À couteaux tirés : Family Business
Ana (de Armas) et les loups, comme Carlos Saura aux USA…
À l’Angleterre les rapports de
classes, aux États-Unis les rapports d’espaces : À couteaux tirés (Rian
Johnson, 2019) revisite le whodunit,
le délocalise sous la présidence de Donald Trump, illustre une lutte de
territoire autour d’un héritage-outrage, matérialise ingénument la hantise droitiste
du « grand remplacement ». Au creux du manoir, les accessoires
servent de miroirs, minutent la mémoire, affichent un factice défouloir. Un mug explicite et drolatique boucle la
boucle, une pièce d’argent suspend le temps, un poignard (de) tocard révèle la
vérité (de la rapacité). Davantage que son essence importe son usage,
philosophe le privé aux initiales dédoublées. À Boston, B(enoit) B(lanc) ne
connaît ni Brigitte Bardot, pénible lepéniste, ni La Vérité (1960),
justement, de Henri-Georges Clouzot, réalisateur « facho »,
pléonasme, je te filme, je te gifle. Mais il reconnaît illico le « bon cœur » de l’infirmière latino, esthète
joueuse de go, l’empathie pour seule stratégie, propriétaire improvisée, à
l’insu de son plein gré, gentille fifille de clandestine, peut-être, in extremis, magnanime. Dans Get
Out (Jordan Peele, 2017), il fallait sortir, s’en sortir, du piège
nuptial a priori posé par les grands
méchants parents blancs. Dans Knives Out, il convient au contraire
d’entrer, de rester, de spolier sous leur nez des parvenus plus dérisoires que
dangereux, quoique. Une fois le patriarche auteur de polars suicidé par ses
soins, déontologie jolie, une fois son testament modifié lu en complet comité,
cette famille de fesse et de fric fait volte-face, répudie la future ex-adoptée, menace de sa maman fissa
refouler, dommage pour l’épisode de Arabesque en espagnol. Ici, le
racisme se déguise en légalisme, autorise cependant une sorte de sincérité, de
générosité, de condamnable et compréhensible humanité partagée.
Alfred Hitchcock filmait des faux coupables et
parfois des vrais, Rian Johnson adoucit son jeu de massacre en le politisant.
Certes, le hasard du recrutement et l’évidence du talent transformèrent le
personnage noir de La Nuit des morts-vivants (George A. Romero, 1968) en
porte-parole de l’époque, en symbole d’abord héroïque, ensuite martyrisé, du
triste sort alors réservé aux « minorités », à leurs leadeurs
assassinés. Toutefois la présence de Chris Evans fait (sur)sens, Captain
America machiavélique sur lequel vomir, de manière littérale, le dégoût local,
international, suscité par les mesures (murales) du gouvernement américain contemporain.
À défaut de (re/dé)faire du Cluedo,
c’est-à-dire un ersatz d’Agatha Christie, de retravailler le duel mental, en
tête-à-tête, labyrinthique, arrière, Stanley Kubrick, du mémorable Limier
(Joseph L. Mankiewicz & Anthony Shaffer, 1972), Johnson signe un film de
scénariste, accessoirement de décorateur (David Crank s’y colle). Bien éclairé
au cœur de sa presque inoffensive noirceur par le doué DP Steve Yeldin, le casting choral impeccable amuse et
s’amuse, à l’aise au sein d’une satire qui n’oublie pas les sourires, où décèdent
le boss et la housemaid, reflet des opposés, tandem
d’extrémités en clôture d’imposture(s), pour petits piranhas finalement sympas,
ou pas. Soigné, précis, impersonnel, collectif et individuel, À couteaux
tirés constitue par conséquent un divertissement assez réussi, à succès
plutôt mérité, à base de détective d’un accent sudiste doté, au donut en duo, de mélomane et mutique
témoin antédiluvien, ode de à la fois délicate (les scènes ludiques et tendres
en compagnie de Mister Christopher Plummer)
et lourdingue (la canne assourdissante, en répété gros plan, de l’émissaire
Michael Shannon) à la famille recomposée, désignée, métissée, aux dépens de la
privilégiée, divisée, déshéritée.
Moralité de la fable moderne :
souviens-toi que tu vas évidemment mourir, que les vanités renvoient vers la
tienne, que l’Histoire s’avère illusoire, Daniel Craig se marre, à cause d’une
maison-tradition en réalité « achetée à un riche Pakistanais dans les
années 80 », tiens. Du haut de son balcon, de ses montagnes russes
d’émotions, Marta contemple en coda, à la mode romaine, les survivants
vénères ; impératrice complice, princesse dessillée, elle observe et boit,
désormais tout sauf aux abois…
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