L’Ange exterminateur : Providence
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Luis
Buñuel.
Le réduire à une satire ? L’Ange
exterminateur (1962) excède sa rumeur. Il se souvient aussi, un peu, de
La
Règle du jeu (Renoir, 1939), il recycle illico Huis clos, il décline et délocalise L’Année
dernière à Marienbad (Resnais, 1961). L’opus placé sous le signe sinistre de l’itération à répétition, dont
deux scènes en deux versions, celle de l’arrivée des convives, celle du toast à la cantatrice, possède indeed un pouvoir hypnotique, affiche un
infernal fantastique. Il relie a fortiori le survival choral de La Mort en ce jardin (1956) et
l’impossibilité en (supposée bonne) société du Charme discret de la bourgeoisie
(1972). Victime d’une malédiction marxiste, le groupe porté sur l’opéra se
trouve subito surpris au sein d’une
situation irréelle, sinon d’une boucle temporelle. Pour rompre le charme
maléfique et tragi-comique du confinement, de l’enfermement, ils vont devoir s’apercevoir
des vertus de la mécanique quasi
quantique, du musical mimétique. Dans Casablanca (Curtiz, 1942), autre
film-monde mental, au romantisme similaire et différencié, il suffisait d’une
fameuse chanson dédiée à l’enchaînement des années, afin de l’amertume et
l’amour aussitôt ressusciter. Dans L’Ange exterminateur, une sonate
presque paradisiaque conjure le démon de la promiscuité, de la perversité,
opine Poe, et le spectre du cannibalisme, du fielleux sacrifice. Moins scato
que Marco (Ferreri), cf. les excréments jaillissants de La Grande Bouffe (1973),
Luis assoiffe ses hôtes, leur file de la flotte, beau tuyau d’eau, les émancipe
puis les piège en replay, puisqu’ils
paraissent disparaître, parmi la foule maboule de l’église indécise, inclus
clocher de damné very Vertigo
(Hitchcock, 1958), alors que dehors, des flics matent vite une émeute
énigmatique, en rime de déprime à la diamantaire mutinerie de La
Mort en ce jardin.
Le noble Nobile n’ignore l’ignoble,
un toubib devient médiateur diplomatique, la cabale ne procure que dalle, les
invités dévalués, délavés, pas lavés, plutôt puants et guère ragoûtants, au
(mal)propre, au figuré, doivent la (sur)vie à une « valkyrie », qu’interprète
la pragmatique et satanique Silvia Pinal (Viridiana, 1961 + Simon
du
désert, 1965). Co-écrit par l’incontournable collaborateur (majeur) Alcoriza,
éclairé en clair-obscur, à l’usure, par le doué DP Gabriel Figueroa (La
Nuit de l’iguane, 1964, Au-dessous du volcan, 1984, diptyque
climatique de John Huston), incarné par une impeccable troupe en déroute, L’Ange
exterminateur fait sourire et fait peur, fait la nique au symbolique,
ne se soucie de surréalisme. Son bestiaire doux-amer, crypto-coco, ours
maousse, humanoïde, on the loose, son
collectif nocif, son apocalypse de poche, présagent en écho la dystopie
pseudo-écolo des Oiseaux (Hitchcock, 1963). Trois ans auparavant, Boris Vian
détruisait drôlement ses Bâtisseurs d’empire à lui, habitants
ascendant et chutant, violents poursuivis en série via le bruit du temps et d’antan, la culpabilité à chaque étage
monté retrouvée. Buñuel écarte le vertical, opte pour l’horizontal, du sol, de
la table, sa caméra, dotée d’une discrète maestria, carbure au cadavre dans le
placard, expression à prendre en sus au sens littéral, à la main coupée,
pensée, style Stone (La Main du cauchemar, 1981)
davantage que La Famille Addams, quoique. De façon officieuse, cette étude
entomologique, en sourdine mélodramatique, dialogue à distance avec Brume
et Dôme,
le duo désenchanté, retranché, de Stephen King. Car il ne faudrait croire que
le réalisateur ne braque le viseur de valeur sur une seule classe : sa
fable affable de frontière factice, de cellule à domicile, accessoirement à
domestiques ironiques, en fuite, s’adresse à nous tous, prisonniers
(in)volontaires ou à volonté de notre subjectivité, de notre psyché.
L’Ange exterminateur portraiture ainsi, en catimini, à mi-chemin de la phénoménologie et de la psychopathologie, le solipsisme des cinéphiles, émules de Morel, inventeur viral, entravés à mille vies à visionner, à envisager, à dévisager, petit peuple d’espace platonicien, de salle sépulcrale, de ciné numérisé, « naufragés » en reflet des Aventures de Robinson Crusoé (1954) de fictions en mille-feuille. Si l’existence s’apparente en définitive à un(e vallée de larmes) rêve éveillé, nervalien, révolutionnaire ou point, le jour (sans fin, affreuse faim) de colère ne cède à l’austère, visionnaire s’avère, extermination extatique du spectacle social spéculaire et in fine funéraire.
Massoud l'afghan, film documentaire de Christophe de Ponfilly - introduction
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=T7fmfHW8lIw
"Afghanistan. Pays lointain, en guerre, dont tout le monde se fout. Lorsque j'ai commencé ce film, il y a 16 ans, j'allais rencontrer des hommes remarquables dont le commandant Massoud. Pas des héros de pacotille, ni des produits de marketing comme on nous en fabrique tant aujourd'hui. J'ai rassemblé les traces de cette singulière aventure pour survivre à tout ce bluff qui nous entoure... et pour quelque chose de plus précieux que je vais vous confier. Ce sont les premières paroles de ce film commencé en 1981, dans la clandestinité de la guerre d'Afghanistan. J'y raconte l'histoire de deux combats : celle d'un chef de guerre, héros charismatique de la résistance afghane, lorsqu'elle tenait tête à l'armée soviétique, et celle de celui qui filme et s'interroge. L'histoire se raconte, égrenant les étapes du destin d'un "héros" et d'un cinéaste. Reste qu'un film, pour moi, sera toujours un fil, fragile certes, mais qui nous lie les uns, les autres..." Christophe de Ponfilly.
Visionné jadis ce documentaire sensé, sensible, subjectif et instructif...
Supprimerhttp://www.leshommessansepaules.com/auteur-Christophe_de_PONFILLY-524-1-1-0-1.html
RépondreSupprimerAnalyses lucides de personnalités presque en reflet, épargnée ou piégée par les tourments de maintenant d'un monde immonde...
SupprimerComme en écho :
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2007/03/06/l-esprit-du-terrorisme-par-jean-baudrillard_879920_3382.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/11/killing-time-entre-deux-fronts-la.html