Milan calibre 9 : Pour une poignée de dollars

 

Des magots, des salauds, la déroute à défaut de Beyrouth…

Prologue over the top, durant lequel Adorf y va fond, dégoûté, doublé, puisque simple papier à la place de précieux billets, fait fissa sauter à l’explosif trois complices, auparavant les tabasse, les balafre, leur fracasse la face sur un vase, les féministes, surtout seventies, s’en horrifient. Pourtant, passées disons ces dix premières minutes de cumulatif tumulte, manifeste sans conteste de vivace violence et néanmoins, ou en conséquence, d’anti-réalisme assumé, Milan calibre 9 (Di Leo, 1972) pose un regard neuf sur une imagerie sous peu rassie, très liée au ciné, à l’Italie, de la décennie. On se voit surpris, sinon ravi, par la justesse des situations, des émotions, le souci de la psychologie, de la sociologie, certes pas celles de la poussière littéraire et universitaire. Réalisé par un vrai réalisateur, dépourvu de peur, en sus scénariste et dialoguiste, d’ailleurs collaborateur de Leone, Tessari, Fulci, Corbucci, Paolella, Ferroni ou Deodato, le métrage de son âge portraiture un ancien prisonnier, en apparence déterminé à se disculper des accusations de dissimulation, pris entre le gros étau de l’organisation, pragmatique, de l’institution, ironique. Aussi expéditive que l’introduction, la coda démentira cela, sorte de chemin de croix drolatique où le fric réside, logique symbolique, culture catholique, au sein d’une petite église en ruine, conclusion comme convention, car recours au criminel coupable, à la femme fatale, au jeunot tireur dans le dos, archétypes en aucun cas héroïques, le triangle de macchabées, voire de vaudeville, par un massacre de villa, de séides en costards noirs, de rescapé (in)conscient, very vénère, précédé, olé. Le dessillement in extremis paraît autant une démonstration de moralisme qu’un paraphe de pessimisme : au milieu du Milieu, on baise, on se fait baiser, la vérité se (dé)valorise, le mensonge ronge.


Arrivé trop tard, le devenu admiratif Adorf malmène maintenant le traître amant, tandis que la belle et cruelle Nelly gît le visage en bouillie, que le mélancolique et costaud Ugo demeure immobile, tombé, plombé, personnification pas à la con des « années de plomb », en effet. Au terme d’une trinité d’atrocités en rime et en replay de l’homologue liminaire, précité, l’ex-harceleur éclate d’une quasi amoureuse fureur, ésotérique pour les flics. Deux ans avant, des Alpes de l’autre côté, on retrouve une semblable masculinité solidaire et tourmentée, en train de subir ou d’épouser une sombre destinée, d’accomplir une danse macabre, hivernale, de silhouettes en sursis, à l’amitié un peu pédée – Le Cercle rouge (Melville, 1970), of course. À la cérémonie mortuaire de Jean-Pierre, cartographie collatérale d’une France déjà giscardienne, glaciale et glaçante, se substitue l’étude in situ, selon Fernando tout sauf falot, d’un pays depuis longtemps pourri, en proie au capitalisme structurel, peut-être éternel, des « banquiers », des « industriels », des policiers et des magistrats scélérats, dont le gangstérisme à domicile, « marseillais » ou « allemand », ne représente en définitive que la partie la plus visible, offensive, miroitée, menottée. Via la voix en calme colère de son second et premier de sa promotion commissaire, obligé de s’exiler, pas assez rusé, aveuglé, pas au service des « riches », fonctionnaire a fortiori marxiste, Di Leo duplique le parallèle des deux systèmes, démontre en sourdine que la délinquance en société ne relève de l’inné, dommage pour le pas rigolo Lombroso, mais de l’acquis, des conditions de (sur)vie indécentes, malveillantes, réservées à la « masse des méridionaux » montés en haut, du Sud vers le Nord, en quête d’un hypothétique et tragique trésor, du sort attribué, évidente et (il)légale inégalité, par les riches aux « étudiants » et aux « ouvriers ».

Milan, filmée vaillamment, avec lucidité, sentiment, s’avère un cimetière à ciel ouvert, celui des incestueux truands, des honnêtes gens. Le communisme de Mercuri, écœuré, pipe à la Maigret, de la générale incurie, demandant sa mutation, par exemple en profonde Lombardie, recoupe à sa manière amère le constat du clairvoyant « parrain » atteint de cécité, retraité, au rabais, exécuté, vengé. « La mafia morte », demeurent des « bandes » obscures et transparentes, de came et « en concurrence », soumises à un (dés)ordre supérieur, majeur, Atrides de parricides instrumentalisés, au profit provisoire d’une police stupide, s’abstenant de penser, confondant les « causes » et les « effets ». En écho émancipé, molto personnalisé, au maestro Giorgio Scerbanenco, Milan calibre 9 carbure donc à la collusion, à l’extermination, à une tristesse et une impuissance de saison, qui (per)durent, pas seulement sur la Péninsule. Incipit de trilogie, l’opus politique, commencé sur une tour phallique, un tueur à tic, un trafic en public, parsemé d’« amnistie », de problématique pénitentiaire, de réforme judiciaire, de mots croisés aux cadres en verre et grande glace cassés, à écarlate canapé poignardé, d’un « Américain » PDG olympien, point serein, à téléphones en trio, à croix en solo, d’une danseuse amoureuse, trompeuse, bienvenue, parvenue, d’une némésis en blouson rouge, écharpe blanche, d’un marché minable, informateur de malheur, de terrorisme fictif en gare de désespoir, Piazza Fontana te revoilà, s’apprécie ainsi en polar noir, en perle pareille, en état des lieux acrimonieux, en parabole percutante à l’actualité éclairante. Si tout ceci ne vous suffit, accompagnons-le d’un casting choral impeccable, implacable et du score ad hoc de l’incontournable Luis Bacalov, escorté des mecs d’Osanna, oui-da. Une pépite préhistorique ? Une réussite authentique.

Commentaires

  1. Beau billet instructif, une pépite en effet, façon le code d'honneur perdu de La Mafia à l'ancienne...
    ce qui n'est pas peu dire, plus ça va moins ça va...
    L'Empire Du Crime - de Fernando Di Leo https://www.youtube.com/watch?v=1sTJJu1LVVc

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    1. http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2022/01/les-tueurs.html

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