L’Affaire Mattei : Le Goût de l’Italie

 

Trente métrages, trois images, deux visages, un rivage

À l’italianophile Jacqueline

  • Io ho paura (Damiano Damiani, 1977)

Petit polar politique, à propos de la pornographie, au propre, au figuré, d’une Italie alors terroriste-terrorisée, ponctué de saisissants effets de réel mortel et placé sous le signe duel de la duplicité, tandem de juges, juste ou injuste, pour policier déplacé, apeuré, justicier, assassiné, où le valeureux Volonté, flanqué des cosmopolites Adorf & Josephson, démolit, doté d’une dépressive fragilité, les « hommes forts » de sa filmographie, chez Petri & Rosi…

  • Il nido del ragno (Gianfranco Giagni, 1988)

D’un labyrinthe à l’autre : dans une Budapest spectrale, une secte tisse sa toile… Certes longuet, pas assez personnalisé ni développé, du fantastique toutefois soigné, beau boulot du directeur photo, musique à la Herrmann, avec spécialiste traumatisé, secrétaire singulière + bébé humain-arachnéen. Et Stéphane Audran, comme souvent, émeut vraiment.

  • Friedkin Uncut (Francesco Zippel, 2018)

Cette hagiographie venue d’Italie s’avère aussi passionnante qu’un dernier discours en décembre de président tropézien. Non seulement le spectateur familier du réalisateur n’apprend rien, surtout après la biographie de Nat Segaloff, les « mémoires » de l’intéressé, mais de plus il doit subir le défilé tronqué des « suspects habituels », amitiés à Michael Curtiz, tous ici pour brosser l’objet/sujet dans le sens du poil jamais infernal. Plombé par une illustration sonore risible singeant les cloches tubulaires de Mike Oldfield, ce monologue pro domo, commis sans une once de personnalité, de mise en perspective, carbure en outre à l’amnésie, aux raccourcis, à la plate vulgate. Franchement, l’histoire orale, on s’en fout, et le manoir-musée de Billy aussi. Réduit à une silhouette d’interlocuteur en amorce, au statut d’agent immobilier amouraché, l’auteur de la pâtisserie rassie, déguisée en parole libérée, signe ainsi un vrai-faux documentaire, dispensable et scolaire. Demeurent, heureusement, la lucidité, radicalité, modestie, l’humour, la colère d’enculage, la tendresse discrète du maître.

  • I lunghi capelli della morte (Antonio Margheriti, 1964)

« Les morts ne reviennent jamais à la vie » : au cinéma, si, surtout devant la caméra très mobile de Margheriti, qui trame un mélodrame sous influence poesque manifeste, un vaudeville vintage au filigrane féministe, puisque le coupable au passé, au présent, périt pendant des réjouissances de fin de souffrances, puisque la peste des âmes répond à celle des corps, puisque la cara Barbara se dédouble encore, cette fois-ci en « demoiselle de Rochefort » à chevelure fétichiste, aussi impitoyable que la crapule féodale. Bien servi par le solide Ardisson, la soignée direction de la photographie signée Pallottini, l’estimable auteur de La Vierge de Nuremberg (1963) annonce ainsi le final enflammé du Dieu d’osier (Hardy, 1973), voire le POV immersif de La Nuit des masques (Carpenter, 1978), en sus d’adresser des clins d’œil à Soupçons (Hitchcock, 1941) et Le Septième Sceau (Bergman, 1957). Certes, tout ceci reste très inoffensif, mais néanmoins mérite une exhumation, sinon une crémation.

  • Il giustiziere dei mari (Domenico Paolella, 1962)

Les pirates de Paolella valent davantage que ceux de Polanski, en dépit d’une coda œcuménique, voire conservatrice ; bronzée un brin, « outrage » d’un autre âge, Marisa Belli séduit ; sinon, ce mélodrame familial, « interracial », doucement SM, dont la séquence des plantes carnivores, risible, sublime, mérite à elle seule l’exhumation de saison, constitue un clair diptyque avec le contemporain, sympathique, de pareille équipe, L’Île des filles perdues.

