Hier, aujourd’hui et demain : Voyage à deux
Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Vittorio De Sica.
Le film, bien sûr, repose entièrement
sur les épaules brunes et fermes de Sophia Loren, ici en trois exemplaires, Sainte-Trinité
féminine propice à faire se damner un saint (ou un séminariste, celui du
dernier segment), Amazone italienne en duo avec son ami Marcello Mastroianni,
lui-même reflété en trois avatars complémentaires du « mâle transalpin »,
grand enfant mélancolique sous la faconde et toujours soumis à son égérie
nourricière, qui le materne (autant que les gosses innombrables de la première
histoire, conçus avec cynisme mais chacun adoré), le houspille, le rend dingue
ou s’en débarrasse comme un mouchoir en papier (ceux du client privé de « bagatelle »
et réduit à prier au côté de sa chère prostituée de cœur !) : De
Sica, très loin du Voleur de bicyclette, de La Ciociara (Sophia et sa fille violées
par des Indigènes) ou du Jardin des Finzi-Contini – et dans
leur prolongement, cependant – dresse un instantané de trois femmes/villes qui,
associées dans la forme bâtarde du film à sketches,
recomposent un portrait éclaté de l’Italie d’alors, prolétaire, bourgeoise, catholique.
Les ruelles de Naples constituent une
scène à ciel ouvert (sensualité du ciel bleu, des murs pastels) où parade le
petit peuple et ses cigarettes illégales à vendre, où les mères font de la prison avec
leurs rejetons, où un « étalon » épuisé se voit recommander du repos. À
Rome, en surplomb de la piazza di Spagna,
la péripatéticienne généreuse et enjouée affole les ecclésiastiques et les fils
d’industriel, dans son appartement-boudoir-bonbonnière. De Sica filme ces
théâtres, naturel ou de chambre, aéré ou en huis clos, avec une vraie maestria, dans un écran large qui jamais
n’emprisonne mais permet aux deux brillants comédiens d’exécuter leur partition
avec finesse et sans effet (aucune vulgarité dans cette comédie de la vie,
encore marquée par l’héritage de la guerre et du fascisme, au détour d’une
situation ou d’une réplique au téléphone), déjà dans le « miracle
économique » des années 60. Le soleil brille, les femmes parlent fort
(avec un pseudo-accent marseillais dans la VF, comme dans Le Petit Monde de don Camillo !)
et il suffirait d’un rien pour que le film, sympathiquement anecdotique, ou l’inverse,
bascule dans le mélodrame ou le prosélytisme (Cesare Zavattini, théoricien et
scénariste du néo-réalisme, à la manœuvre).
Pourtant, la « vraie »
valeur de Hier, aujourd’hui et demain ne se situe pas là, ni dans le strip-tease innocent et frustrant de
Sophia face à un Marcello « cartoonesque » (qu’il en faut, du talent,
pour ne pas succomber au ridicule, celui de pousser de petits grognements ou de
retirer ses longs bas langoureusement !). Pour nous, le meilleur se trouve
entre les deux épisodes principaux, au niveau de la narration et de la durée, à
la jonction des deux peintures agréables
mais convenues du folklore et de la mythologie de la « comédie à l’italienne ».
En un quart d’heure à peine, avec une femme trop riche et son amant levé au bord de l’eau, De Sica, admirablement
épaulé par le grand directeur de la photographie Giuseppe Rotunno (Fellini et
Visconti, mais aussi Kalidor, Wolf et Le
Syndrome de Stendhal), relit la fin de La dolce vita, pastiche (voire
parodie) Antonioni et annonce David Cronenberg (celui de Crash).
Dans une brume milanaise, et non plus
originaire de Ferrare, celle, disons d’Identification d’une femme et Par-delà
les nuages, dans un Voyage à deux et en voiture très
différent de celui de Stanley Donen, il nous donne à voir un couple mal assorti
en train de se séparer, un homme et une femme désunis par leurs personnalités, leurs pedigrees, accidentés dans leur adultère par une collision avec un engin
agricole ou routier, énigme prolétaire placée là par le sort ironique, tel ce
gamin vendeur de bouquet improbable qui la cause. Anna, revers amer et
méprisable d’Adelina et Mara, traverse sa vie en Emma Bovary munie d’une
Rolls-Royce, catafalque ambulant et monstrueux face à la pauvre Fiat 600 de son
sex toy vivant pas même fichu de
changer une roue. Le réalisateur donne une leçon de réalisation avec des
travellings latéraux rapides et caressants, des décadrages qui isolent, des raccords
dépourvus de la paresse du champ-contrechamp. Une saveur fantastique, presque
anxiogène, surgit de cette virée, avec son deus
ex machina (le mot italien pour voiture, avec un second « c ») inattendu
(le compositeur Armando Trovajoli en personne !) et rouge comme l’Enfer.
On pense à Terence Stamp dans Il ne
faut jamais parier sa tête avec le diable, le funèbre épisode de
Fellini pour Histoires extraordinaires, on pense aussi au Fanfaron
de Risi, autre fable économique et automobile achevée de façon bien plus tragique ;
De Sica, d’après Moravia, ne se contente pas d’une mini satire de la
bourgeoisie, il parvient à s’aventurer dans une zone indécise et spectrale, en
présage au poignant et inspiré L’Accident de Douglas Buck dans The
Theatre Bizarre. L’existence s’apparente à un trajet sur roues, avec l’horizon
rêvé/redouté, les surprises des rencontres, les abandons en bord de route et la
mort, toujours présente dans son absence, qui nous attend patiemment au bout du
chemin, peu importe la classe sociale, peu importe la localisation géographique, peu importe le désamour. Marcello, autrefois
paparazzo, ne pouvait que hausser les
épaules et sourire tristement à son petit ange gardien sur la plage fellinienne ;
ici, il se lève, marche, oublieux de la dépanneuse prévue, et sourit en
regardant les pauvres fleurs achetées au gosse anonyme, bouleversant et
mystérieux avec ses taches de rousseur – la vie continue, les amours passent et
trépassent, et le cinéma sublime notre drame existentiel, jusqu’à la prochaine
sortie de route, définitive (« Maybe the next time, darling »
promettait James Spader à sa chère et tendre Deborah Kara Unger, tous les deux
enlacés à moitié morts près de la carcasse de leur véhicule)...
Merci pour ce voyage cinématographique empreint de vérité, finesse, tendresse...
RépondreSupprimerFiorella Mannoia - In viaggio https://www.youtube.com/watch?v=aH0HJe60Z6c
Merci à vous pour la découverte de cette interprète ; sa chanson de saison :
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=_HEYrqVqDM0
Sanremo 2019 - Fiorella Mannoia e Claudio Baglioni cantano "Quello che le donne non dicono" https://www.youtube.com/watch?v=X4V-EeBP1IE
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=HJEyNsVqkok
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