La Proie pour l’ombre : Les Amants

 

Féminisme sauce Sagan ? Girardot sans Rocco…

Trois ans avant de transposer Poe de manière exemplaire, je pense au Puits et le Pendule (1964) diffusé par la TV, Astruc avance avec Antonioni, voici son Avventura (1960) à lui. Film méconnu, pourtant jusqu’à moi parvenu, vive la cinéphilie en ligne, à domicile, La Proie pour l’ombre (1961) se caractérise en effet par la maîtrise de son widescreen, par ses travellings habiles, par sa constante composition de plans, presque -séquences, stimulants. Par conséquent, vous visionnerez un ouvrage élégant, dont le vaudeville saisi avec style évoque bien sûr celui à venir de La Chamade (1965), autre portrait de femme co-signé par la romancière et Cavalier. Galeriste esseulée, à succès, épouse d’entrepreneur à présenter, à représenter, Anna ne va pas, elle veut son indépendance, elle ne veut plus de sa souffrance. Dans la France du début des années 60, « l’autorisation maritale » ressemble à une loi martiale et notre héroïne indécise se retrouve vite, à deux reprises symboliques, rime du motif, derrière les barreaux d’une maison abandonnée, condamnée, derrière le grillage d’une piste d’atterrissage, belle scène sourde et sonore de séparation, de surventilation, à grue pas m’as-tu-vu. Tandis qu’Éric pense et parle fric, ironise en public et à table sur le travail de ces dames, tandis qu’il humilie mais désire la sienne, tandis qu’il démolit le vieux Paris, habite un appart très classe, choisi par sa chérie, qu’elle finira, toutefois, par trouver « inhumain », ben tiens, le bon et costaud Bruno s’occupe de disques, cuisine en célibataire, c’est-à-dire va à la supérette, ses conserves y achète. Comment résister à une cantate de Bach, à un appel en pleine nuit ? Bye-bye à la bouillotte, bienvenue à l’adultère, domestique, en plein air, parenthèse édénique drolatique, pomme croquée comprise.

Hélas, Buñuel l’affirmera fissa, Le Fantôme de la liberté (1974) lui glisse entre les doigts, entre les draps. Coup de grâce, de disgrâce, car au Bourget, l’embourgeoisée découvre, sidérée, la conquête coquette de son magnanime mec, « vacances » à Rio, on se reverra bientôt. À la fois forte et fragile, Anna s’avère en vérité une femme imparfaite, pseudo-passionnée, apeurée par elle-même, par les deux hommes assez médiocres, sinon misérables, sens duel, de sa vide vie. Astruc pouvait creuser cette veine existentielle, ne pas s’en tenir à la surface d’un conflit sexué, sexuel, où le pitoyable et insupportable patriarcat se voit coupable de cadenasser la condition féminine, voire féministe, de détruire son identité, diantre. Si la meilleure part de La Proie pour l’ombre réside au sein de ses interstices, au-delà de son aspect démonstratif, le cinéaste parvient néanmoins à éviter le manichéisme, la misandrie, la victimisation, la déresponsabilisation. En raison de plusieurs contributions, celles du dialoguiste Brulé, collaborateur de Borderie, Vadim, Visconti ; du DP Grignon, partenaire d’Audry & Hunebelle ; du décorateur Saulnier, césarisé à l’occasion du Providence (1977) de Resnais, du Un amour de Swann (1984) de Schlöndorff, celles des convaincants Gélin & Marquand, le divertissement plaisant mérite mon article. Parmi la vraie vie nervalienne, aux amours chiennes, Michèle Girardon se suicida, Annie Girardot s’oublia, s’oblitéra. Au cinéma, les revoilà, surtout la seconde, magnifiée par une caméra masculine sachant immortaliser, discrète et pudique sensualité, sa beauté, son talent, son corps, ses sentiments, femme flamme jadis dépeinte par votre serviteur, de tout son cœur.

Revoir Annie, revoir Romy, Schneider, who else?, s’apparente à un délice douloureux, comme si l’on assistait, souvent bouleversé, cependant impuissant, au fil des films, de la cruauté des années, à des soleils en train de s’éteindre, à des sirènes en train de sombrer. Miroir mouroir, le grand/petit écran, nonobstant, ressuscite aussitôt leur chaleur, leur douceur, leur fureur, leur fière présence de chère absente, leur sourire, aussi, puisque la tragédie s’associe à la comédie, ainsi vont toutes nos vies. Autrefois « proie », pas seulement du sien Salvatori, l’admirable Annie se savoure désormais en « ombre » point abolie, en actrice suprême d’hier et d’aujourd’hui, plus jamais seule, plutôt rejointe, réjouie, à l’infini.                            

Commentaires

  1. Beau billet reflet sensible du "miroir mouroir" ce cruel enregistrement cinématographique du temps qui passe, qui n'épargne personne à commencer par la candeur, le romantisme est ici filmé dans sa version noire et moderniste, dépouillée comme ces appartements de décorateurs où tout est si épuré que même la vie n'est plus qu'épure ...toute fuite serait sans issue, si ce n'est suicidaire, et toujours le même question restée en suspens, déjà répondue peut-être sans l'avouer tout haut : https://www.youtube.com/watch?v=bJtzg2Vpkp8

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    1. Et belle version, selon Sanson :
      https://www.youtube.com/watch?v=J_B_qzVgjm4

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    2. Une assistante galeriste arriviste qui arrive à ses fins in
      La Métamorphose Des Cloportes (1965) de Pierre Granier-Deferre
      https://www.youtube.com/watch?v=lb9hCDfMbgg

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    3. Belle lecture :
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/11/la-metamorphose-des-cloportes-adieu.html?view=magazine

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    4. Dans la série des injustement oubliés pas assez célébrés, Michel Bernholc.
      Ce dernier fut l'un des 1er complice musical de Berger... (https://www.youtube.com/watch?v=DJP5I6GM3b4

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