Deux frères
Un métrage, une image : Faux-semblants
(1988)
Dans leur appartement en désordre, lui-même
dédoublé en cabinet (de consultation
mais aussi d’aisance, tant l’accouchement voisine avec les excréments, selon
une phrase célèbre attribuée à saint Augustin) dévasté, les deux jumeaux enfin
reposent, et la coda du délire des « gynécos »
(rôle refusé par un certain Robert De Niro) devient pietà ; séparés à la naissance, ils se retrouvent dans la
mort, réunis par une effroyable opération d’émancipation. Mon infidèle reflet, ma trahison spéculaire, tu te mires en moi, tu
sondes en mes abysses ton propre abîme, qui te fixe en retour (de Wilhelm
Reich, on passe à Nietzsche). Le suicide des deux frères (pas ceux d’Annaud),
itératif de la filmographie du cinéaste, acquiert ici une inoubliable beauté
sacrée/éviscérée : le langage des corps, par-delà cette mort atroce et sereine,
tresse l’anatomie à l’iconographie (religieuse) et le thème musical majestueux
signé Howard Shore, qui accompagnait le terrible générique avec ses instruments
chirurgicaux « déments » et historiques, s’élève à nouveau.
Le mélodrame médical apporta au
« docteur » Cronenberg la reconnaissance critique et publique, la « nouvelle
chair » des images ouvrit de nouveaux horizons à la fiction, avec des
« fins ouvertes », des survivants qui s’interrogent sur une
éventuelle participation au jeu existentiel et mortel de la vie (Le
Festin nu, Crash et eXistenZ, justement), tel Ben
Gazzara dans l’ultime plan « à nu » de Meurtre d’un bookmaker chinois.
L’affiche peut relire le triolisme séminal et doux-amer de Truffaut (Jules
et Jim), annoncer celui des psychanalystes totémiques désunis par la
patiente hystérique (faussement, car aussi équilibrée, in fine, que la bien nommée Claire Niveau, pourtant actrice de son
état et, par conséquent, professionnellement portée à tous les dédoublements,
suivant le « paradoxe du comédien » énoncé par Diderot) dans A
Dangerous Method : voici une histoire d’amour fraternelle et masculine
littéralement déchirante, impossible et létale. Les deux hommes enlacés dorment
en paix, pour l’éternité cinéphile – chérissons longtemps ce souvenir, mais ne
les réveillons pas…
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