Balzac et la Petite Tailleuse chinoise : Honorer Honoré

 

            « Qualité française », à l’aise ou malaise…

Eugénie Grandet (Xavier Giannoli, 2021) puis Illusions perdues (Marc Dugain, 2021) ne devraient guère déplaire à Jacqueline Waechter, cependant, de Balzac à nouveau adoubé, adapté, cette double dose interroge. Tandis que Mon petit doigt m’a dit… (2005), début de sa trilogie jolie, suivi du Crime est notre affaire (2008), Associés contre le crime… (2012), d’après l’increvable et vénérable Agatha Christie, connaissait un certain succès, Bertrand Blier, de Canal+ invité, taclait Pascal Thomas, « on en est là », oui-da. Dans le cas qui nous occupe, un peu nous préoccupe, le passé paraît sans cesse (re)présenté, puisque Balzac au cinéma ne date pas d’hier, plutôt du temps des Lumière, de celui d’Alice Guy la pionnière, donc, par corrélation, de Léon Gaumont (La Marâtre, 1906). Lestée d’une bonne centaine de transpositions plus ou moins à la con, dont quelques curiosités situées du côté de la TV, Le Curé de village (1970) de Jean-Louis Bory ou La Grande Bretèche (1973) d’Orson Welles, Une fille d’Ève (1969) + Albert Savarus (1993) d’Alexandre Astruc, Les Secrets de la princesse de Cadignan (1982) de Jacques Deray, La Femme abandonnée (1992) d’Édouard Molinaro, localisées au creux d’un corpus peuplé des « habituels suspects », énumérons les noms de Claude Barma, Maurice Cazeneuve, Marcel Cravenne, Georges Folgoas, Alain Tasma, Jean-Daniel Verhaeghe, auquel convier deux CV, Un grand amour de Balzac (Jacqueline Audry & Wojciech Solarz, 1973), Balzac (Josée Dayan, 1998), gare au cumulard Gérard, naguère Le Colonel Chabert (Yves Angelo, 1994), aujourd’hui au générique du Giannoli, la filmographie balzacienne ne fait des siennes, se moque des époques, nous enterrera tous, les miroirs et les fantômes, les femmes et les hommes.

Muette ou parlante, obsolète ou stimulante, d’ailleurs ou d’ici, disparue ou reconnue, elle aborde même mon blog, L’Homme du large (Marcel L’Herbier, 1920) et La Belle Noiseuse (Jacques Rivette, 1991) tandem en forme d’hommage davantage que d’outrage. On y croise encore, au fil fidèle des décennies enfuies, Carmine Gallone (Histoire des Treize, 1917, Le Colonel Chabert, 1921) & Rex Ingram (Eugénie Grandet, 1921), Jacques de Baroncelli (Le Père Goriot, 1921, La Duchesse de Langeais, 1942) & Jean Epstein (L’Auberge rouge, 1923), Paul Czinner (La Duchesse de Langeais, 1926) & André Cayatte (La Fausse Maîtresse, 1942), René Le Hénaff (Le Colonel Chabert, 1943) & Pierre Blanchar (Un seul amour, idem), Mario Soldati (Eugénie Grandet, 1946) & Henri Calef (Les Chouans, 1947), Jean-Gabriel Albicocco (La Fille aux yeux d’or, 1961) & François Truffaut (Baisers volés, 1968). Si Rivette y revient et s’y (dé)rive, (re)voir Out 1 : Noli me tangere (1971) ou Ne touchez pas la hache (2007), La Peau de chagrin se tient bien, doté de six traductions, la dernière (2010) d’Alain Berliner. Comme le démontrent les bandes-annonces explicites, presque antinomiques, Balzac costumé demeure d’actualité, ses récits de fric et d’exil, entre cynisme et féminisme, aussi. Fresque chorale ou portrait intimiste, il s’agit ainsi, une fois de plus, certains affirmeront une fois de trop, de transcrire un regard, de transmettre un patrimoine classé culturel, à un public lycéen ou pas un brin, de donner aux personnages de papier, renommés, acclimatés, une chair chaleureuse ou austère. Les contes de capitalisme carburent au réalisme et au romantisme, a fortiori se soucient de sociologie, de notre modernité individualisée, désenchantée, fondent et affrontent le reflet.

