Farmhouse : The Comfort of Strangers

 

Ferme infernale, infanticide humide…

On sait, depuis Carnival of Souls (Herk Harvey, 1962), que les victimes d’accident peuvent s’avérer des morts-vivants ; on sait aussi, depuis L’Exorciste (William Friedkin, 1973), que le Diable adore désacraliser les églises. Sans bien sûr se situer sur les hauteurs supérieures de ses prédécesseurs, Farmhouse (George Bessudo, 2008) mérite un article, une salutation pour plusieurs raisons. Il s’agit en résumé d’une moralité éminemment morale, un brin moralisatrice, qui se renverse in extremis. Un couple en déroute, sur la route, en sortie de route, en rencontre un second, trop accueillant et très increvable. Durant le dernier quart d’heure, les exécuteurs de débiteurs se révèlent gouvernés par l’étrange étranger, dans l’ombre resté, du prologue puéril, ensuite toubib, homme en blanc patient. Fifille endeuillée, maltraitée par son papounet désormais décédé, merci Maman, priée de presto ranger son putain de chapelet, on devinera vite pourquoi, Scarlet, ex-institutrice, devient la mère amère d’un « anormal » gamin, sombre destin sans doute dû à une chute à domicile, causée par un envoyé malintentionné. Maquée à un mec minable, mateur, menteur, inconséquent, impuissant, larmoyant, elle se transforme fissa en Médée désargentée, voleuse de vie, d’assurance-vie, son visage machiavélique dès le début éclairé, animé, par le bain du bambin. Plus tard, prisonnière du vinicole repaire, elle subira un thématique châtiment pour l’assassinat décidé du souriant innocent, pas celui de Visconti (1976), presque. Certes, le torture porn à la sauce Roth (Hostel, 2005 + 2007) ne passionne ni n’intéresse guère en profondeur notre réalisateur, même si la mimi Kelly (Hu), rebaptisée d’un explicite Lilith, sait se servir d’une râpe à fromage à outrage, surtout à grand coup sur un genou, féroce « jusqu’à l’os », en effet.

S’éloignant du sadisme paresseux des suiveurs délestés de cœur, il se rapproche cependant de l’anticapitalisme satirique du précité diptyque. Fable affable, effroyable, sur l’empire et l’emprise du fric, Farmhouse démontre le prix élevé de la survie, du péché, dessine la déréliction d’âmes damnées, piégées au milieu d’un pandémonium d’alcool, entre San Diego et Seattle, supposé Paradis, en vérité je vous le dis, exil inaccessible. Le récit associe de façon assez habile le présent au passé, quitte à le contredire, à le revisiter. N’en déplaise au théâtral Sartre, l’Enfer ne s’affirme via l’altérité mais bel et bien la similarité, la répétition, la compulsion, leçon jadis donnée par la chrétienne religion, éternité de la damnation, puis par la filmée fornication, formatage des figures au risque de l’usure, de l’imposture. Le nouveau départ, géographique, psychologique, se conclue ainsi par une stase de désespoir, une réponse au creux du noir, dépourvue d’absolution, de rédemption. Oui, possibilité permise, seconde chance acquise, souvenir ressurgi, elle commettrait le même forfait, elle accomplirait en replay l’indicible, l’irréversible. Les parents orphelins, à travail italien, de Ne vous retournez pas (Nicolas Roeg, 1973), découvraient leur némésis à Venise, rime rouge, noyade présage de naufrage. Ceux de Farmhouse, monstrueux et malheureux à leur manière, cadavres d’habitacle, accumulent les kilomètres et reviennent au point originel, tournent en rond, conducteurs démoniaques en proie à d’intimes démons, amitiés à L’Antre de la folie (John Carpenter, 1994). Conte catho rempli d’un tumulte adulte, Farmhouse, en matière de forme, ressemble souvent à un téléfilm de luxe, cadré en widescreen, à un épisode dilaté, modernisé, davantage hardcore, d’accord, cf. l’énucléation oculaire de saison, du taciturne assistant à la Steinbeck, pomme édénique, fatidique, incluse, Lucio Fulci en frétille, de La Quatrième Dimension.

Toutefois, il séduit de surcroît par sa dimension méta, car une fois encore, l’imagerie dite horrifique dessille les personnages, par conséquent les spectateurs, les oblige à regarder le délice du supplice, les photographie, donc les fige, les positionne face à leur froide fureur, à leur instinct de tueur, à leur partagée rancœur, à leur obscurité, à leur responsabilité, à leur identité. On peut fuir à la fin du monde immonde, on ne saurait soi-même se semer, sinon se sauver, pas vrai ? À sa radicale, modeste et sincère mesure, avec son casting estimable, Farmhouse sonde notre nuit infinie, nos jours de désamour, ne s’abaisse à nous rassurer, à nous réconforter, à nous divertir par le spectacle écarlate du dispensable pire. Inutile, voire futile, en définitive, de déranger Satan, ou Samaël, de sortir du tunnel, d’affronter le conflictuel : il suffit de laisser Lucifer se refléter au miroir domestique, éthique, abîme nietzschéen, le soir, le matin, en train d’arborer des traits familiers, humains, trop humains, peu sereins – les tiens. 

Commentaires

  1. https://www.youtube.com/watch?v=yhdh8kSM7lY
    Randy Newman - Baltimore & Lyrics
    Beat up little seagull
    On a marble stair
    Tryin' to find the ocean
    Lookin' everywhere

    Hard times in the city
    In a hard town by the sea
    Ain't nowhere to run to
    There ain't nothin' here for free

    Hooker on the corner
    Waitin' for a train
    Drunk lyin' on the sidewalk
    Sleepin' in the rain

    And they hide their faces
    And they hide their eyes
    'Cause the city's dyin'
    And they don't know why

    Oh Baltimore
    Man it's hard just to live
    Oh, Baltimore
    Man, it's hard just to life, just to live

    Get my sister Sandy
    And my little brother Ray
    Buy a big old wagon
    To haul us all away

    Live out in the country
    Where the mountain's high
    Never comin' back here
    'Til the day I die

    Oh, Baltimore
    Man, it's hard just to live
    Oh, Baltimore
    Man, it's hard just to live, just to live

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