Cargo : Deux jours, une nuit
Marche et démarche, histoire de couple au cube, promesse dépourvue
d’ivresse.
Cargo commence au crépuscule, heure en
effet magique pour directeur de la photographie et métaphore pour un
continent-Occident au coucher de sa destinée. « Un film original
Netflix » ? Pas tout à fait, puisque développement d’un court homonyme et magistral millésimé de 2013, lui-même viral en bonne logique diégétique. Ben Howling & Yolanda
Ramke viennent de la TV, de la télé-réalité ; ils viennent aussi
d’Australie et leur premier long métrage ressemble parfois à un dépliant
touristique, horrifique, survolé en drone
et lesté de politiquement correct. Au menu du zombie flick peuplé d’infectés à la périphérie du récit, un double tandem père-fille, des paysages d’un
autre âge, propice au temps rêvé local, quelques Aborigènes en survivants
cléments, en gardiens communautaires, voire communautaristes, de la mimi Rosie,
unique Blanche encore immaculée d’enfance. Une gamine s’occupera de
l’orpheline, l’ancien in fine
vainqueur de la raciste et pollueuse modernité, amen. On voit très vite où le duo veut en venir, la randonnée
donnée à voir, moins juvénile et sexy
que celle naguère de Nicolas Roeg, en apprentissage-apprivoisement de
l’altérité, de la solidarité, par-delà les couleurs de peau et les oripeaux
sociétaux, jusqu’au final lacrymal, consensuel et conventionnel. En partie
produit par Kristina Ceyton déjà à l’œuvre sur le similaire et surfait Mister
Babadook (Jennifer Kent, 2014), Cargo (2017) possède une optique
féminine et humaniste propre à réjouir les ravis de la maternité, les
écologistes œcuméniques et les altermondialistes sentimentaux. Les cinéphiles
préoccupés par la Cité resteront quant à eux un peu sur leur faim, souriez ou point,
tant le déclin programmé de la société consumériste paraît bien démodé depuis
l’imagerie suprême de Romero. Les fans
de gore risqueront de trouver le
temps long et l’argument mince, volontiers privés de leur ration de fun carnavalesque, au sens renversant
que le spécialiste Bakhtine donna autrefois au terme.
Sorte de Dernière Vague (Peter
Weir, 1977) déversée sur La Route (John Hillcoat, 2009), Cargo
manque certes d’originalité, de rythme, d’inspiration et de frissons.
Néanmoins, on peut le créditer de plusieurs points, positifs et instructifs.
Tout d’abord, le Sud austral reste presque sans égal pour susciter le sentiment
d’étrangeté, et le cinéma de là-bas, sur lequel je ne reviens pas, que je
laisse au lecteur le loisir de parcourir sur ce blog, sait bien le mettre en valeur, l’utiliser pour faire peur, à
Wolf Creek ou ailleurs. Ensuite, Cargo place au cœur de ce cadre
évocateur un chœur d’acteurs de valeur : citons l’éphémère Susie Porter (Love
Hunters), la méconnue Caren Pistorius, la cancéreuse Kris McQuade ou la
débutante Simone Landers, le convaincant Martin Freeman (Shaun of the Dead), le
solide Anthony Hayes (Animal Kingdom) et le
vétéran-revenant David Gulpilil (Walkabout, The Last Wave, L’Étoffe
des héros, Crocodile Dundee, Jusqu’au bout du monde, Le
Chemin de la liberté). Cargo bénéficie en sus du
savoir-faire de Geoffrey Simpson, DP sur le bien nommé Shine, et du monteur Dany
Cooper (le raté La Reine des damnés). Ouvert sur une vaste rivière à la Eaux
troubles (Greg McLean, 2007), il parvient à installer un climat
eschatologique avec simplicité, subtilité, à esquisser des silhouettes
suspectes ou des ensembles mystérieux, pensons au petit capitaliste piégé, armé,
gazé, voleur d’épouse, à la tribu d’éclaireurs-brûleurs munie de lances
impitoyables. Deux violences se répondent ainsi à distance, à qui la cage et à qui
le feu. La curiosité tua le chat, comme on dit au Royaume-Uni, et un rasoir
peut ici vous coûter la vie. Andy dispose de quarante-six heures pour trouver
un abri à sa Rosie et Thoomie l’accompagne avant de le pleurer, suspendu tel
son paternel au sommet d’un arbre, désormais en sécurité, sommeil éternel ou
âme volée, allez savoir.
Cargo n’en fait pas trop, même s’il n’en
fait pas assez, il réussit à assombrir un anniversaire suicidaire, une
excursion dangereuse au sein d’un yacht
d’amoureux, bruit anxiogène derrière une porte de cabine inclus, il émeut le
temps d’un adieu contrecarré sous un végétal tarkovskien, douceur du soleil sur
le visage tamisé de la condamnée, en rime aux plaisirs simples, littéralement
naturels, de la lépreuse des Délices de Tokyo (Naomi Kawase,
2015). On ne cessera de le répéter : le film classé d’horreur s’abreuve au
mélodrame, incarne au plus près de la chair des terreurs ancestrales,
inguérissables, celles de la maladie, de la mort, de la perte de son identité,
de la perte des siens. Voilà sa grandeur adulte, sa beauté dévastée. Voici son
héroïsme du quotidien, bien moins malsain que les conneries super-héroïques,
comiques ou romantiques, baumes émollients passés à l’envi sur la rétine asservie
chaque mercredi. L’imagerie organique se lit en signe linguistique ou
algébrique doté d’une ambivalence fondamentale, car à la fois elle participe du
conservatisme et complote une révolte, renvoyons vers le King essayiste de Anatomie
de l’horreur et les travaux déviants de Clive Barker. À la fin de la
séance en train fantôme, il demeure un retour à l’ordre du réel ou un appel à
l’insurrection des mortels. En coda de Cargo, on respirera un parfum
mémoriel, charnel, et on reconnaîtra un mobile artisanal, au diable Calder,
accroché à une branche du haut tombeau. Petit opus convaincu, à moitié convaincant, l’effort de Yolande Ramke
& Ben Howling ne provoque aucun hurlement d’extase ni de rage,
contrairement au cri dépité du personnage principal dorénavant en sursis, comme
toi, comme moi, mordu ou pas. Il mérite cependant sa découverte en ligne, par exemple
au cours d’un gris après-midi ensoleillé par la lointaine Australie et
enténébré par la proximité d’un compte à rebours vécu jour après jour, OK, ma pauvre Kay.
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