La Griffe : La Doublure
Univers « sale et laid », à (se) détester ? Lumière ferroviaire
un chouïa réchauffée.
Inutile de chercher ici l’écho même
assourdi des amples La Planète des singes (1968), Patton (1970), Papillon
(1973). Drame de chambre débuté à Berlin, sis dans le Tyrol autrichien, en
partie tourné en GB, La Griffe (1967) se rapproche
davantage de Ces garçons qui venaient du Brésil (1978), les espions
substitués aux nazis, la chirurgie
esthétique à la place du clonage hitlérien. Le film offre un beau rôle certes
pas assez développé à Yul Brynner, pure présence de cinéma et acteur encore
largement mésestimé. Au nom de son fils assassiné sur les sommets, le taciturne
Slater enquête et se confronte à son alter
ego, d’où le titre explicite en VO : The Double Man. La
schizophrénie figurative épouse le dédoublement diégétique, puisque l’ancien
partenaire Wheatley, convaincant Clive Revill vu dans Modesty Blaise de Losey,
1966, Une fille nommée Fathom de Martinson itou millésimé 1967, se
trouve désormais recyclé en professeur de province inoffensif, bien à l’abri
dans son confort bourgeois vite troublé par le retour du refoulé du passé, de
l’amitié. Anti-Bond, La Griffe participe à sa modeste
mesure, avec sa retenue très britannique, de la veine dépressive d’une
représentation dite adulte de l’espionnage. Moins spectaculaire que Hitchcock (L’Homme
qui en savait trop de 1934), moins brillant que Mankiewicz (cf. L’Affaire
Cicéron, 1952), moins ironique que Huston (La Lettre du Kremlin,
1970), Schaffner se focalise sur l’enquête d’un père endeuillé (d’un époux
veuf) découvrant la culpabilité en sus de la vérité. Pas une once de glamour ou de fantaisie dans La
Griffe, quand bien même la jeune et jolie Britt Ekland, elle-même
scindée, fuyante-cordiale, of course
à l’affiche de L’Homme au pistolet d’or (Hamilton, 1974), arbore une petite robe
noire à dos nu et la mature Moira
Lister amuse en richissime cougar de parties rassies.
En 1970, Brynner deviendra un cow-boy électronique pour Mondwest
et sa persona d’agent secret tétanisé
anticipe l’insensibilité, l’asocialité, le danger du robot méta de Michael
Crichton. Lorsqu’il tabasse Gina, lorsqu’elle le griffe au visage, à gauche,
bien sûr, en bonne orthodoxie religieuse, scène à faire défaillir les thuriféraires
des « violences faites aux femmes », le spectateur suppute
l’entourloupe et pourtant crédite Yul de cette rage froide, mécanique,
imputable à la colère méthodique, impitoyable, d’un homme blessé, incapable et
guère autorisé à exposer ses sentiments (la secrétaire écrit pour lui sa venue à
son ado). Bien épaulé par le directeur artistique Arthur Lawson, régulier des
Archers, par le DP Denys N. Coop (Bunny Lake a disparu de Preminger,
1965), le père Schaffner réussit les deux séquences de dissociation, Yul
dialoguant avec Yul au carré, oui ou non défiguré. Avec son générique en ersatz
de Saul Bass, avec ses transparences d’un autre âge, avec sa BO easy listening
due au méconnu Ernie Freeman, avec son chef en fauteuil (roulant), son défilé
de nuit, en ski, aux flambeaux (un salut bras levé à Leni Riefenstahl), The
Double Man montre un réalisateur déjà précis, sachant cadrer, composer,
rythmer un récit sauvé de son insipidité par son humilité, par le magnétisme
discrètement mélancolique de sa star.
Face au défaitisme minéral du captif dupliqué, l’impeccable Anton Diffring,
naguère Mengele du Cirque des horreurs (Hayers, 1960) et doublement présent dans
le fastidieux Fahrenheit 451 (1966) de François Truffaut, se moque de ses
prétentions à une essence individuelle, une « âme éternelle »
néantisée par le comportementalisme d’un Pavlov, métaphore d’un métrage soigné,
anémié, debout, au bord de l’inanimé.
Rassurons l’Occident, évidemment
royaume autoproclamé du monde libre : les Allemands machiavéliques et les Russes décérébrés
ne parviendront point à infiltrer la CIA via
leur pantin nommé… Kalmar, patronyme évocateur d’un mollusque sudiste à la
Jules Verne. Mieux, le taiseux Slater fera même in fine une place dans son compartiment (tueurs, nous souffle
Costa-Gavras en 1965) à l’accompagnatrice (pas celle de Claude Miller, quoique)
de fortunée festive licenciée de son plein gré. Période pascale oblige, The
Double Man constitue ainsi, presque en catimini, une parabole laïque,
d’espionnite, de froid, de paranoïa, sur la renaissance et la seconde chance. À
défaut de passionner, de portraiturer une Passion alpestre, il s’avère aussi un
divertissement assez plaisant, pas naïf, pas suffisamment audacieux pour sonder
pleinement sa douleur paternelle, son atmosphère crépusculaire, son vertige
identitaire. Film de glaciation, de déréliction, de rédemption, La
Griffe ferme une sorte de parenthèse pour Schaffner, venu de la TV, du
documentaire, avant/après qu’il ne s’engouffre dans l’épique a priori initié par Le Seigneur de la guerre (1965),
réponse apocryphe au Cid (1961) d’Anthony Mann, Charlton
Heston en partage, puis poursuivi dans la superbe trilogie mentionnée supra. Le nouveau départ de l’histoire
vaut par conséquent également pour lui et mérite en raison de tout ceci
l’instant d’un déneigement, amen.
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