La Malédiction Winchester : Le Démon des armes


À louer ? À vendre ? Plutôt une propriété de parvenus, voire de vendus.


La bande-annonce présentait un ersatz de la franchise Conjuring (2013-) et ce Winchester-ci, a contrario de celui d’Anthony Mann, estampillé '73, sorti en 1950, ne laissera guère de trace mémorielle chez l’amateur d’horreur. Comme la connerie lucrative de Wan et consorts, il s’inspire de faits supposés réels, petite précaution à la con de greffier sans inspiration, de rédacteur de PV cherchant à faire peur avec la preuve du fait divers, mémère. Très propre sur lui, emballé dans un classicisme soigné mais désespérément anonyme, La Malédiction Winchester (2018) cristallise à sa manière une imagerie de frissons d’aujourd’hui, synthétique et pathétique, à base de hideux CGI et de médiocre mélodrame. Les larmes, on le sait, constituent le substrat de la forêt horrifique, et le deuil, ici multiplié par quatre, bigre, se situe souvent au cœur de la terreur. Les Spierig Brothers ne s’en contentent pas, visent la sociologie et transforment la maison hantée en métaphore des États-Unis cartographiés aussitôt du côté de Frisco, à l’orée d’un célèbre et meurtrier tremblement de terre subi en 1906. Parmi les spectres mutiques à domicile, on trouvera par conséquent sans surprise des Amérindiens et des Noirs, notamment un homme à genoux, chaîne d’esclavage au cou. Par rancunier, le déporté d’Afrique indique au héros blanc les clous servant à emprisonner les esprits marris, au nombre de treize, appréciez la valeur ambivalente du chiffre balèze. Pourquoi donc les trépassés se rendent-ils à minuit pile, au son du clairon, pardon, de la cloche pas moche, dans la piaule de l’héritière excentrique expertisée à la va-vite, selon le désir pressant des actionnaires impatients, inquiets, de sa société, peu portés sur la parapsychologie et davantage enclins au culte du profit, même au prix de milliers d’occis, leurs dossiers bien rangés sur d’austères étagères ?


Parce que la firme fameuse les dessouda aussi sec, pardi. Parce que les fusils fabuleusement efficaces ne craignent aucune concurrence de la part de patins à roulettes en avance sur leur temps, presque anachroniques, quel hic ludique. La culpabilité manifeste de la veuve enrichie par les tueries en série, militaires ou civiles, cf. le massacre du soldat sudiste venu se venger au QG des armuriers, sur une quinzaine d’innocents rassemblés au mauvais moment, à peine aperçus au ralenti, de la perte de ses proches parents, en rime vintage et pasteurisée aux ponctuelles fusillades lycéennes, sinistre spécialité US, s’accompagne d’une véracité du surnaturel auquel le toubib tourmenté, carburant au laudanum, magicien taquin et partouzeur sympa à ses heures, sinon balles, perdues, finit par succomber, avant de se réconcilier avec sa défunte dulcinée, responsable mais pas coupable de son trépas provisoire. Sur le papier, un tel argument désarmant pourrait provoquer l’ire de la NRA, s’inscrire dans le sillage démonstratif et démagogique d’un Michael Moore allant déposer devant la villa de Charlton Heston la photo d’une victime juvénile dans le colossal Bowling for Columbine (2002), propagande politiquement correcte primée par tous les bien-pensants assermentés de Cannes, Paris et L.A. En réalité, le médecin reconnaît ses erreurs, s’en veut d’avoir voulu interner sa moitié qui entendait des voix, un salut à notre Jeanne hexagonale, et revenu d’entre les morts encore plus fort que Bruce Willis dans Sixième Sens (1999) du petit malin mesquin Shyamalan, s’en va régler son compte au fantôme affligé, olé. Même à Melbourne, la morale à main armée, à projectile gravé en love letter littérale, non plus uniquement en argot de truand, on renvoie vers Blue Velvet (Lynch, 1986), relecture sentimentale de son homologue argenté destiné à se débarrasser des loups-garous relous, demeure la même : on tire d’abord, on (se) pardonne ensuite.


