Une valse dans les allées : Regarde la mer

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Thomas Stuber.

Filmé sous l’influence géométrique, sinon statique, d’un certain Stanley Kubrick, de préférence en caméra fixe, remarquez le surprenant circulaire panoramique, lors du hom(m)e invasion, nonobstant à bonnes intentions, de l’immaculée, suspecte, maison de Marion, sa rime in extremis, en plongée surveillée, Une valse dans les allées (2018), en dépit de sa reprise du Danube bleuté, ne se soucie de « spatiale odyssée », davantage des ravages de notre modernité marchandisée. Dans Zombie (1978), dystopie US itou située au sein malsain d’un symbolique supermarché, les survivants, cependant, s’épuisaient à s’entendre, à se défendre. Ici, assaut accompli, « réunification » faite, quarante années après, les manutentionnaires nocturnes, descendants délocalisés des anti-héros de Romero, ressemblent à des vampires dépressifs, des morts-vivants émouvants. Ce que j’écrivais jadis au sujet de Herbert (2015), le premier effort réussi du sieur Stuber, pourrait en sus servir à décrire son second : « métrage aimable, clos comme un aquarium à la Rusty James, aux superbes bestioles abîmées, obscur comme un caveau, lumineux comme le sourire d’une amante », puisque impossible de s’enfuir, tant pis pour les perspectives à répétition, les lignes de fuite à foison. Opus sépia à peine coloré par un feu d’artifice de fin d’année, Une valse dans les allées se développe en récit rétrospectif, portraiture trois personnages précieux, cabossés, d’actualité, trio en clin d’œil aux trois temps musicaux, Bach en bande-son du silencieux et salarié unisson sous les néons. À l’instar des pitoyables poissons condamnés à être consommés, extraits de leur « mer » mensongère, ironique, surpeuplée, Christian, Marion, Bruno et tous les autres autour souffrent de désamour, de solitude à plusieurs, du capitalisme impeccable, gare au miroir, impitoyable, gare au retard.


Ex-cambrioleur mineur plutôt que « branleur », bon garçon à mauvaises fréquentations, le « bleu » malheureux, en pleine période d’essai, un peu beaucoup tatoué, par la prison passé, porte un prénom connoté. Entre les rayons représentatifs à la perfection du germanique pragmatisme, dont la sinistre austérité suffirait à transformer les magasins Lidl en modèle de marketing, de divertissement, de convivialité, il croise sa Marie à lui, son sien « bon Samaritain », c’est-à-dire une femme mariée, par son « connard » de mari malmenée, un ancien chauffeur routier déclassé, autrefois alcoolisé, aujourd’hui démuni, surtout de sa dame invisible, sans doute décédée. Dépourvu de pénible pathos, pourtant peu à peu poignant, (sur)cadré au cordeau par le directeur de la photo Peter Matjasko, co-écrit en compagnie de l’amical Clemens Meyer, interprété/illuminé par un (très) joli couple de ciné, à savoir Franz Rogowski & Sandra Hüller, l’ouvrage évoque à l’évidence l’univers doux-amer d’un Aki Kaurismäki, mais son blues, au propre, au figuré, lui revient en vraie, voire teutonne, vérité. En l’absence d’horizon, de solution, demeure la pendaison, persistent les palmiers découpés, prédécoupés, en papier, en puzzle, de Scarface (1983) + L’Impasse (1993), diptyque d’un De Palma idem critique, mélancolique. Christian porte sa croix, fort, fragile, fier, sincère, et chaque fois qu’il voit, admire, la remarquable Marion, il perçoit aussitôt la mer ; en coda, en duo, en réunion, ils l’imagineront, l’écouteront, belle démonstration des puissances sensorielles du son, au ciné ou non. Cette association de la femme et de l’océan fait fissa ressurgir de Solaris (1972) le souvenir, toutefois, à défaut de lévitation tarkovskienne, il faudra se contenter d’un chariot élévateur, savoir le manier, le permis passer, on y croit tous en chœur, merci au magnanime examinateur.


En effet, face au froid complice de la « Sibérie », face à la réfrigération des relations, face aux « eaux glacées du calcul égoïste » analysées par Marx le spécialiste, la solidarité essentielle, existentielle, de classes, pas seulement, se manifeste, résiste, drolatique, dramatique. Pas de misogynie, pas de misandrie, pas le temps ni l’endroit pour ce type de petites-bourgeoises conneries, camarade(s) à l’allemande. Le conte de Noël jamais à la truelle comprend en outre un rituel automatique, une « route » nostalgique, un court de cours, enseignement de sécurité sous le signe du gore rigolo placé, des « invendus » bienvenus, dévorés en vitesse, un pigeon pas con, un patron à la con, insultant, licenciant, du bronzage à la Ibiza et aussi un ralenti de gynécée enguirlandé. Promu à la place du mort mentor, Peter Kurth, le boxeur bousillé de Herbert, finit au creux d’une urne, éternellement taciturne, Christian enfreint in fine le règlement, emmène Marion vers la marine révélation, acmé de boucle bouclée, de constat lucide, désespéré, souriant, pas désespérant. Depuis Les Femmes de Stepford (1975) du fantastique et féministe Forbes, même avant, nous résidons tous, chacun à notre mesure impure, à la même adresse, lestés de la même détresse. Néanmoins, tenez-vous bien, qu’importe le contexte morbide, morose, nous pourrons en toute liberté acheter, au lieu de nous déplacer, nous retrouver, pour le conservateur réveillon, nos grandes cargaisons de saumon, de champagne, de foie gras, puisque le domaine des prodigues professionnels, avec sa sagesse habituelle, y veillera, hourra. Le spectre de la pénurie prié d’aller se faire empapaouter, d’aller voir ailleurs, il nous reste un étrange, par avance, haut-le-cœur, une âme insatiable, un appétit d’autrui, il nous revient d’à nouveau, à notre niveau, valser entre les allées de l’hypermarché mondialisé, non pour y « danser sa vie », à la Nietzsche, disons pour y exercer sa survie, de client à la Caligari, oh voui, youpi.  

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