Il ne faut par conséquent s’étonner de les retrouver au ciné, relookés selon le réalisateur des anecdotiques Quand j’étais chanteur (2006, Depardieu ou Delpech, choisis ton camp, camarade mélomane), À l’origine (2009), escorté de Jacques Fieschi, le co-scénariste de Police (Maurice Pialat, 1985), des Nuits fauves (Cyril Collard, 1992), de Alien Crystal Palace (Arielle Dombasle, 2019), le collaborateur de Claude Sautet, Benoît Jacquot, Anne Fontaine, Nicole Garcia, ou l’auteur de La Chambre des officiers, roman mémoriel lui-même transformé en le film césarisé que l’on sait (François Dupeyron, 2011). En définitive, que l’on applaudisse ou se désole de tout ceci, que l’on y perçoive un gratuit trésor d’honorable et honoré confort, que l’on partage le point de vue d’Éric Rohmer, à quoi bon (re)faire, que l’ensemble surprenne ou indiffère, on peut penser que le colossal Honoré, consumé à observer, à digérer, à créer, à copuler, pourrait reprendre à son compte, d’outre-tombe, la désinvolture, de surcroît rémunérée, l’auteur et ses droits, tu les défendras, Société des gens de lettres ou pas, d’un philosophe Faulkner, se foutant des métamorphoses souvent moroses des items sagement rassemblés, intacts, immaculés, sur ses domestiques étagères. Balzac appréciait La Chartreuse de Parme, louange tout sauf étrange, logique symbolique, pontifient les psys, adressées à l’un des ouvrages les plus lucides, rapides, ludiques et tragiques, en résumé, cinématographiques, de la littérature nationale. Ses livres à lui ne sauraient une seconde en posséder la grave légèreté, la vibrante vivacité, la sudiste sensualité, ils disposent pourtant de leurs propres qualités, disons d’une inquiétude et d’un regret d’amertume mâtinés, je vous renvoie vers La Peau de chagrin et Le Lys dans la vallée, allez.

Chez Honoré, on (se) désire au risque d’en mourir, de racornir, de s’apparenter à une pellicule de poussière, de sinistres richesses prisonnière, le destin de Raphaël de Valentin, en ce sens d’accoutumance, de dépendance (aux créances) et d’indépendance (aux contingences), fictif et autobiographique, pluriel et personnel. On suppose que le ciné, oui ou non netflixé, persistera à puiser parmi ce réservoir d’Histoire et d’histoires, attiser à sa guise une matière romanesque parfois pâteuse mais jamais simplette, malhonnête, plus sincère que sévère, complice que moralisatrice. D’une machinerie d’énergie à la suivante, désormais en souffrance, des spectres à croquer, cadrer, à susciter, ressusciter, les noces douces et féroces, à base de narration, d’émotion, au fond s’affranchissent de l’officialisation, affermissent, au relatif infini, le feu refroidissant d’une liaison d’élection.    

Commentaires

  1. Hélas une telle super production à paquet de millions vaut bien son titre : Illusions Perdues,
    j'ai l'impression de voir des acteurs habitués à vendre de la réclame ou du shampoing ou que sais-encore mais pas habitués à lire ou dire du Balzac, Balzac c'est du lourd certes, mais il sait aussi être léger, parler de l"Italie à merveille car il la connaissait bien du fait de ses nombreux voyages et séjours, (l'âme musicale transalpine en particulier l'Opéra lui a inspiré de fort beaux textes, mais pas que), j'apprécie Stendhal et ne saurais choisir, quand c'est magnifiquement écrit, senti, retranscrit et si personnel pourquoi se priver, les deux me font rêver, réfléchir, relire leur textes est toujours source de découvertes, c'est assez magique de se faire soi-même son film dans sa tête. Et puis Balzac c'est comme Marx, tout le monde en parle mais qui s'est lancé à lire et relire la Comédie Humaine, sans parler des multiples correspondances, lettres à sa famille, à Madame Hanska à Zulma Carraud, à ses amis, et qui connais l"oeuvre secrète, sa part mystique tout aussi étonnante ?
    Il faudrait pouvoir ressusciter les acteurs Bernard Noël, Maurice Ronet, Pierre Clémenti...les actrices Romy Schneider, Anna Magnani, Annie Girardot...pour donner couleurs vives de l'âme vibrante balzacienne et de la beauté fulgurante ( comme le feu des paillettes d'or qui aux dires de ses contemporains illuminaient les yeux de velours si étonnants d'Honoré de Balzac) à toutes ces fantasmagories costumées...ou encore à coup de technologie affinée, refaire vivre d'après les portraits de l'époque... une idée qui n'aurait sans doute pas déplu à H de B qui avait tant aimé se faire daguerrotyper...