  • Il miracolo (Niccolò Ammaniti, Francesco Munzi, Lucio Pellegrini, 2018)

En dépit de la présence d’une Polonaise prosélyte, nous voici loin de Kieślowski, de son Décalogue, acmé cathodique davantage que catholique. Je n’ai pas peur se caractérisait par sa brièveté, sa modestie ; ici improvisé scénariste-réalisateur, le romancier Ammaniti dilue un maigre argument durant disons 400 minutes, se pique de fresque chorale presque future, retravaille des motifs attendus, sacrifice d’Abraham mafieux, pietà entre types ou virginité au clonage messianique. Filmé avec un anonymat désincarné, une élégance réfrigérée de produit culturel européen, le feuilleton effleure la foi, manque d’immanence, de transcendance, de pertinence, de substance, frise le soap poseur, le surréalisme inoffensif, le freudisme facile, sinon le juke-box scorsesien, comporte les caméos bidons de Barr & Bellucci. En matière de dolorisme religieux, prière d’en rester à Bad Lieutenant de Ferrara, de mystère naturel à Pique-nique à Hanging Rock de Weir, de mélodrame endeuillé à La Chambre du fils de Moretti, de manifestation de l’invisible à Dreyer, Bresson, Tarkovski, trinité laïque. Le péché réside dans la misogynie jolie, culturelle/cultuelle, des personnages féminins : au-delà de la maman, de la putain, rien, à part une scientifique homosexuelle, promise à se reproduire, amen. Demeurent la distribution adroite, l’ironie sérieuse, joueuse.

  • La musica del silenzio (Michael Radford, 2017)

Biopic insipide, anémique, touristique, encaustiqué, commis par Michael Radford, déjà signataire de l’estimable, sobre, 1984 (idem), largement préférable au boursouflé Brazil (Terry Gilliam, 1985), puis, dix ans plus tard, du dispensable, sinon sirupeux, Il postino (1994), qu’écrivit aussi Anna Pavignano, ici adaptatrice d’autobiographie romancée. Certes, le travail du directeur de la photographie Stefano Favilene, à l’œuvre sur Libero (Kim Rossi Stuart, 2006), Bel-Ami (Declan Donnellan & Nick Ormerod, 2012) ou Pasolini (Abel Ferrara, 2014), possède une certaine tenue, étayée sur la célèbre lumière toscane, mais l’ensemble emmerde vite, ne dispose d’aucune musicalité, inclut un caméo d’Antonio Banderas, en dérisoire Maestro. Ce gros mélo falot dure deux longues heures, déploie de manière réflexive, ironique, un aveuglement à la fois identitaire et sonore. Que les fanatiques écoutent leur talentueux ténor, adepte du cross over, que les cinéphiles se carapatent fissa, au risque d’à nouveau se lamenter sur l’état de santé du cinéma italien, hélas réduit à rien…

  • The end? L’inferno fuori (Daniele Misischia, 2017)

L’Ascenseur avec des zombies : l’argument se résume à peu, le long métrage frise l’insipide, étirement de court ou de moyen. Mais le manque de moyens permet un bon usage du hors-champ sonore, de l’eschatologie par procuration, suivie sur cellulaire. En numérique, en Scope, en huis clos, se déroule à Rome, ville pas si éternelle, une moralité sur l’humanité, son regain et sa fin. L’homme d’affaires tête à claques, voire queutard, copine avec un flic débrouillard, s’extraie in extremis du piège mécanique, de la cage dorée du fric. Sur l’un des ponts principaux de la capitale l’attendent un ultime obstacle, un sniper précis, une bouteille de lait, inutile désormais. Au loin, des foyers numériques continuent à brûler, en rime aux rues désertées, cadrées d’aplomb en drone. Sans parvenir à renouveler l’imagerie lessivée, mise à toutes les sauces moroses, le réalisateur soigne assez sa satire superficielle, s’appuie sur un premier rôle solide. En matière de commentaire social transalpin, sinon méta, on pourra préférer en rester aux Démons de Lamberto Bava bavant leur berlusconisme ludique.

