Choke : Shame
Complexe fœtal, boule anale, affranchissement filial…
« Suck my cock until you choke ! »
professent parfois les poètes US du X numérique ; assurément, nul de
s’étouffera de cinéma devant ce téléfilm cacochyme qui transforme les drolatiques
Monstres
invisibles, très américains, très humains, de Chuck Palahniuk – dans un
registre assez similaire, on peut préférer à ce Gore Vidal hétéro le méconnu et
moins célébré Harry Crews, auteur des excellents La Malédiction du gitan et
Body
– en bluette psychanalytique gentiment sacrilège (baiser dans la chapelle de la clinique en écoutant ses battements
de cœur au stéthoscope, affabuler à propos du prépuce de Jésus) et doucement
endeuillée (survivre à la mère morte), sur fond spermatique (pas sur le tapis,
implore la fausse violée), historique (un village costumé à la Michael Crichton
ou Shyamalan reconstitue l’époque du Mayflower) et humoristique (on se surprend
à sourire à quelques répliques). Cela parle beaucoup sans ennuyer vraiment
(Joel Grey apparaît en maître de cérémonie du cabaret thérapeutique), cela joue
les creuses silhouettes de passage, cela délivre comme morale ultime le fait de
s’accepter, de suivre son propre chemin, par-delà les rôles sociaux imposés,
les différents types de toxicomanie personnelle (le sexe, ici, épisodique,
mécanique, anecdotique et jamais incarné, car en conflit avec l’amour, le « vrai »,
ce lénifiant produit de consommation en signe biodégradable de la collusion
entre le courant dit indépendant et la lobotomie du spectaculaire hollywoodien) ;
Sundance lui fit bon accueil (distribution récompensée) et nul ne s’en
étonnera, hélas.
Ce qui rédime (à peine) la comédie
noire virant vite au rose ? Ce qui fait avaler l’éloge narratif (paresseuse voix hors-champ,
superfétatoires retours en arrière) de la chimérique, voire repoussante (dans
son eugénisme, sa « prise en charge médicale »)
« normalité » (l’actuel locataire élyséen, déjà en campagne, nous
dégotera un autre risible « concept » pour 2017) ? Ce qui sauve
la si modeste entreprise, de budget, surtout d’ambition ? La présence des
actrices, que surplombe la grande Anjelica Huston, mother de travers, improvisée,
déraisonnable et déraisonnée, perdant l’esprit, volant un enfant, héroïne de
son propre « roman familial », de son odyssée doublement illégale (l’abus
de colle sniffée nuit à la santé, à l’appréhension de la réalité) relisant
celle des pionniers de la Frontière. Atteinte d’Alzheimer, les cheveux blancs,
clouée dans un lit et transportée d’étage en étage plus fatal les uns que les
autres, à mesure que son état empire (pensons à la fuite impossible des
habitants de l’immeuble maudit de Vian décrite dans Les Bâtisseurs d’empire),
ou bien brune à lunettes noires dans l’éclat de sa maturité incestueuse (nous
revient le vif souvenir de sa blonde Médée des Arnaqueurs de Frears
adaptant judicieusement l’immense Jim Thompson), sauvant la vie du gosse dérobé
(il finira par la dénoncer), adopté, au volant d’un bus scolaire à la Scorpio
mais sans Harry Dirty Callahan,
l’actrice talentueuse (joli premier film réalisé que son Agnes Browne),
joycienne et proustienne dans Gens de Dublin signé par son père
testamentaire, mélancolique et (un peu) autobiographique dans Crossing
Guard (ah, Jack Nicholson, son amoureux perdu), ranime durant deux ou
trois scènes le cadavre inoffensif.
Citons en outre Kelly Macdonald (vue
chez les Coen) en médecin maniaque (Poe se planque, goudronné-plumé), Paz de la
Huerta (aperçue chez Noé) en nymphomane au cocard nommée d’après l’égérie
éphémère du Velvet Underground, Gillian Jacobs (croisée chez Richard Kelly) en strip-teaseuse amoureuse du
meilleur ami de l’étalon dépressif (un bon gros géant créatif, ex-onaniste),
boudeuse ingénue citant les épîtres de Paul ou Bijou (quel délicat prénom !)
Phillips (torturée chez Roth) en délicieuse baratteuse branleuse (au cours du
dispensable commentaire audio, l’acteur-réalisateur-scénariste plaisante en
affirmant que dans un film français, elle agirait pour de vrai), Heather Burns
annonçant le jeu de rôle d’Isabelle Huppert chez Verhoeven et, last but not least, Alice (Mitchell) Barrett, souriante
initiatrice bien décidée à s’envoyer en l’air, au propre et au figuré, autant
d’avatars d’un unique et polysémique « principe » féminin, peut-être
éternel, selon Goethe. Voici la direction à suivre, le « contient
noir », aveuglément clair, de la sexualité du « deuxième sexe »
à explorer (cf. Buñuel et Belle de jour), que cette pochade
mollassonne se garde bien d’emprunter, de cartographier, avec son maladroit
mélange de tons et une absence rédhibitoire de rythme, de discours, hors la
résolution (puritaine) du conflit (immature) entre Éros et Agapé, le sexe et
les sentiments, la chair et l’émotion, persistante dichotomie judéo-chrétienne
naguère étudiée par un Denis de Rougemont.
Le trajet sans but, finalement
déplaisant dans sa perspective à courte vue – pas d’amour sans amour, du même niveau que la pluie, ça mouille ou la
guerre, ça tue des gens – s’achève sur du Radiohead (le Reckoner
employé jusqu’à la nausée par les JT de France 2 en requiem de leurs diaporamas dédiés aux canonisés caricaturistes
anticléricaux) dans les toilettes d’un avion (remarquez les consignes de
sécurité en français sur la porte), tandis que les « deux tourtereaux »
(pas Melanie & Mitch chez Hitch), enfin réunis, rejouent la comédie romantique
de l’addiction sexuelle (Clark Gregg, fils de pasteur à l’instar de Bergman et Haneke,
doit ignorer le final ironique d’Orange mécanique, qui s’en
soucie ?). Happy end de routine,
« sensibilité » acquise (Cronenberg, candide, interrogeait la
satisfaction « humaniste » du public réjoui par une copulation « progressiste »,
« les yeux dans les yeux », dans La Guerre du feu et gageons que l’on
puisse pratiquer la sodomie avec une tendresse respectueuse), traumatisme scolaire dépassé
– pas de quoi succomber à une estouffade de galéjades (Tom Mancini, le
protagoniste pique-assiette, feint la « fausse route » dans les
restaurants), se masturber en quête du grand vide libérateur (« petite
mort » en répétition de la cosmique, horizon intergénérationnel
transgenre, même les mamies ruminant une main au « minou »),
puisqu’il se déroule et s’accomplit sous nos pupilles plaintives, cependant (malgré
tout) séduites par une galerie d’héroïnes (remplie de sperme, étouffée au pudding chocolaté, mais ni « objets »
ni « victimes », Dieu merci) qu’apprécierait sans doute le brillant (obsédé ?) Frank
Miller, pastiché par l’affiche, à Sin City ou ailleurs…
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