The Outsider : The Boogeyman


Vade retro la preuve par l’ADN ; explorons l’impossible, tissons « l’étoffe des rêves ».  


To Shula, for sure

« That was good » : les derniers mots, en écho, de The Outsider, outre réinstaurer l’ordre du monde, refléter Ralph Anderson réveillé, éveillé (sens spirituel), muni d’un (inoffensif) rasoir, au miroir, domestique, identitaire, résument le sentiment du lecteur (anglophone, anglophile), arrivé, pourvu d’un plaisir permanent, au terme de 475 pages pleines de palpitantes péripéties, tant pis pour la (sempiternelle) petite pique contre Kubrick. King célèbre Coben, l’inscrit au sein de son récit, (trop) parfait alibi, suprême honneur, et son roman transgenre – il ne se soucie des catégories, moi non plus – adopte le découpage express (chapitres rebaptisés par la modernité « unités de lecture ») du prolifique signataire de Ne le dis à personne (et de Dan Brown, diantre, au code concon). Page-turner de froide fureur, The Outsider ressemble à un shaker, dans lequel Stephen King secoue au moyen d’une aimable maestria des éléments empruntés aux territoires du « policier », du « fantastique », du « mélodrame », du « western », le tout débuté/saupoudré par un zeste sanglant, horrifique, infanticide, seul le sieur Stephen, certes, pouvait comparer un bouquet de fleurs fanées à une main squelettique, naturel chassé, vite revenu. Le familier de l’imaginaire kingesque se retrouve donc en terrain (re)connu, The Outsider sis en résonance avec Pet Sematary, ’Salem’s Lot, IT et The Dark Tower.  En matière d’intertextualité, King adresse des clins d’œil à l’incontournable Bram Stoker, à Baum, à Poe, à Maupassant, à Shakespeare, aussi. Moins catho qu’Ellroy, quoique, King déploie pourtant une pietà épique, un entraîneur (de baseball) en état d’arrestation christique, au cours du tour de force (et de fusillade) du transfert de Terry Maitland (menotté) au palais justicier.

Au fond, rien de surprenant à cela, The Outsider s’avère en effet un livre sur la foi, son insanité, sa nécessité. Dans son voyage au bout de l’enfer (sous terre), davantage qu’au bout de l’univers a priori infini, le flic intempestif, guère dantesque, dispose d’une Béatrice prénommée Holly, à laquelle reviendra la victoire finale, triviale, à coup de blanche chaussette athlétique, alourdie de roulement à billes, bigre. Si The Outsider paraphe ainsi son filigrane féministe, duquel découle d’ailleurs l’attachante maman cacochyme de Claude Bolton, ex-alcoolique/drogué rédimé, il n’en oublie pas pour autant de parcourir son pays en partie trumpisé, de l’Oklahoma jusqu’au Texas. Dès lors le recours au croque-mitaine mexicain El Cuco ne manque pas de sel, de sperme, d’à-propos et de pertinence, sorte de réponse-réplique folklorique, vampirique, au président parodique. Ouvrage sans ramage, à succès mérité, à base de rumeur, de rancœur, d’irréversible erreur, de remise en cause, de surnaturel, de solidarité, The Outsider bat de tout son cœur, tous en chœur, alternative à la dérive, à la va-vite, à la raison insuffisante, sinon déraisonnable, de ressentiment puis de scepticisme coupable. Commencée, un 14 juillet, par une intervention précipitée, par une humiliation en public inique, mise en parallèle temporelle avec une atrocité consignée, retranscrite, de témoignages multiples, à tort d’accord, l’épopée plébiscitée, peuplée de personnages particulièrement bien campés, je pense à l’avocat Howard Gold, au privé Alec Pelley, compagnons qui, malheureusement, ne rentreront pas à la maison, je mentionne dans le mouvement, l’élan, Yunel Sablo, « Chicano » blessé à l’elbow, se conclut par un épilogue apaisé, rempli de pardon, d’une « différente saison », septembre de renaissance, de réhabilitation post-mortem, succédant à un été de tous les dangers, gare à Jack Hoskins, sniper atteint du cancer, faux frère de/à la Renfield de Dracula, non plus amateur de mouches mais lutteur de serpent à sonnette, chouette.

En sus d’étoffer d’un quatrième tome fiévreux sa « trilogie Bill Hodges », à savoir Mr Mercedes, Finders Keepers + End of Watch, de revisiter la caverne claustrophobique, féminine, utérine, de l’excellent The Descent (2005) de Neil Marshall, Stephen King cartographie une extériorité intériorisée, un alien à domicile, un insaisissable et impuissant « pédophile », un être adepte des métamorphoses moroses, avide de douleur(s), porté sur le festin de chagrin(s). Certains trouveront que l’intéressant intéressé fait le minimum syndical, littéral, en matière d’origines, de pedigree, d’improbable altérité, cependant cet adversaire, résident de promiscuité à proximité de cimetière, fonctionne à la fois en soi, manifestation de « pure evil », dixit Holly, et à l’instar d’une métaphore de nos démons individuels, à l’intérieur de tous les « trous » (de Marysville) de notre esprit, pas vrai Peter (Lorre) de M le maudit (Fritz Lang, 1931) ? Souvent, ici, contrairement à un Clive Barker, allez, King pratique la catharsis, relisez-moi supra, alors The Outsider, quand bien même il rappelle le pénible passé des innocents assassinés, des Indiens exterminés, stimule et n’assomme, va vers la (sur)vie, dépasse les deuils en série. Très américain, in extremis serein, The Outsider s’adresse à ceux qui espèrent, qui croient en la lumière, par conséquent, en simultané, aux ténèbres. Parfois poignant, toujours vibrant, ce roman (pour) de notre temps et du temps d’avant, d’un autre âge, des légendes, du lynchage, affirme la force de femmes fragiles, futées, obstinées, la faiblesse d’hommes aimables, maladroits, profondément intègres et disposés, à main armée, au sacrifice de leur propre personne, pour la cause supérieure des enfants, victimes confiantes, préférées, de l’étrange et impitoyable étranger.

Mélange fluide, limpide, de romantisme et de darwinisme, de classicisme et de subjectivisme, The Outsider donne à (re)lire l’auteur à son meilleur, anxieux et généreux, lucide et tout sauf défaitiste. Ses États-Unis à lui nous sourient, sa parité nous sied, via l’opus ni politiquement correct ni pathétique. Moins politique (et nostalgique) que 11. 22. 63, moins violent, éprouvant, que les novellas du bien nommé recueil Full Dark, No Stars, The Outsider démontre et développe l’axiome de IT – « la magie existe », amen – et place la fameuse « suspension of disbelief » au centre de son dispositif, la transforme en argument, en moralité. Que l’on souscrive ou point aux empreintes de pas parmi les dunes soudainement disparues, que l’on savoure ou niet l’équivalent local d’une appétissante pastèque, envahie, écorce close, encore intacte, par d’écœurants asticots, cette odyssée US refroidit et réchauffe, séduit car conjure magic and loss, salut à Lou Reed. Un titre de plus, anecdotique, réactionnaire ? Un titre en plus, tendu et tendre, solitaire et solaire.


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