  • Inferno in diretta (Ruggero Deodato, 1985)

Vraie-fausse suite de Cannibal Holocaust, où le cinéaste semble se souvenir de Scarface, Guyana, la secte de l’enfer et Apocalypse Now. Rien de déshonorant, rien de transcendant non plus. Karen Black méconnaissable, Michael Berryman mutique, Richard Lynch décapité.

  • In fondo al bosco (Stefano Lodovichi, 2015)

Téléfilm de luxe qui se souvient de Shining, Chromosome 3 et Ring ; hélas, on se lasse assez vite de cette mélasse soignée (beau boulot du DP Benjamin Maier déjà remarqué sur Les Merveilles), variation anodine sur le thème du changeling. Moralité misogyne de la fable cacochyme, du conte de fées défait débuté par des diableries alpestres : les femmes en effet toutes des salopes, surtout serveuse et psy, sauf la mamma dépressive adepte de la levrette adultère (voire de la sodomie automobile). Quoique, malheureux petit Tommi mort en trio…

  • Hannah (Andrea Pallaoro, 2017)

Prénom palindrome de métrage mutique atone, vacuité comportementaliste-formaliste-auteuriste en ersatz de Michael Haneke, portrait de femme inter-minable produit par TF1 & La Rai. Charlotte Rampling, à la piscine, montre ses seins et ses fesses de septuagénaire dépressive ; sinon, elle cuisine, suit des cours de théâtre, fait le ménage chez une bourgeoise au gosse handicapé, se fait refouler de la fête d’anniversaire de son petit-fils, alors qu’André Wilms, son mari, se fait masser, change une ampoule, s’habitue à la prison. Des photos, peut-être pédos, justifieraient sa détention, sa dénonciation filiale, allez savoir. Sur une plage nordiste, Hannah, dont la vie prend l’eau, au propre, au figuré, avise une baleine échouée, comme un écho au monstre marin de la coda de La dolce vita. À quoi sert le fonds Eurimages, alimenté par tes impôts, mon coco ? À financer ce type de produits pitoyables, possiblement programmables sur chaîne franco-allemande classée culturelle. Venise prime l’actrice, Hollywood s’en fout. Charlotte for ever ? Chut, chut, chère Charlotte, à flotte falote.

  • Rapporto Fuller, base Stoccolma (Sergio Grieco, 1968)

« Vous pensiez pouvoir ressusciter Hitler ? », « L’Amérique doit dominer le monde ! » : transalpinerie de série de 68 où Trovaioli se prend un peu pour Barry ; à voir pour B. Loncar.

  • Scalps (Bruno Mattei, 1987)

Œuvre féministe et révisionniste tardive, le métrage de Mattei (Bruno, pas Jean-Pascal) associe assez sympathiquement Sécession/scalps, sentimental/trivial, vengeance/luxuriance.

  • Due maschi per Alexa (Juan Logar, 1971)

Une Rosalba vénale, un Juan Luis complice et un Curd radical : triangle d’adultère pour une co-production italo-espagnole du début des années 70, au prologue parisien touristique. Jürgens, pas encore ennemi de Bond dans L’Espion qui m’aimait, sans doute déjà lecteur de Poe, notoire spécialiste de l’ensevelissement vivant, décide d’enfermer/asphyxier les jeunes fautifs au creux d’une chambre close, de s’y suicider, de les hanter par bande magnétique interposée. Des souvenirs parsemés nous apprennent le début du drame tandis que la fille du vieillard friqué ne reconnaît plus son papounet froidement ulcéré. Court et long, ce conte très moralisateur évoque davantage une sorte de théâtre filmé, paupérisé, qu’un huis clos sartrien ou un giallo claustro. Demeure un duo de « fauves sans barreaux » (titre ibérique en VO) et surtout la tigresse Neri, l’une des actrices les plus érotiques et sous-estimées de son époque.

