Vincente Minnelli : The Bad and the Beautiful
Lecture rapide et souvenirs vivants…
Paru en 1973 (ne manque par
conséquent à l’appel cinéphile que l’ultime Nina avec sa Liza), cet
aimable petit livre (rouge, en parfait état) se compose principalement d’un
essai, de documents, d’une bio-théâtro-filmographie, de quatre (cavaliers) cahiers
d’illustrations en noir et blanc sur papier glacé. L’auteur rappelle à juste
titre l’aveuglement critique, entre minoration et adulation ; analyse la
« méthode » et le « langage » du cinéaste ; égrène
quelques « thèmes » essentiels (le lieu, le temps, l’Homme,
l’identité insaisissable) ; examine la valeur spéculaire et
« testamentaire » de certaines œuvres. Des propos personnels (dont de
larges extraits d’un entretien biographique), le découpage d’une séquence
commentée des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse et le monologue du Girl Hunt Ballet de Tous en scène
introduisent à plusieurs témoignages (John Houseman, Gene Kelly, Dalton Trumbo)
et avis (Jean Douchet, Ado Kyrou, Éric Rohmer). Introduction claire et
rationnelle à l’univers minnellien, lui-même volontiers amateur de ténèbres et
de folie, l’opus mérite de prendre
place au côté de l’autobiographie du maître et d’un luxueux album signé naguère
par Patrick Brion, Thierry de Navacelle et Dominique Rabourdin (on possède donc
désormais les trois, merci à la bienveillante qui se reconnaîtra).
Homme de culture et de goût
travaillant au sein d’un système ploutocratique et vulgaire, caractérisé par la réunion
de talents (il dut son entrée à Arthur Freed, perspicace et libéral recruteur),
par l’ensemble des moyens mis à disposition (au prix de son âme, souvent) mais
également par le ressassement d’asphyxiantes formules narratives, commerciales
et « morales », par une suprématie de distribution mondiale vectrice
d’uniformisation des imaginaires, Minnelli, diplomate à fleur de peau, sut
conserver, durant trente-quatre ans et presque autant de titres, une liberté
d’action (de réflexion) et de mouvement (de préférence chorégraphié) assez
exemplaire, parfois contredite (saccage au montage de Quinze jours ailleurs,
par exemple). Protée brillant tout à tour dans la comédie musicale, le
mélodrame, l’adaptation littéraire, la comédie (familiale ou sentimentale), le
film méta, la satire, le drame psychologique, la biographie, le film d’amour,
ce magnifique caméléon au style reconnaissable entre tous demeure trente années
après sa disparition (en juillet, à L.A.) un réalisateur vraiment majeur, un
auteur très attachant et un individu (homo
ou bi, noteront les psys) bien moins
lisse, tout sauf « décoratif », que ne le laisse supposer sa
réputation tenace d’artisan (voire d’exécutant) méritant.
Apollinien et dionysiaque,
célébration de la beauté ou exploration de ce qui la menace chez chacun, en
Amérique et ailleurs, dans la communauté ou l’individu, son cinéma clivé,
particulièrement entre le rêve et la réalité, les aspirations et les
situations, cartographie avec élégance et mélancolie une psyché troublée,
vacillante, superbe et tendre, laisse son spectateur ravi, touché, pourvu à la
fois d’un sourire aux lèvres et d’une gorge serrée. Le Chant du Missouri, L’Horloge,
Ziegfield
Follies, Madame Bovary, Le Père de la mariée, Un
Américain à Paris, Les Ensorcelés, Tous en scène, La
Roulotte du plaisir, Brigadoon, La Toile d’araignée, La
Vie passionnée de Vincent van Gogh, Thé et Sympathie, La
Femme modèle, Gigi, Comme un torrent, Celui
par qui le scandale arrive, Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse,
Quinze
jours ailleurs, Le Chevalier des sables – vingt diamants (colorés, obscurs, grisants, poignants) subjectifs à
redécouvrir/réévaluer sans tarder, dans le sillage de Mademoiselle Vidal.
Fassbinder, nul ne l’ignore, idolâtra Sirk, à raison ; depuis
l’adolescence, on aime sincèrement, immensément, Minnelli. « Au milieu du
chemin de la vie », nous continuons, à vivre, à écrire et à l’aimer.
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