Vertigo Days : Strange Days
Adoucir les mœurs ? Créer du bonheur…
Pour Patrick
Strange days
have found us
Strange days
have tracked us down
They’re going
to destroy
Our casual
joys
We shall go
on playing or find a new town
[…]
Strange days
have found us
And through
their strange hours
We linger
alone
Bodies
confused
Memories
misused
As we run
from the day
To a strange
night of stone
Jim Morrison, Strange Days
Une amie mélancolie, grande et
allemande, traverse en vérité la valeureuse traversée de ces vertigineuses
journées : dès 1967, les Doors annonçaient le décès de l’époque utopique
par un titre distordu et fatidique ; en 2021, les frères Acher des Notwist
diagnostiquent une glaciation intérieure, quel malheur, cherchent à
(s’)échapper à eux-mêmes, sinon à ce qui les suit, une pensée pour It
Follows (David Robert Mitchell, 2014), préoccupés d’un spectre, sans
doute celui, enfui, de notre autonomie, physique et psychique, une pensée pour Le
Fantôme de la liberté (Luis Buñuel, 1974). S’il faut se dénommer Lana
Del Rey afin de faire rimer grenadine et quarantine
(Black
Bathing Suit, sur Blue Banisters, 2021), le tandem teuton, bien entouré d’invités
triés sur le volet, prend acte du psychodrame pandémique, mondialisé du Nord au
Sud, en effet, ne succombe au sirop souvent rose et morose de la pop interlope. Poétique et politique,
lyrique et ludique, Vertigo Days enchaîne ses items à la manière douce-amère, disons
d’hier, du What’s Going On (1971) de Marvin Gaye, du Berlin (1973) de Lou Reed,
autres tableaux, in situ, de l’intime et du sociétal,
(dés)accord incontournable, s’apparente ainsi à un trip (dés)enchanté, enchanteur, parmi la nuit et la peur. Il ne
s’agit certes pas, pas une seule fois, de rock
expressionniste, à la Marquis de Sade, à la Darcel & Pascal, je pense
surtout à Dantzig (no)Twist (1979), à son spleen à plein européen, cependant,
comme avant, dans les films d’antan, rassemblés sous ce classement, le
basculement excède le moment, la perte d’équilibre ne se limite au collectif, le
jeu sérieux rejoint le doute et l’incertain d’une sensibilité existentielle,
tour sauf à la truelle, puisque sertie au sein de la stimulante délicatesse
d’une esthétique cosmopolite plutôt que hétéroclite.
Les styles et les influences
affichent ici une vraie convergence, une éclairée, éclairante, cohérence. « I’m
gonna love you/Till the stars fall from the sky/For you and I » susurrait
Morrison (Touch Me, Robby Krieger, 1969) et Into Love/Stars réplique à l’identique, passe du fall on au fall for.
Le Dealer de Del Rey sonnait
occupé, le parleur-marcheur de Exit Strategy to Myself, pourtant
pas aphone, au total all alone (à
Babylone, opine Birkin), ne répond au téléphone, qui en vain résonne, appels
solitaires d’un désastre planétaire (Where You Find Me), à rendre pâle l’allongé,
l’opiacé, le tourmenté Robert De Niro de Il était une fois en Amérique
(Sergio Leone, 1984). La Terre déraille, à moi-même me ramènent les rails (Loose
Ends), face à des pistes, des possibles, en forme de lignes de
fuite(s). Un feu, fertile ou affreux, s’affirme (Into the Ice Age + Oh
Sweet Fire), diptyque de saison(s), à l’unisson, à l’ombre rouge de
l’action, de la réaction, voire de la révolution, Leone ne déconne. Jim parlait
de nuit de pierre, fais ton américaine prière, Markus, la tête dans les nuages,
les pieds empierrés (Sans Soleil, intitulé français, eh
ouais), insomniaque (Night’s Too Dark), ne se soucie du
Ciel, adoube sa belle. Strange Days, on s’en souvient, se
terminait sur les onze minutes méta de When the Music’s Over, coda
écologique, requiem amical. Vertigo Days, au terme de quarante-cinq minutes de calme tumulte, prend congé
en boucle bouclée, via un Into
Love Again retrouvé. Toujours narratif, jamais dépressif, il constitue
par conséquent une surprise assez excellente, un disque lucide à la grâce
translucide, à la gravité de leçons données délestée.
La pochette inspirée, à la
photographe japonaise Lieko Shiga piquée, au passage spécialiste du fantastique,
de la mythologie, des ravages et des redémarrages de tsunami, symbolise cette
dialectique entre le cauchemardesque et l’onirique, arbuste électrique
ésotérique, wedding veil à soulever, à révéler, mariage de
l’outrage et du courage. Que nous observions et subissions, chacun et chacune à
sa façon, en critique sceptique, en soumis mouton, en aquoiboniste à la con,
attendons les élections, ben voyons, des jours de misère, des jours de colère,
cela, personne ne le contestera, en tout cas pas moi, mais le mensonge ne
dissout le songe, au contraire le rend nécessaire. Contre les connards, les
milliards, le cynisme, le surcapitalisme, les interdictions, les
discriminations, la musique demeure un remède authentique, une bouffée
d’oxygène à l’opposé de l’air anxiogène, une puissance percutante capable
d’écarter, provisoirement, en profondeur, le pouvoir de la propagande, le
Pouvoir et sa propagande. « Les films libèrent la tête »,
philosophait le compatriote Fassbinder, les morceaux idem, a fortiori d’une telle veine, inquiète et
sereine. L’art petit-bourgeois, qui ne choque, ou alors choque en toc, qui
conforte, réconforte, mâtiné d’humanisme autoproclamé, synonyme de moralisme à peine
dissimulé, je vais t’apprendre comment composer, te comporter,
penser, dépenser, baiser, te faire baiser, laissons-le aux VRP de la nouvelle
normalité, invitons vite à découvrir les types et les filles de The Notwist,
leur(s) chant(s) de maintenant et de longtemps.
Bel hommage !
RépondreSupprimercomme un écho peut-être un peu plus franchouillard avec en curieux et prophétique reflet le fantomatique Denis Lavant:
Feu! Chatterton - Écran Total (Clip)
https://www.youtube.com/watch?v=MBYCbMGjUNY
https://www.youtube.com/watch?v=90X62itERcY
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