  • La donna di paglia (Basil Dearden, 1964)

Une Gina manipulée, un Connery machiavélique et un Richardson misanthrope : triangle sympathique pour un titre très britannique, ironique et touristique, écrit (d’après un roman français féminin) par le scénariste de L’Obsédé, éclairé par le DP du Voyeur et scandé par du classique, le Fidelio de Beethoven en renfort significatif bien avant Eyes Wide Shut, que l’on doit au méconnu Basil Dearden. Un peu naphtalinée mais soignée, cette « femme de paille » ne vaut certes pas les futurs chiens de Peckinpah, qu’importe puisqu’elle permet à la Lollobrigida, qui ne s’entendit guère avec l’exécuteur de Goldfinger (et le mari violeur, bien qu’amoureux, de Marnie), de déployer à nouveau sa beauté, son talent, dans la grise Angleterre ou l’ensoleillée Majorque. Au sein du manoir-mausolée de la mégère masculine handicapée, in fine apprivoisée, Gina représente la vie, un peu la rouerie, et ceci nous suffit.

  • Letti selvaggi (Luigi Zampa, 1979)

Guerra paie ses impôts, Ortolani se renie, Ruzzolini, complice de Pasolini, éclaire comme une morgue, Zampa en fin de filmo se prend pour Risi ou ses confrères de naguère des Sorcières tandis que Roberto Benigni, José Luis López Vázquez et Michele Placido se débrouillent avec rien. Dans ce ratage interminable, livide et stupide, pas si gentiment misogyne, Ursula montre ses sous-vêtements, Laura idem + son décolleté endeuillé, Sylvia ses seins et en photo le fauteuil d’Emmanuelle, Monica ses bas noirs et ses cuisses blanches. À ce petit jeu désastreux, comédie sinistre supposée sexy, l’égérie dégourdie d’Antonioni s’en tire in extremis le mieux, assez drôle en fausse nonne ou vraie putain improvisée maman (un salut à Eustache). L’épisode résume à lui seul la moralité merdique du film, les représentantes charmantes et attachantes, talentueuses et valeureuses du dit deuxième sexe, notamment à l’écran, ici réduites à des silhouettes suspectes, à des manipulatrices hélas piégées, sinon prostituées, par un ratage rédhibitoire qui n’honore personne et surtout pas leur beauté, leur sensibilité, leur fragilité, qualités que quelques féministes trouveront sexuées, voire sexistes, mais je m’en fiche. En écho au fiasco, le Dmytryk de Barbe-Bleue s’en sortait mieux, même en anecdotique compagnie d’Agostina, Sybil, Nathalie, Karin, Marilù, Virna et Raquel.

  • Un amore a Roma (Dino Risi, 1960)

Ce brouillon bancal de La Nuit idem co-écrit par Ennio Flaiano manque curieusement de mordant, de cruauté, d’ironie à la Risi. Peter Baldwin, vrai-faux sosie de Ray Wise, rejoue le pantin presque viscontien de Pierre Louÿs, tandis que Martinelli & Perschy font de la figuration à la périphérie du récit. Demeurent la sensualité en effet inassouvie de l’estimable Mylène Demongeot et un prologue en plan-séquence de rupture théâtrale assez admirable.

  • Barbarossa (Renzo Martinelli, 2009)

Reconstitution historique dictée par le story-board, asphyxiée par la musique, désincarnée par le numérique, d’une indigence générale abyssale et au filigrane nationaliste (pour ne pas dire fasciste, support de la Ligue du Nord à l’appui) risible ; émouvant caméo d’Ángela Molina en... Hildegarde de Bingen, amen !