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    1. Jeu non majestueux, de manière majoritaire, au ciné français ou à l'étranger...
      Puisque vous parlez d'Italie, ARTE diffuse demain ceci :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/12/dogman-des-oiseaux-petits-et-gros.html
      Stendhal me sied ; choisir regretter ne veut pas toujours dire.
      Balzac donc connu, reconnu, méconnu, comme Zola ou Proust, pas vrai ?
      Sujet photographié, en effet, quoique inquiet, l'aura, etc.

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  2. Merci pour la citation, avoir la primeur d'inaugurer une nouvelle formulation graphique de page ! Beaux passages lumineux d'analyses au coeur de la salle obscure...

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    1. Merci de votre infaillible fidélité !
      Forêt de films bleutée, d'éclairante obscurité, de côte accostée, d'autre côté (du miroir, de la mémoire), dommage pour celle, célèbre, de ressuscité effroi, cette fois, due à Dante, allez...

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    2. http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2021/10/balzac-stendhal-vous-avez-explique-lame.html?view=magazine

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    3. Bonsoir Jacqueline, merci pour (tout) ceci, intéressant et stimulant, admiration mutuelle, fréquentation fraternelle, qui ressuscite aussitôt le souvenir d’une seconde correspondance, terme connoté, surtout chez Charlie B., hélas post-mortem, celle de Poe & Baudelaire, bien sûr. L’art d’aimer demeure ainsi une nécessité, ici placée sous le signe d’une amitié mise à distance, par les contingences et les conséquences, mais dont la soudaine et souveraine élection sut avoir raison. Je ne me prénomme Honoré, vous ne vous appelez Henri(ette), nos proses ne se proposent de rivaliser avec celles de ces sommités, cependant quelque chose de leur accord nous caractérise, disons un dialogue adulte, sans cesse constructif et complice.
      Le portrait bleuté me fait penser à l’affiche française de Blue Velvet.
      Stendhal (ou son syndrome) au féminin, médical et musical, émouvant et malsain :
      https://www.youtube.com/watch?v=sJIQigEN9Ic
      https://www.youtube.com/watch?v=P30FVZEZ2iE
      https://www.youtube.com/watch?v=X3SqYsJIsmg
      https://www.youtube.com/watch?v=5BIpHulB1X8
      https://www.youtube.com/watch?v=op0CQ8NzsIw
      Philipe en Fabrice, ça le fait presque :
      https://www.youtube.com/watch?v=tW_E8WfI5tE
      Waterloo par Bondartchouk, bye-bye Abba :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/07/waterloo-jusqua-la-garde.html
      Une autre Italie, cette fois-ci de Sordi & Comencini :
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/10/mais-ou-est-donc-passee-la-septieme.html

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    4. Stendhal et le Beylisme : Analyse spectrale de l'Occident (1964 / France Culture)
      https://www.youtube.com/watch?v=aWacPIzVmKk
      Le film de Christian-Jaque est une belle fresque digne à mes yeux du roman la Chartreuse de Parme, la couleur parme ("Ce coloris apparaît dans des ouvrages relatifs à la couture et aux tissus à compter de 1825, alors que la fleur parfume déjà les belles aristocrates. On se félicite de son velours, de sa douceur, et toutes les élégantes la portent.") représente la teinte du symbole de l'amour secret, d'où ma petite création, duo symbolique, assemblage d'un tableau réel et d'un montage virtuel, comme vu au travers d'une porte entr'ouverte...

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    5. Téléfilm "Rastignac ou les ambitieux" - 2001.Jocelyn Quivrin : Eugène de Rastignac
      Jean-Pierre Cassel : Vautrin, excellents à mon goût...
      https://www.youtube.com/watch?v=McolDjA5Ch8
      https://www.youtube.com/watch?v=RurBRfRpYus

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