It Must Be Heaven : Stranger Than Paradise
Faire
du tourisme pour « Brigitte » (Macron ?), se souvenir de Yasser (« Karafat » !)…
« Pas assez palestinien »,
reproche de producteur parisien, Vincent Maraval monologue, toujours autant
keatonien, voire tatiesque, le mutique et cosmopolite Elia Suleiman porte à
présent un canotier, sorte de Cézanne sur Terre et dans les airs, peintre
impressionniste in situ puis à Paris + New York, voyageur
de commerce, le sien, essuyant, hélas, le refus de financement, l’indifférence
polie, « ravie », d’une blonde amie – de Gael García Bernal, caméo à
propos de Conquête suspecte, projet historique in English, please. Comme
auparavant le davantage sentimental Intervention divine (2002), It Must Be Heaven (2019) possède un titre mystique, ironique, se présente
telle une placide chronique, aux évidentes qualités plastiques, aux manifestes
carences diégétiques. Si ce film, cadré au cordeau, doté d’une belle direction
de la photo, due à Sofian El Fani (La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche
en 2013, Timbuktu d’Abderrahmane Sissako en 2014), séduit l’œil,
l’oreille, via une bonne BO, où
reconnaître Nina Simone & Leonard Cohen, où découvrir l’irrésistible
morceau de Nagat, l’esprit du spectateur reste un brin sur sa faim, en dépit du
plateau repas express du SAMU, malgré
les efforts louables du farceur imperturbable, guide altruiste de
chasseur-pisseur. Certes, on sourit souvent au triptyque satirique, tout sauf
héroïque, « didactique », antisémite, on en apprécie la géométrie,
sereine, urbaine, on en déguste la durée idoine, mais l’aimable et amusant
Suleiman, remerciements à Martin Scorsese & Anne Hidalgo quand il faut, au
générique de fin, tiens, ne s’émancipe jamais de sa modestie jolie, presque
inoffensive, la mise en abyme à des années-lumière solaires de la frime, du
narcissisme, a fortiori en regard
caméra, félicitons-le pour cela.
Attablé à un café à la terrasse
bientôt mesurée par les forces en effet de l’ordre, surtout mathématique, administratif, accessoirement suiveuses de SDF souterraine, le cinéaste observe avec une béatitude dubitative le ballet des passantes incessantes, à la Baudelaire,
plutôt à la Prada, manège de mannequins hautains, dont la propre épouse d’ES, regardant en reflet, au
ralenti, ce faux frère de Woody Allen fasciné par leurs jambes interminables,
estivales, cohorte de compas à la François (Truffaut), escortée par la voix de
la chère Nina. Plus tard, à l’hôtel, le réalisateur-acteur observe à nouveau,
cette fois-ci en pleine nuit, un second défilé, par la fenêtre en face surcadré,
de podium filmé, présence-absence
d’atelier déserté, à l’écran rectangulaire, vertical, ensuite nettoyé par une
employée à la peau noire, en rime avec les éboueurs-golfeurs de canettes,
vêtus en vert. Ici se cristallise et se formalise le programme du film, ouvrage
de pure surface renversé à l’horizontale, c’est-à-dire en widescreen. Témoin d’une « humaine comédie », intitulé de
librairie, délocalisée, mondialisée, Suleiman minore la narration, assemble ses
saynètes guillerettes, les pimente de sa paranoïa sympa, pétrification en
pleine rue because course de gang, pouls pris en avion turbulent,
profil bas en métro devant le tatoué insistant, quasiment menaçant, Grégoire
Colin (Beau travail de Claire Denis en 1999) s’y colle. Sa
subjectivité assumée, lucide, aussi légère qu’un petit oiseau apprivoisé, de travail
sur PC Apple gentiment gêné, s’entoure ainsi d’autarcie, de raccourci, de placement de
produit, la promenade semble se dérouler derrière une paroi en verre,
identitaire, de « perfect stranger », pontifie le professeur de ciné, en
contrechamp de ses étudiants assommés, bestiaire de Toussaint US défoncé.
La ligne claire du petit homme,
économe de plans, de mouvements, de mots – il en prononce quatre, à l’attention du taxi driver, Black admiratif, transforme Nazareth en pays, rajoute à l’origine
un prudent-pudique « I’m Palestinian » – multiplie les silhouettes,
les situations, opte pour la boucle bouclée, le retour au point A, après
passage par les points B & C, la danse en boîte de nuit de la jeunesse
palestinienne en réponse optimiste au hiératisme comique, alcoolisé, du
prologue catho, au curé arabe costaud, à la don Camillo. En vérité je vous le dis, la
meilleure part de l’item masculin réside
au sein de deux scènes féminines, qui disposent d’une passagère de voiture israélienne
aux yeux bandés, aux soldats échangés, lunettés, d’une porteuse mystérieuse de
récipient, au fond d’une forêt ensoleillée, parallélisme de parallèles en travellings. Alors It Must Be Heaven
parvient à faire entrevoir l’énigme politique, poétique, du monde, l’ésotérisme
de l’altérité, sa trouble, troublante et troublée sensualité. Sinon, en résumé,
tout ceci manque un chouïa « d’acidité », exception-accusation du
repas au restaurant, aviné, sœur très encadrée, du citronnier colonisé, taillé,
arrosé, verse à l’improviste dans du symbolisme scolaire, cf. le tank défilant, encore, en raison du 14
Juillet, contre l’entrée fermée de la Banque de France, fichtre, se caractérise
parfois par de la caricature mécanique, facile, cf. l’arsenal banal des
Américains au quotidien. Primé à Cannes, sorti en simultané avec une
rétrospective à la Cinémathèque de la Capitale, It Must Be Heaven inclut
en sus un ange étrange, une manifestante pacifique, lointaine Femen, à Central Park pourchassée,
évaporée, à l’image du métrage rapide, plaisant, évanescent.
Déguisé en diseur de bonne ou
mauvaise aventure, Stephen McHattie (A History of Violence de David
Cronenberg en 2005 ou Pontypool de Bruce McDonald en 2009)
promet qu’il existera, in extremis,
une Palestine, seulement pas de notre vivant, mon ami migrant. Pour l’instant demeure donc, dédié aux parents défunts, à l’utopie précitée, un film posé, composé, à distance, sis entre hédonisme intime et sourde
souffrance, réussite tragi-comique au bord de l’anecdotique, disons vite
avalée, en écho perso à un verre de sirop anisé, solo puis partagé, dansé.
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