  • Il mio corpo per un poker (Lina Wertmüller, 1968)

Ratage interminable par la scénariste ou réalisatrice des réussis La Cité de la violence et Film d’amour et d’anarchie : en 1968, date symbolique, Elsa Martinelli, vue chez Hunebelle, Hawks, Welles ou Petri, décédée en juillet dernier d’un cancer (« longue maladie », euphémisme hypocrite), chante, chevauche, fume, tire, joue au poker, renie son père, sauve de la corde sa domestique indienne ; en matière de rousse aventurière, on préfère en rester à Michèle Mercier, merci. Face à elle, George Eastman n’incarne pas encore un scandaleux anthropophage mais un hors-la-loi à boucle d’oreille de pirate promis à devenir un Christ de pacotille. Appliquée, Lina W respecte le cahier des charges du western, braquage de banque inclus, sans parvenir à insuffler une seule seconde une once de vie dans cette histoire insipide parasitée par un récit de trauma à la Leone ou Argento. Ici, le féminisme se limite à un je t’aime moi non plus déjà vu et le Sud esclavagiste, patriarcal, à un drapeau de plateau…

  • Il testimone (Jean-Pierre Mocky, 1978)

En Italie de tournage (récit à Reims), Mocky livre une comédie très noire, parfois poignante (court et puissant Paul Crauchet), scandée par le thème guilleret de Piero Piccioni. On peut penser aux Risques du métier, à Deux hommes dans la ville, à Garde à vue, aux Fantômes du chapelier, voire au Faux Coupable, notre cinéaste admirateur avéré de Hitchcock. Mais ce grand petit film radical, sans doute impossible à refaire tel quel aujourd’hui, tout comme le parfait contemporain La Petite, se démarque facilement de ses prédécesseurs ou suiveurs. Œuvre millimétrée sur l’abjection et l’amitié, sur l’adolescence sans innocence et les faiblesses fatales de la vieillesse, sur l’hypocrisie des nantis et l’impuissance de la police, il s’agit aussi, trois ans avant l’abolition hexagonale de la peine capitale, d’un témoignage neutre et ironique sur une justice aveugle et irréversible. Sordi, rital restaurateur pictural sacrifié, Noiret, banquier rebelle et violeur/meurtrier passionné, forment un tandem remarquable, en équilibre sur le fil de la satire et du drame. Prisez la pépite implacable !

  • Francesca (Luciano Onetti, 2015)

Vrai-faux giallo fétichiste (pléonasme), catastrophique et calamistré, commis par deux frangins argentins contemporains : outre les maestros momifiés de jadis, Dante, Tchaïkovski, le Belmondo de Peur sur la ville et même Michael Powell en rient encore (ou pas)…

  • L’anticristo (Alberto De Martino, 1974)

Possédée possessive pour une psychanalyse poussive ; Mel Ferrer & Alida Valli s’ennuient stoïquement, Anita Strindberg se désape subrepticement, tandis que Carla Gravina, quelque part entre Marlène Jobert et Monica Vitti, ne démérite pas (dans Holocauste 2000, la pilule écolo-eschatologique passait grâce au charisme inné de Kirk Douglas), mais ce film interminable, dépourvu d’âme, de cœur, de regard, succombe constamment à un risible esprit de sérieux, avec une double mention spéciale à la main (coupée) et à la cravate (verte) strangulatoires ; en matière d’infirmité troublée, de féminité frustrée/fantasmée, d’anti-Dieu bienheureux (miséricordieux), renvoyons les brebis (les cinéphiles) égarées vers la Séverine de Luis ou l’essai homonyme de Nietzsche, présent, paraît-il, sur le tournage d’un apparemment redoutable Lars von Trier (pléonasme) ; le Diable, qui vit et fit bien pire, en rit encore, flanqué ou non de la rousse (sorcière ?) Régine Deforges (feu puéril des entrailles filiales au sein d’un palais de patricien en carton-pâte)…

  • Gruppo di famiglia in un interno (Luchino Visconti, 1974)

Le « portrait de famille en intérieur » (titre idoine pour l’ultime et contemporain Pasolini) donne à voir l’Italie terrorisée des années 70, ausculte une cohabitation de classes, médite sur la mort un temps distraite par la jeunesse, même injuste : ce guépard-là ne meurt plus à Venise mais à Rome…

  • Identificazione di una donna (Michelangelo Antonioni, 1982)

Identification (méta, ironique) d’un cinéaste (encore autonome), cherchant (l’aventure) une (double) femme (insaisissable), dans le brouillard et sous les draps, jusqu’au soleil de la SF en rêve de mandarine…

  • Europa ’51 (Roberto Rossellini, 1952)

La « sainteté » (bourgeoise et communiste) à l’épreuve du réel de l’Italie hygiéniste d’après-guerre : grand film, grand réalisateur, grand rôle et grande actrice...

