Furie + Scanners : Brainstorm
Filmer signifie s’identifier ; démonstration-détonation…
À base de destin un brin œdipien, au cœur du complotisme martial ou médical, Furie (1978) et Scanners (1981) affichent
un motif similaire – la puissance de la pensée – mais le (mal)traitent de
façon différente : Brian De Palma opte pour l’opéra, David Cronenberg
reste sur sa réserve. On assiste ainsi à deux duos de crescendo en stéréo, qui
doivent une part de leur saveur, de leur valeur, aux paires Amy Irving &
John Cassavetes, Michael Ironside & Louis Del Grande. Chambre à coucher, à
contre-jour éclairée, de « père truqué », à la Philip K. Dick,
d’Électre relookée, en effet furieuse, « furie », reflet d’Érinye,
amphithéâtre de patraque spectacle, au public mis en abyme, assemblage de
spectateurs spécialisés aussi sidérés que ceux du ciné, mensonges aux mouchoirs,
d’épaule où pleurer, monologue ironique, cela risque de faire mal, attendez la
suite, il s’agit d’un jeu dangereux, d’une tension à l’unisson, d’une
expérience de représentation. Les cobayes au carré, des deux côtés du sanglant
écran disposés, subissent la maestria du cinéma, en tout cas celui de
Cronenberg & De Palma. Au second l’émotion, le lyrisme, merci à John
Williams, le climax in extremis,
en forme de feu d’artifice, l’événement révoltant et réconfortant rejoué en replay, enregistré de manière surdécoupée,
sous des angles démultipliés, comme si la nocive et punitive énergie convoquée,
déployée, devenait ivre d’elle-même, contaminait jusqu’à la temporalité, infini
du ralenti, de la défiance, de la souffrance. Le regard (bleu, adieu) tue,
littéralement, impitoyablement, filigrane féministe d’un homicide de mélodrame,
de mains dressées, ça monte, ça doit déborder, d’yeux aveuglés, de bras cassé, d’abord
de mortel baiser, gros plan des épidermes et des lèvres au bord de l’obscénité,
du blow job suggéré, aux halètements éloquents. Embrasser une paupière
équivaut à condamner à l’enfer, en écho à Carrie (1976), pardi, décapitation
paternelle à la place de crucifixion maternelle, amen.
Au premier de la crépusculaire Consec
l’obscurité, le caractère abstrait, d’un VRP pas assez protégé contre l’adversaire very vénère. Dégarni disons à la
O’Blivion (Vidéodrome, 1983), le moustachu en costume demande de ne quitter
le coin, clin d’œil inconscient (?) au veto
de Hitchcock à propos de la projo de Psycho
(1960). La perspective dévoile des gens assis sur des sièges rouge sang, de
salle de ciné quasiment, a priori peu pressés de se faire scanner, sonder,
on les comprend. Le thème modeste, déjà muni de fatidique mélancolie, du fidèle
Howard Shore, accompagne le bras levé de l’assassin urbain, insoupçonnable et
insoupçonné. Pas de raccord dans l’axe à reculons ni d’objectif à double focale
ici, plutôt une position de proscenium,
la spatialisation à plans de réaction d’un espace quadrillé, cadenassé, une
mise en scène miroitée, tandem
tragi-comique pris en plan rapproché. Les yeux se ferment, pas d’importance,
les corps commencent, à se concentrer, avec calme à convulser, duel fraternel escorté
d’une bande-son au sourd martèlement en situation. L’effet optique précité se
voit remplacé par l’effet (spécial) physique, l’agitation de mains soumises à une
insupportable pression. Le rictus
drolatique et la tête tournée en supplique adressée au bourreau sadique
conduisent à la coda explicite, à la partagée panique, au scandale médiatique. En
six minutes de progressif et jouissif tumulte, deux visions se donnent donc à
(re)voir, deux trop-pleins cartésiens, deux mémorables moments organiques et
orgasmiques, entre générosité, sécheresse, poétique et prosaïque. De la
télékinésie pas si jolie au cinématographe de définitif outrage, on en revient évidemment
au même mouvement, au grec à la lettre. Ces séquences à proximité, opposées,
constituent, par conséquent, un dialogue à distance, au sujet du pouvoir
(re)pensé, de l’emprise de la matière grise, du contrôle qui affole, de la
création carburant à sa contradiction, à la destruction, CQFD dédoublé.
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