Fellini Roma : Main basse sur la ville
À Hiroshima ou à Roma, rien tu ne verras…
Fellini (me) fatigua dès Huit
et demi (1963), film fatigué, en effet, son Roma se fonde sur la
boursouflure, ce faste fait pâle figure, a
fortiori comparé aux topographies
épurées, similaires et différenciées, de Pasolini (Mamma Roma,
1962) & Moretti (Journal intime, 1993). S’il dialogue
avec Amarcord
(1973), si l’affiche – une louve humaine à trois mamelles, le Verhoeven de Total
Recall
(1990) les vole et en rigole – affola les féministes, qui sans doute, en outre,
durent s’effarer de La Cité des femmes (1980), s’il développe Les Vitelloni (1953),
revisite La dolce vita (1960), se souvient de Satyricon (1969), amplifie
l’ethnographie fantastique du sketch
poesque de Histoires extraordinaires (1968), Roma annonce surtout, en
sourdine, le désenchantement et la déprime des Clowns (1970), du Casanova
de Fellini (1976), autre annexion-appropriation explicite. Le festif et
le funeste une nouvelle fois se tressent, entre liesse et détresse, les
anecdotes et les époques s’harmonisent, se répondent, la nostalgie, malicieuse,
dominera, malheureuse, assortie de satire, Ginger et Fred (1986) et Intervista
(1987), voilà. Fellini se met en abyme au sein d’une fresque en reflet, plus
proche de l’autofiction que de l’autobiographie, du documenteur que du
documentaire. Il plaide pro domo, il se dégage du ciné dit engagé,
qu’il ne pratiqua d’ailleurs jamais, « il doit faire ce qu’il sait faire »,
moralité douce-amère, adressée à d’inquiets étudiants le questionnant.
Co-scénariste amnésique, il semble volontairement méconnaître Rome,
ville ouverte (Rossellini, 1945), pas une seule seconde il n’envisage Le
Grand Embouteillage (Comencini, 1979), co-écrit par Bernardino Zapponi.
Face à la structure en saynètes et rhizomes de Roma, opus pudique doté d’un impressionnisme,
d’une modestie et d’une trivialité pornographiques, le contemporain Gorge
profonde (Damiano, 1972) demeure un modèle de classicisme, un récit,
bien sûr initiatique, de jadis, relooké à l’aide d’un délocalisé clitoris, un
métrage idem de son âge, mais encore
pourvu de personnages, d’une progression et d’une narration, donc.
Ici, en studio, en autarcie, fi de psychologie,
en fondus au noir à foison, en faces et façades factices, Fellini se confie,
l’idéologie défie, au risque du vide et de l’asphyxie. Le sentimentalisme
assumé de La strada (1954) et des Nuits de Cabiria (1957), diptyque
cette fois-ci (au) féminin, dès lors un humanisme ambigu devient. Le fascisme
de Fellini, de manière moins individuelle celui de la cinématographie, ne
saurait certes s’assimiler à l’homonyme
du duce, miroiter les flics matraquant nocturnement, devant des bourgeois
attablés, des jeunots nus pieds, pas épilés, pas même manifestants, cependant
sa présence envahissante se sent dans chaque plan, voire voix, doppaggio à
gogo, verse vite vers la ventriloquie jolie, la fastidieuse démiurgie, sentiment
d’ennui que cristallisent le bâillement éloquent d’un enfant ou la réplique
ironique du caméo de la Magnani, tant pis pour ceux, dispensables, non montés,
de Mastroianni & Sordi. Rêveur éveillé, le cinéaste délaisse ainsi la
sociologie aux poliziotteschi, du terrorisme ne témoigne, préfère l’humour
inoffensif d’un fameux et religieux défilé, la découverte des bordels dupliqués,
une peu salace pensée pour Paprika (1981) de Brass, Zapponi bis. Alors que le passé, exhumé via du métro la modernité, se décolore,
se détériore, dimension méta des films de cinéma, puisque leur restauration ne
clarifie leur conservation, leur mise à disposition des suivantes générations,
l’avenir prend le vi(r)sage effacé de motards en communauté, amitiés au méconnu
Knightriders
(1981) de Romero. Les adouber en barbares motorisés paraît très exagéré, sinon
aller à contre-courant de l’objectivité subjective revendiquée : bruyants
et abstraits, signes livides, sensoriels et superficiels, ils symbolisent en
définitive un film bénéficiant d’un faisceau de talents, Danilo Donati à la
direction artistique et aux costumes, Ruggero Mastroianni au montage, « Peppino »
Rottuno en dirlo photo, une mosaïque à la dimension méta et mentale, Federico solipsiste
en écho à Juliette des esprits (1965), dont la maestria de la caméra, l’énergique
générosité, le soin apporté à portraiturer un show fauché, l’art de la composition (discours et cadre), ne
parviennent pourtant à convaincre, à surprendre et séduire deux heures durant.
Gore Vidal, loquace et jovial, peut parler en complice d’« Apocalypse », le meilleur moment de Roma, instant mystérieux, émouvant, silencieux aussi, pas de hasard, pardi, s’écarte du cortège des créatures, du sacrilège des caricatures, appartient à une prostituée opulente, à fond fellinienne, précédée d’un berger silhouetté, d’un troupeau de moutons en procession, parmi la ville transhumé, en train de marcher la nuit au milieu de ruines un brin embrumées, par des phares de voiture dévoilée, de respirer, de la tête tourner, immanente et inclémente, inconnue et invaincue, contraste incarné d’une (cé)cité d’incertaine éternité.
Fellini : « Vous et moi n'avons finalement jamais raconté que des échecs. Tous les romans de Simenon sont l'histoire d'un échec. Et les films de Fellini ? Que sont-ils d'autre ? Mais je veux vous le dire, il faut que j'arrive à vous le dire... Lorsqu'on referme un de vos livres, même s'il finit mal, et, en général, il finit mal, on y a puisé une énergie nouvelle. Je crois que l'art, c'est ça, la possibilité de transformer l'échec en victoire, la tristesse en bonheur. »
RépondreSupprimerINTÉGRALE - CARISSIMO SIMENON MON CHER FELLINI
https://www.youtube.com/watch?v=h1Sh6ziMI84
Merci de ceci ; sur Annie Fratellini :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/12/le-grand-amour-la-secretaire.html
«Ce sont ces limbes,
Supprimercette frontière entre le monde du tangible et de l’intangible
- qui sont vraiment le royaume de l’artiste.»
Federico Fellini
http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2009/10/baby-dol-le-diner-qui-laisse-desirer.html
https://www.youtube.com/watch?v=YxdHcxuRURI&t=508s
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=z0O2PYgufqU&t=815s
https://www.youtube.com/watch?v=eI1zLKFM-do
https://www.youtube.com/watch?v=iGxUD8NnagU