  • Incompreso (Luigi Comencini, 1966)

Avec L’Incompris, Luigi Comencini illustre un sujet obscène par excellence, davantage que les polissonneries référentielles et costumées d’un Mario Salieri, autrefois mentor de la pornographie transalpine – la mort d’un enfant. André Bazin fixait deux tabous au cinéma : le sexe et la mort ; on sait la fortune originelle du premier, avant même Griffith, et le second s’expose en toute impunité au JT. Il ose en outre un déplacement audacieux. Adieu à la guerre encore proche, terrain historique propice à toutes les atrocités, aux élans de la joie, parfois (cf. l’enfance filmée de John Boorman), arpenté par Rossellini dans une Allemagne remise à zéro, ou Isao Takahata dans un Japon-orphelinat où meurent les lucioles (L’Arbre de Noël, mélo leucémique porté par le duo inattendu William Holden/Bourvil, se situe à un moindre niveau). Le drame se déroule ici et maintenant, dans la grisaille diplomatique des années 60 finissantes, dans la bonne bourgeoisie italienne, dans une famille privée de mère, dans une grande maison aux allures de mausolée. Un enfant attend, nous annonçait Cassavetes ; un enfant va mourir, nous avertit Luigi, qui sut mieux qu’un autre portraiturer cet âge à jamais éloigné d’un quelconque vert paradis amoureux (Baudelaire) ou d’une hypothétique innocence, illusion stimulante pour les tueurs en série depuis Peter Lorre chez Fritz Lang, ou propice à rendre hystériques les gouvernantes victoriennes énamourées. Andrea, le solitaire aîné, ce gamin que personne ne comprend, bloc opaque de souffrance nantie, plaie à vif dans son beau costume viscontien, s’avère le frère de Pinocchio ou de Casanova durant son adolescence vénitienne. Dans les dernières minutes du film, son père lui avoue enfin son amour, mais trop tard. Le petit homme meurt – ne demeure que le silence étranglé des larmes du spectateur.

  • L'ultimo treno della notte (Aldo Lado, 1975)

Un grand film « marxiste » d’Aldo Lado, porté par la troublante Macha Méril, qui forme avec La Colline a des yeux et La Maison au fond du parc un triptyque relisant Bergman (La Source) & Dostoïevski (Crime et Châtiment)...

  • I maniaci (Lucio Fulci, 1964)

« Nous sommes tous des maniaques » : après ceux de Dino Risi, voici les monstres (anciens et nouveaux) de Lucio Fulci, pour un conte moral et drolatique en (lointain) écho à Psychose (« On devient tous un peu fou parfois »), la blonde Janet Leigh remplacée par la brune Barbara Steele...

  • La carne (Marco Ferreri, 1991)

Un homme et une femme dans une niche à leur échelle, baptisée du prénom évangélique du mâle, derrière une gamelle grise et un tapis terne – la femme porte des bas et un haut noirs, l’homme un pull verdâtre sans pantalon, pourtant les couleurs joviales de l’abri « domestique » ne font pas illusion : une tristesse profonde et hivernale émane de ce moment intime, qui pourrait prêter le flanc (trop blanc) à tous les débordements de la chair à deux, elle devenue chienne à genoux, lui transformé en chien en rut. Ces amants-là, on le devine comme une évidence, ne connaîtront nul orgasme, emboîtés l’un dans l’autre, collés/serrés mais irrémédiablement séparés par leurs regards opposés, si différents : la jeune femme maquillée, maternelle et sensuelle, à la coiffe léonine, semble sourire à son avenir, le chercher des yeux, tandis que l’homme, sombre, tendu, tétanisé par son désir existentiel, ne fixe qu’elle, et se perd, bien sûr, loin de ce corps qu’il ne possède pas…

  • Il gattopardo (Luchino Visconti, 1963)