Ultime élément rajouté à leur pétard humide par les frérots austraux, jumeaux quadragénaires d’origine teutonne, une architecture en constante expansion, prison de guérison pour âmes en peine sur la voie sereine de l’émotion, de la communication, de la disparition. Là itou, les fondations s’effondrent fissa et le labyrinthe du work in progress ne fait pas long feu, pour ainsi dire à la suite du contexte à crosse. Le décor sent sa modicité, la géographie des parties privatives dictées en écriture automatique nocturne ne déborde point hors de l’espace-temps euclidien, à l’opposé des coordonnées quantiques et anxiogènes de la chambre cauchemardesque occupée par le fiévreux narrateur lovecraftien des Rêves dans la maison de la sorcière. À l’extérieur, la baraque rosée empeste le simulacre cheap d’ordinateur mal utilisé, tandis que son effort de frayeur sonore, de conduits acoustiques reliés aux diverses pièces thématiques, serre ou bibliothèque, provoque le sourire attristé de ceux qui se souviennent des épiphanies phoniques de La Maison du diable  (1963) de Robert Wise, chef-d’œuvre instantané, bâti pour durer, à des années-lumière de cet insipide préfabriqué, de ce tour inoffensif dans un train fantomatique jamais diabolique, malgré sa possession de minot, ni authentique, en dépit du professionnalisme de la suprême Helen Mirren, de la drôle de frimousse rousse de Sarah Snook, du solide Jason Clarke, d’un soupçon d’humour liminaire illico rattrapé par un esprit de sérieux censé masquer le caractère en toc, foutrement creux, de l’entreprise plaisante et désolante, pas une seconde troublante, émouvante. Du gothique sécessionniste entre quatre murs ? Prenez Les Proies (1971), celui de Siegel, certainement pas celui de Madame Sofia Coppola, tête à claques cannoise et fifille de viticulteur surcoté. Un état des lieux à partir d’une perspective puérile ? Procurez-vous Cría cuervos (Saura, 1976). Une filmographie commentée par votre prescripteur préféré, dédiée à l’emprise de la hantise ? Suivez le libellé sis infra.


Tout cela, ce rien pour rien, remporta quand même un gros paquet de dollars, disons sept fois sa mise de départ, et transita en France via le e-cinema, ne riez pas, de l’appellation ni des productions. Évidemment, face aux malheurs du temps, des sédentaires ou des migrants, La Malédiction Winchester ne mérite pas la moindre colère, humains frères à la Villon ou non vivant auprès de nous dans la grande maison de fous. Il ne s’agit que d’un film, comme disent les imbéciles qui ne croient pas à l’au-delà du divertissement bon enfant, ou cynique, ou décérébré, ou empuanti de paresse et d’impiété, qui méconnaissent les puissances mécaniques et métaphysiques d’un art de facto funéraire, que les mecs de cinémathèques s’entêtent à classer septième, amen, qui néanmoins transmue le spectateur, la spectatrice plus ou moins complices en médiums d’une danse macabre, en témoins de phénomènes paranormaux n’étonnant plus personne. Le cinéma, que ça vous plaise ou pas, procède de la fête foraine, du convoi d’effroi, de l’expérience des limites en mode ludique-tragique, a fortiori le territoire de l’épouvante ravissante, du fantastique familier. Avec ses jump scares prépubères, son Scope vert et or, ses notes falotes, transparente partition de Peter S., ce métrage trop joli, trop poli, éventé dès sa scène d’exposition, achevé sur une coda de prévision, s’évanouit au lieu d’éclairer la nuit, se dissout en direct obsolète, le doigt sur la couture du pantalon de la reconstitution et le regard rivé au moniteur de ciné maté, sens duel, prémâché, prédigéré, à consommer sur place ou à emporter avant de l’évacuer aux WC. De quoi, courtoisement, donner l’envie de se tirer une balle dans sa tête vidée de cinéphile et de foutre le feu au manoir du pseudo-cinéma poussiéreux, pas même calamiteux, simplement absolument insignifiant.  

   

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