Judas Kiss : Carla’s Song


Prédire/punir, jouir/trahir, écrire c’est-à-dire se souvenir.


Sans Carla Gugino, Judas Kiss s’apparenterait à un petit polar drolatique un peu poussif, pas trop déplaisant, sis à La Nouvelle Orléans. On y cite Le Démon dans ma peau de Jim Thompson puis Aventures en Birmanie avec Errol Flynn, on y entend l’euphorisant Just Like Heaven de The Cure, on y voit une comédienne shakespearienne et des acteurs de valeur, par courtoisie, par ordre alphabétique : Emma Thompson, Simon Baker, Hal Holbrook, Alan Rickman, paix à son âme, plusieurs raisons, donc, de découvrir-dénicher ce film jadis primé à Cognac. Sous l’argument du kidnapping de ponte informatique et l’enquête sur un meurtre de femme de sénateur, trois couples se voient portraiturés en autant de possibilités, de statuts, de trahisons ou d’associations. Dans Judas Kiss, le chantage au mariage devient prise d’otage, vrai-faux ratage, assassinat au bord d’une plage et accessoirement confession d’un pion, d’une femme trop sage, trop tard perspicace, à Jésus qui lui pardonnera, comme vous et moi. Le personnage de Coco Chavez, meurtrière à remords, évoque celui de Julia Costello (un salut au Samouraï de Melville) dans le parfait contemporain Snake Eyes, Brian De Palma d’ailleurs remercié au générique final. Coupable et innocente, sa dualité sans perruque blonde ni tailleur immaculé, elle emprunte à son tour un chemin (de croix) vers sa propre rédemption, à main armée, ensoleillée, silencieuse. Cette mise à nu renvoie un chouïa vers la frontal nudity de Beverly Hotsprings, admirez le pseudonyme, alors Vivid girl incluse dans New Wave Hookers 6 – vu les recommandables opus précédents, pas celui-ci, tant pis – et ici extra-terrestre lesbienne du film (X) dans le film maté en intro par le gardien d’immeuble illico amoché.



Il s’agit, avant tout, d’un rôle intéressant écrit en tandem avec une certaine Deanna Fuller par un homme visiblement amoureux, le réalisateur-scénariste Sebastian Guterriez, compagnon de la cara Carla et son collaborateur attitré, en outre scénariste d’un épisode de la sacquée Karen Sisco et des quasiment calamiteux Gothika + The Eye. Avec Carla Gugino, actrice-productrice, Judas Kiss se hisse au niveau d’une double déclaration puisque votre serviteur avoue un fort faible pour l’une des héroïnes du dispensable Sin City et d’une flopée d’autres items d’une filmographie a priori guère folichonne, sur grand ou petit écran, même si le récent Jessie d’après Stephen King intrigue. La jeune femme confère à sa persona pas si bergmanienne, quoique, une sensualité, une fragilité, une moralité qui lui appartiennent et riment un brin avec celles de Melanie Griffith, retour à BDP, à une cinéphilie érotique et mélancolique. Dans Judas Kiss, Carla n’entend plus la tablée scatologique, évocatrice subjectivité sonore en mode Hitchcock (Blackmail) ou Friedkin (French Connection) ; elle identifie la rouerie de son chéri devant un arrière-plan de retours en arrière en split screen ; elle connaît un orgasme trivial et musical à la Almodóvar (Talons aiguilles), suspendue dans une chambre froide tandis que l’expérimenté Junior lui prodigue un réchauffant cunnilingus et que Robert Smith chante à propos du paradis féminin enfui, oh oui. Amusante, émouvante, sensuelle et à l’aise dans sa nudité à peine aperçue, ni exposée ni exploitée, Mademoiselle Gugino représente le vrai cœur, de bonne humeur en sueur, de tristesse heuristique, d’un divertissement bon enfant, inoffensif, exempt de cynisme, certes définitivement à des années-lumière de la noirceur sarcastique thompsonienne, plus proche de l’humour noir de film dit noir coloré décelable dans The Big Easy – Joyce Lakeland & Lou Ford peuvent dormir sur leurs deux oreilles SM, Ellen Barkin & Dennis Quaid continuer à se bécoter selon Jim McBride, avatar de Godard.



Avec son prologue pictural de titles, avec le jazz très cool de Christopher Young, avec son itinéraire téléphonique bien moins dramatique que dans Dirty Harry, avec sa vengeance maritale organisée, en effet téléphonée, littéralement, narrativement, Judas Kiss ne révolutionne rien et n’ambitionne en fin de compte pas grand-chose, sinon de faire défiler une troupe valeureuse au creux d’une tragi-comédie filmée proprement et impersonnellement. On se consolera avec Carla, pierre précieuse, malicieuse, malheureuse, au sein d’un écrin pour ses seins, ses fesses, son sourire, sa beauté, son talent, sa candeur, sa grandeur de muse modeste et sincère. Une fille, des flingues, du fun, JLG ou Lelouch, peu importe, tant que tout ceci nous apporte le plaisir, pas uniquement masculin, de passer une heure et demi de notre courte vie en l’excellente compagnie de Carla, aussi touchante que Coco, aussi troublante que Julia, plus straight que la Lucille de Miller & Rodriguez. Ni Marie-Madeleine ni Judas transgenre, gageons qu’elle saura toutefois vous embrasser, vous embraser, vous amuser, vous émouvoir, en petite sœur brune de Marilyn Monroe et telle qu’en elle-même l’éphémère éternité du ciné la change : Carla Gugino, ipso facto.


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