On donne un grand bal, ce soir, et toute la villa revêt ses plus beaux atours, dans un déploiement pictural d’apparat : admirez la composition du cadre, l’harmonie des plans à l’intérieur du plan, la maîtrise absolue de la perspective focalisant le regard, tous les regards, diégétiques et hors de l’écran, vers le personnage central, nimbé d’on ne sait quelle aura homoérotique, saint Sébastien sur le point de recevoir les flèches extatiques de la passion (mais pas celle du Christ). Autour de lui, les figurants de la si bonne société composent une tapisserie exquise de précision, une palette de maître en blanc, noir et orange relevée d’une pointe de bleu clair. Lui-même regarde un couple resplendissant et mélancolique, un vieil homme très digne et une jeune femme couronnée d’une guirlande florale. Ici, les mains ne se prennent que couvertes de gants immaculés ; ici, la valse des œillades prélude à celle des pas – nous voici bien chez l’aristocratie du cœur condamnée à périr…

  • La ragazza che sapeva troppo (Mario Bava, 1963)

Une femme regarde quelque chose que l’on ne voit pas, de l’autre côté d’un arbre irrégulier, dont la texture – comme dirait David Lynch – paraît presque perceptible, et se tient sur un fond obscur, abstrait dans son effacement : angoisse du hors-champ, grain de la pellicule et du monde, néant de la nuit et fièvre des ténèbres. Que fixe-t-elle ainsi, de ses grands yeux inquiets ? Qui épie-t-elle alors, perdue à minuit parmi les ombres de la fiction ? Une seule partie de son visage apparaît dans la lumière, la seconde déjà enfouie dans l’obscurité, dérobée au spectateur-voyeur qui contemple son reflet dans cette discrète et courante mise en abyme. La fille qui en sait trop, ou pas assez, nous renvoie vers notre propre énigme, à interroger des spectres animés (de mauvaises intentions), tels nos ancêtres grecs la pythie de Delphes – femmes dangereuses et en danger, femmes devineresses, femmes pour nous guider sur les eaux noires de la mort…

  • Pasolini (Abel Ferrara, 2014)

Après DSK, PPP : à défaut de déployer un talent désormais envolé, absent, Abel Ferrara possède au moins de la suite dans les idées d’inanité. On le pressentait mauvais, ce court biopic nocturne au titre synthétique arrogant. Il ne nous déçut pas, pur produit soap par/pour chaîne franco-allemande classée culturelle. Ralentis risibles, visualisations à la con, actrice perruquée singeant l’amitié, pénible parcours superficiel du CV – tout ici transpire l’ennui, la petite bourgeoisie, la cire des musées, le stupre des missels, la fornication en réunion à la Ken Russell. Non seulement le métrage inter-minable et insignifiant ne transmet rien de la pensée pasolinienne, réduite à des citations scolaires, à une paranoïa publicitaire, de son imagerie drolatique-tragique, sensuelle-sauvage, sise à des années-lumière du calvaire désincarné, ripoliné, mais de surcroît il se fourvoie dans la veine méta-autobiographique du catastrophique The Blackout. Avec l’aval d’Adriana Asti & Ninetto Davoli, avec le concours de Maria Callas, Bach + Rossini, le cinéaste bouddhiste se prend pour la réincarnation du poète frioulan, voire l’inverse, et base son ratage sur un scénario de l’inégal Maurizio Braucci, auteur du réussi Gomorra, du raté Reality. Au lieu de vous infliger cet ouvrage surgelé, feuilletez la biographie de René de Ceccatty, l’essai de Hervé Joubert-Laurencin, la BD de Dufaux & Rotundo ; surtout, (re)lisez les livres et (re)voyez les films de Pier Paolo Pasolini, qui l’identifient et se dérobent à lui, libres, lucides, beaux, encore vitaux.

