La Nuit fantastique : Irène

 

Conte d’accords, surimpressions de saison…

Si je pouvais me réveiller à ses côtés

Si je savais où la trouver

Donnez-moi l’espoir

Prêtez-moi un soir

Une nuit juste pour elle et moi

Et demain matin elle s’en ira

Il était une fois, J’ai encore rêvé d’elle

Un Peter Ibbetson (Hathaway, 1935) sous l’Occupation ? Une réplique réaliste aux médiévaux Visiteurs du soir (Carné, 1942) ? Une fable affable, sur le courage cru onirique ? Un peu (de) tout cela à la fois, oui-da. Par Jeanson, non crédité, dialogué, tourné en plein froid, ça se voit, on se réchauffe en musique, cf. le flamboyant générique, amputé d’un quart d’heure, honte au distributeur, adoubé par Bazin, La Nuit fantastique (L’Herbier, 1942) son exhumation numérique mérite. Après L’Homme du large (1920), El Dorado (1921), L’Inhumaine (1924), beau trio en mode muet, moi-(re)lisez, SVP, le cinéaste s’illustre à nouveau, avec un étudiant parisien, pas praguois, en philo, l’histoire à dormir debout d’un homme ensommeillé, épuisé, écœuré, par sa manutention nocturne aux Halles, par un siècle sinistre, sépulcral, capable d’imaginer, de réaliser, une abominable « solution finale ». Denis, prénommé à la Diderot, rêve à répétition, d’une belle dame immaculée, d’une (i)reine blanche, aussi légère qu’un ange. Fataliste comme Jacques, il traverse l’aventureuse obscurité, en repoussant sa réalité, il minore son amour, disparition prévue « au point du jour ».  Néanmoins citoyen nervalien, il évolue au sein d’un songe point mensonge, même si magie pas si « blanche », bis, manipulation, complot, escamotage d’héritière et d’héritage. Irène simule son insanité, Hamlet remercié, elle finit fissa à l’asile. Poucet pailleté, elle sème à son amoureux, l’ambulance suivant, l’ensemble de ses vêtements, chaussures incluses, à ses bas attachées, autour du cou, accessoire érotique, drolatique, aussitôt passées. La scène d’évasion à l’unisson, en tandem amène, rend bien sûr hommage au Système du docteur Goudron et du professeur Plume de Poe, paraphe du film la dimension socio : la France, à l’évidence, s’apparente à une maison de fous, davantage malicieux que furieux, dangereux, quoique.

Le penseur amateur expérimente ainsi, le temps d’une « nuit de folie », la démence généralisée d’une nation (pré)occupée, occupée à faire des affaires, à trafiquer du fric, univers insincère, envasé de vérité, toujours des apparentes apparences se méfier, leur prêter foi, pourquoi pas. Phénoménologie de la perception, donc, et onirisme de surface, corrigé par un cartésianisme tenace. L’Herbier assimile Méliès & Lumière, vrais faux frères. Il francise Faust, il ne quête l’imprimatur de la Kommandantur. Via ce divertissement élégant, amusant, charmant, co-écrit par Chavance & Henry, une sombre époque, beaucoup adoucie, il éclaire, il cartographie, bien secondé par un doué DP, Montazel nommé, bien doté par un duo de décorateurs de valeur, Magniez & Moulaert, bien escorté par un casting choral impeccable, mention spéciale à Saturnin Fabre, en émule du Magicien d’Oz guère morose, certes suicidaire. Thalès sans théorème, Le Tellier sans Maupassant, sus au patriarcat, pétainiste ou pas, ne réussiront à circonvenir d’Irène l’avenir, car voici un récit d’émancipation dédoublée, dessillement masculin, majorité féminine, tramé au moyen d’une caméra calligraphique, dont la liberté de mouvement contraste joliment, cruellement, avec son absence nationale. Délesté de sa « jeunesse », dépouillé par un pique-assiette, instrumentalisé par sa maîtresse, Denis ne « prend pas d’arrangements avec sa conscience », no collabo, il sait qu’Irène existe, puisqu’il l’aime, axiome à la Demy, celui des Demoiselles de Rochefort (1967), trésor. Une coupe surprenante, presque un jump cut, sur les pieds de l’assoupi Gravey, puis la précieuse Presle apparaît, fétichiste épiphanie de matérialité sonorisée. « Au grand père tranquille », salut au Père tranquille (Clément, 1946), les convives endeuillés discutent à l’envers, misère.

À « l’Académie de la magie », Potter peut aller se faire faire, Denis découvre des têtes suspectes. Vite au Louvre, il se réinvente, aviné, en Mandrake patraque, à trappe. Belphégor dort encore, l’aveugle s’avère clairvoyant, le monde immonde, « stupide, monstrueux, quotidien », se déploie en parallèle, malsain, pour rien. Au « Caveau des illusions », les clients et les mannequins notre éveillé dormeur confond. Il file une gifle en reflet, point de féministe procès. Au réveil, une fois le narcotique en trio absorbé, son effet dissipé, un rouge baiser de rouge à lèvres viendra in fine attester de l’authenticité de la somnambulique odyssée, révélation de rétroviseur en travelling avant et arrière. Ni Une question de vie ou de mort (Powell & Pressburger, 1946) ni Eyes Wide Shut (Kubrick, 1999), La Nuit fantastique se termine sur une sonnerie de réveil, une prière inspirée par le Notre Père, un couple affranchi, captif. Il s’apprécie, aujourd’hui, en petit traité bien tempéré, romantique, ludique, de résistance, majuscule optionnelle, face au « cauchemar » jamais très loin, jamais trop tard, de la vacuité, de Marguerite de Navarre, de la veille, de l’invasion, de la solitude, de la désillusion, en art poétique et par ricochet politique, moins fantaisiste que lucide, actif, réactif. Rêver, chez L’Herbier, revient à s’activer, à poursuivre au/le ciné, en dépit de toutes les puissances délétères, mortifères, de demain, d’hier, leçon de résilience d’une aimable modernité, par un artiste estimable, libre, contrôlé, donnée, CQFD au creux des bras de Morphée, ou plutôt ceux d’Irène, réelle, belle, rebelle, Alice complice d’une traversée de Paris évidemment différente de celle d’Autant-Lara, pourtant prodigue de ses propres méfaits et merveilles, sur la Terre et à l’écart du Ciel.  

Commentaires

  1. Marie-Martine est un film français réalisé par Albert Valentin, tourné en 1942
    https://www.youtube.com/watch?v=l66uBMF2B0M
    "C'est dans ce film que l'on trouve la célèbre injonction récurrente de Saturnin Fabre à son neveu Bernard Blier : « Tiens ta bougie... droite ! ».
    On raconte qu'à la troisième reprise de la réplique, c'est le public qui répondait."

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. https://www.youtube.com/watch?v=Ypx-I5BuQmk
      https://www.youtube.com/watch?v=KaCcu-S94FQ

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir