L’Ange du mal : Miracle à Milan


Sous-titre ironique pour un ratage quasi intégral…


Il fallut par conséquent – tu l’achètes en solde, tu le visionnes en DVD, stronzo français – subir jusqu’au bout (admirez notre conscience cinéphile, à défaut de notre exécrable morale citoyenne) de ses cent six interminables minutes (auxquelles rajouter la demi-heure des suppléments superfétatoires, supplice moins longuet, toutefois, que le contemporain pensum en deux parties sur le transformiste Jacques Mesrine commis par Jean-François Richet) ce téléfilm de luxe (champs-contrechamps scolaires, shaky cam à la Ridley Scott durant les braquages) baigné dans un bleu paresseux (ça fait riche et sérieux, ça affiche la couleur supposée du polar) et un glamour (les costards de marque, la came à s’injecter les yeux révulsés, les gonzesses à démailloter dans la piscine de parvenu, le fric comme un abus de friandises propice à de piètres rêves de réinvention existentielle et brésilienne, les truands entre eux, toujours un peu homos mais pas trop) berlusconien (l’ombre dérisoire, outrancière, cynique et ploutocratique du fringant et caricatural Cavaliere d’opérette plane sur un territoire cinématographique allant du trivial Démons de Lamberto Bava à l’arty Il divo de Paolo Sorrentino, en passant par l’autofiction de Scarlet Diva d’Asia Argento, l’anémique Arrivederci amore, ciao de Michele Soavi, l’artificiel Reality de Matteo Garrone et même Le Caïman sans mordant de Nanni Moretti).



Tout ici respire l’inodore parfum (de femme) de la reconstitution vintage « le doigt sur la couture du pantalon » (d’époque), tout empeste le biopic insipide (écueil de la mythification, voire de l’absolution, évité, tant mieux et alors, au profit d’une chronique chronologique dédiée à un personnage violent et sympathique), l’ersatz endimanché, in fine assez politiquement correct, de poliziottesco (cf. a contrario « l’ordure » réjouissante de Tomás Milián pour L'Exécuteur vous salue bien). Cela ne suffisait pas et une distribution défaillante se met au diapason (Kim Rossi Stuart, extrait de sa caverne rosée/dorée, évanoui des nuages antonioniens, libéré du gentillet Libero, se voit bien mal entouré, ne délivre qu’un seul ton tout du long, la liberté charmeuse et rageuse dépourvue de but, histoire d’aller vite). Vrai, le portrait soi-disant psychologique de ce Lucifer de la banlieue lombarde se réduit à un « Je suis né pour voler » asséné au début et à la fin de l’œuvre superficielle, à l’attention des déficients cognitifs du dernier rang, tandis que ce projet ancien (réchauffé, brièvement rattaché au nom d’Alain Delon) et polémique (la bien-pensance pharisienne sévit dans le « genre » depuis le Scarface de Howard Hawks, on le sait ; elle prend à présent le deuil doloriste, lobbyiste ou syndical, de la « défense des victimes » et de « l’honneur de la police ») refit surface à l’improviste, ne déchaîna pas (euphémisme spéculaire des chiffres modérés du box-office) de passion critique.



Afin de se consoler de cette soirée gâchée, il ne reste que la beauté avortée, entrevue, amoureuse et radieuse, de Federica Vincenti (par ailleurs la compagne de Michele Placido, persiflent les contempteurs de l’inceste professionnel propre au « septième art »), son sourire et son décolleté, sa coupe de cheveux à la Renée Falconetti chérie, cependant privée (heureusement pour elle ?) de bûcher. Oui, hélas, disgraziato amico, tu ne pus que constater, impuissant, suffocant, la désillusion renouvelée, après le déjà très surfait Romanzo criminale (chorale de soap ou de « porno chic » à mettre en parallèle avec la fresque historique et intimiste, télévisuelle et solide, du Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana), tu te bornas à traquer le fantôme d’un acteur-réalisateur autrefois prometteur (émouvant Mery per sempre, Les Amies de cœur for ever). « Siamo tutti morti » éructe un Judas fraternel et drogué suriné en prison avec une croix d’occasion (ah, l’héritage culturel catholique) – désolante moralité d’un film désincarné, inanimé, prédigéré, tel l’acte de décès sinistre et supplémentaire d’un certain cinéma italien, que nous aimâmes tant, qui s’abolit aujourd’hui dans le vide et le ressassement (que son homologue hexagonal, perfusé par la TV, par l’État, par d’émétiques succès, se garde bien de fanfaronner, avec ou sans Vittorio Gassman & Jean-Louis Trintignant). Pastichons l’accroche plaisante et provocante d’Assassin(s) du revendicatif (risible, corrigent ses détracteurs) Mathieu Kassovitz (au côté de Daniel Auteuil dans Le Guetteur du même auteur, quitte à choisir un commissaire dénommé Mattei, restons-en à limprobable et magistral André Bourvil dans Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville) : toute société (transalpine, par extension européenne) suscite finalement la filmographie qu’elle mérite.

Bonus collectif en guise de PS péninsulaire via des voyages en Italie, dont celui de Rossellini, ici

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