Commentaires

  1. De ce bel hommage, de la troublante et sympathique dédicace, j'apprécie surtout l'écriture souple, la nature éclairante de votre billet sur nombre de films que je n'ai pas visionnés, certains à visionner avec le coeur bien accroché,
    l'image de la poitrine opulente comme l'Italie et ses merveilles,
    la langue toute pure poésie comme ses paysages et son peuple, l'opéra,
    pour le cinéma italien et international aussi, selon moi Pasolini reste le maître quasi indépassable tellement c'est visionnaire...
    La Stazione - Sergio Rubini, Il portaborse (1991) di Daniele Luchetti, Il Postino: The Postman | 'Metaphors' | Philippe Noiret, Massimo Troisi | 1994...
    voilà des figures pour certaines disparues qu'il me plait de me remémorer...
    https://www.youtube.com/watch?v=8SMs8iC7khw

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    Réponses
    1. Sur Serena :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/06/delirium-sabrina.html
      Sur Claudia :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/08/le-mauvais-chemin-lheritier.html
      Luchetti à ses débuts bénéficia d'une "effet Moretti" puis s'afficha dans la confidentialité, en partie à cause d'une distribution hasardeuse.
      Quant au cardiaque Massimo Troisi, vrai-faux sosie de Pasolini, au moins ici, il décéda, lui aussi, à Ostie...

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    2. Pino Daniele - Massimo Troisi "Quando"
      https://www.youtube.com/watch?v=rVs7ENSOSoc&list=FLJ6I-b8riCIWXXsW_LQ-ICA&app=desktop
      Non ci resta che piangere - 1984
      https://www.youtube.com/watch?v=PJ_LCcoathc

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    3. https://www.youtube.com/watch?v=7JH-8xmGBOk

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    4. Riccardo Cocciante - Il mio rifugio, extraits du film Tandem :
      https://www.youtube.com/watch?v=Y3K4OpD5_zA

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    5. https://www.youtube.com/watch?v=t9IGHhrpFiM

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    6. Lucio Battisti - Con il nastro rosa (con testo)
      https://www.youtube.com/watch?v=Xr5939g8UlI
      Je me souviens comme si c'était hier de ma première écoute de ce titre à sa sortie, je campais sur les pentes du Vésuve, non loin de la Solfatare,
      le sol était chaud et pulvérulent, l'air parfumé de relents soufrés et de
      senteurs maritimes, ça sentait la crème solaire les peaux cuivrées et...les pinèdes échauffées ...

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    7. https://www.youtube.com/watch?v=n1cWuVFEtsU

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    8. BAUDELAIRE – https://www.youtube.com/watch?v=pXhob_vN7uM
      Cours Michel Butor, 1978, durée 8h37 !

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    9. Loin d'un stentor, ce Butor, et son Baudelaire, de suisse universitaire, très scolaire, pas assez "modifié", dommage...
      Une bio de Poe ? Celle-ci, oui :
      https://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article184
      Encore un cours au long cours :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/05/cinema-le-professeur.html

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    10. Personnellement je lis un peu de tout scolaire ou pas, parfois dans des heures de lectures ou d'écoute on trouve une perle
      "J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l'ardeur vitale dont il était animé lui-même. Toutes ses fictions sont aussi profondément colorées que les rêves. Depuis le sommet de l'aristocratie jusqu'aux bas-fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la comédie du vrai monde ne nous les montre. Bref, chacun, chez Balzac, mêmes les portières, a du génie. Toutes les âmes sont des âmes chargées de volonté jusqu'à la gueule. C'est bien Balzac lui-même. Et comme tous les êtres du monde extérieur s'offraient à l'oeil de son esprit avec un relief puissant et une grimace saisissante, il a fait se convulser ses figures ; il a noirci leurs ombres et illuminé leurs lumières. Son goût prodigieux du détail, qui tient à une ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir, de tout deviner, de tout faire deviner, l'obligeait d'ailleurs à marquer avec plus de force les lignes principales, pour sauver la perspective de l'ensemble. Il me fait quelquefois penser à ces aquafortistes qui ne sont jamais contents de la morsure, et qui transforment en ravines les écorchures principales de la planche.
      De cette étonnante disposition naturelle sont résultées des merveilles."
      Charles Baudelaire

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