pas encore réhabilités en victimes amérindiennes. Cette suite atomique développe l’histoire d’amour de l’opus précédent, donne à deviner sa sexualité à contre-jour, ombres chinoises aperçues sous une sorte de serre, à proximité d’une bagnole dotée d’un globe lumineux verdâtre, comme si les ébats à la lueur des phares de Lost Highway (Lynch, 1997) se déroulaient irradiés.



Castellari multiplie les ralentis, signature rythmique moins iconique que chez Peckinpah, moins ironique que chez Kubrick, fait s’affronter deux types de foi, en la vie, en la mort. Une seule mission obsède sa secte masculine de Templars, croisés fanatisés aux uniformes immaculés, aux coiffures outrées : trucider son prochain, mettre un terme définitif à l’humanité qui le mérite bien. Le chef déchire une Bible, bigre, se berce de voix envolées, rappelle-toi la batterie des bikers, emprisonne Scorpion, apprécie la reprise du nom de l’adversaire de Callahan, lui inflige un calvaire à la Lawrence d’Arabie (Lean, 1962), à la Délivrance (Boorman, 1972). Ce viol entre hommes se dote d’une dimension christique, le loner atteint dans son rectal honneur crucifié au petit matin en patin brisé sur le point d’être descendu, de sa croix ou pas. La violence générale se manifeste en décollations, explosions crâniennes, dolorisme graphique juxtaposé à des instants de tendresse et d’humour, par exemple la rencontre biblique entre Nadir et Vinya, retardée par le rythme désaccordé de la belle fervente pas frigide ni puritaine, amen. EGC shoota les extérieurs des Guerriers à New York, sans autorisations administratives tatillonnes de tournage. Rentré dans sa péninsule, il élit des environs romains boueux, rocailleux, débarrassés de soleil, paysage dépressif à la Angelopoulos ou terre dévastée à la T. S. Eliot, avise le retitrage explicite de New Line, Warriors of the Wasteland, limon d’avant la Création, qui devant son objectif matérialisent la laideur des mœurs et la privation d’horizon des émotions, de la reconstruction loin de la contamination. Le conflit nomadisme versus tribalisme, nihilisme versus prosélytisme, s’autorise cependant des sourires, notamment celui du gosse mécanicien, le film clos sur sa poignée de main avec le gladiateur au torse orné d’une armure transparente, accessoire de péplum chipé au gay friendly Ben-Hur (Wyler, 1959).

Le secourable Scorpion vient de terrasser son ennemi à bord de son engin en effet de mort,  de lui planter à travers la carrosserie, dans le dos ou plus bas, son dard de tournoi, de perceuse sexuelle à la Body Double (De Palma, 1984). Tuer ou être tué, l’alternative shakespearienne des Guerriers du Bronx fait retour et la virilité passe désormais, en 2019, à l’heure de l’enfer nucléaire, par la copulation express ou communautaire, par l’élimination de l’homosexualité subie, honnie, pratiquée en arme de guerre, quelle misère. Tout ceci, co-écrit par Tito Carpi (Le Dernier Monde cannibale, Deodato, 1978), sonne très italien, croix chrétienne illico retournée en accessoire SM, en croix crue réac de saint André. Maquette initiale, squelettes de cimetière végétal, holocauste advenu et signal entendu, cuissardes à la Caroline Munro de Starcrash (Cozzi, 1978), bûcher funéraire de mecs peut-être amoureux, caméo de Zora Kerova en opératrice radio, messie marxiste de martyres prénommé Moïse, monogamie décrétée, chronobiologie à respecter, « sacrifice » d’orifice assailli sous des éclairages rouge et vert à la Mario Bava, flammes purificatrices et veste arc-en-ciel, autant d’éléments intéressants pour cette moralité désenchantée sur une société à réenchanter, à rebâtir en dépit du pire. L’enfant sourit, l’adulte s’inquiète, de sa famille recomposée naissent de nouvelles responsabilités. L’espérance trace une route, ouvre le champ aux amants, à leur minot pas falot, elle apporte également la crainte de perdre les vrais trésors qui existent encore, guéri de son égoïsme de façade et de son désespoir pragmatique. Avec un tandem certainement pas dérisoire ni nullard, relié par des crânes et du napalm, parsemé d’amazones et exempt de matrones, mentionnons Carla Brait, Betty Dessy, Anna Kanakis, Enzo G. Castellari persiste à nous dire, en 2018, à l’approche de ses quatre-vingts ans, quelque chose sur son pays, sur lui, sur un survivant suicidé sur le siège avant, en mode Aldo Moro, sur le capitalisme par balles, sur la résistance des alliances et l’attrait ludique, politique, d’un cinéma alternatif à base de débrouillardise, de plaisir de filmer, de s’amuser, de sonder la stimulante obscurité, arte povera enrichi d’envies.


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