Madame Bovary : La Dernière Valse


 « I wanna dance with my wife » dit Charlie de celle qui fiche illico le camp…


Redécouvrant la valse de la Bovary selon Minnelli, je repensais au slow de Carrie, conviée comme on sait, en français, « au bal du diable », amen. De multiples correspondances unissent en effet ces deux métrages de danses, d’errances, de miroirs, de robes du soir, d’illusions, de désillusions, de féminités très tourmentées, de vertiges en travellings circulaires, à l’instar des cercles du proche enfer, trahison pour Emma, humiliation pour Mademoiselle White. Sidérée par ses menstrues, merci Maman, Carrie, après avoir dansé au bras de l’aimable Tommy, va se recevoir un seau de sang porcin sur tout son corps, chacun s’en souvient encore. Ici, Mrs. Bovary risque de défaillir, de s’évanouir, grisée par l’instant parfait mais épuisant. Qu’à cela ne tienne, à la MGM, les fausses fenêtres se cassent fissa, en studio, rien de trop beau, surtout à destination de la sublime Jennifer Jones, certes davantage sensuelle et sauvage que la bouleversante Sissy Spacek – quoique. Prince charmant du conte de la fée bientôt défait, Louis Jourdan ordonne (par ricochet) que l’on donne de l’air (frais) à la tourbillonnante Jennifer, aussitôt les serviteurs s’exécutent : en France, au dix-neuvième siècle, dans la supposée bonne société de province, que ne ferait-on afin de complaire à la princesse du jour, mon amour ? Le mouvement des danseurs se savoure ainsi en stéréo, dupliqué par celui de la caméra « spécialisée » du réalisateur majeur. Pourtant, évidemment, Vincente ne filme pas cette fois un musical, même si sa Bovary à lui ressemble à une Américaine à Paris.



Minnelli le caméléon s’illustra avec maestria dans les imageries du (mélo)drame, de la comédie (musicale), sachant conférer à chaque récit une couleur, un parfum, qui n’appartiennent qu’à lui, bien servi par les talents convergents des autres artistes du temps, en l’occurrence, au cours de cette séquence, le chorégraphe Jack Donohue, le compositeur Miklós Rózsa, les costumiers Walter Plunkett & Valles, le décorateur Edwin B. Willis, les directeurs artistiques Cedric Gibbons & Jack Martin Smith, le directeur de la photographie Robert H. Planck, le monteur Ferris Webster, tous à l’unisson, tous dans la danse, indeed. Pas plus que je ne crois aux « genres », au cinéma, au-delà, je ne souscris à l’auteurisme, amateur de « thématiques », obsédé par les « obsessions », les siennes prises pour celles des cinéastes, hélas. Néanmoins demeure un conflit fondamental parmi la riche filmographie de Minnelli, cependant revient sans cesse une césure/blessure chez ses personnages déchirés entre le rêve et la réalité, l’idéal et le trivial, le sentimentalisme et le matérialisme, le désir et le pire, l’utopie et la vraie vie. Tous ces êtres atteints de bovarysme, sinon de narcissisme, paraissent aussi dupliquer le spectateur, rêveur éveillé, aveugle volontaire, prisonnier de son plein gré de la caverne platonicienne du ciné, en salle ou à domicile. La liesse puis l’ivresse d’Emma, tu connais cela, tu le ressens de moins en moins souvent, devant un film qui te remue, t’émeut, t’autorise à effectuer un voyage immobile au sein de ta sensorialité, de ton intériorité, a(n) (e)motion picture, précisément.



A contrario de Visconti & Cimino, en écho à leurs Guépard (1963) et La Porte du paradis (1980) à eux, Minnelli ne verse pas dans la fresque, le tableau animé, a fortiori lorsqu’il regroupe un groupe en train de se mettre en scène, de s’admirer en petit comité, spéculaire du spectaculaire. Il reste au plus près d’Emma/Jenny, adopte le temps d’un plan son POV à vomir, passe du plan large au plan subjectif, participe à la fête puis pénètre dans sa tête. En 1949, l’actrice danse, l’héroïne éprouve sa jouissance, tant pis pour Lana Turner, d’abord pressentie, hautaine, enceinte. En 2019, elle persiste tandis que Carrie saigne, elle nous entraîne et nous malmène, elle incarne une sorte de kaléidoscope où l’accompagnent ses pairs, tous à leur façon ensorcelés par leurs songes, leurs mensonges, leur nécessité baudelairienne, plutôt que flaubertienne, de transcender la boue en or, je renvoie volontiers vers Le Chant du Missouri (1944), L’Horloge (1945), Les Ensorcelés (1952), justement, Tous en scène (1953), Brigadoon (1954), La Vie passionnée de Vincent van Gogh (1956), Comme un torrent (1958), Celui par qui le scandale arrive (1960), Quinze jours ailleurs (1962) ou Le Chevalier des sables (1965). La tendresse et l’empathie de Minnelli, suprême styliste, ne sauraient le dispenser d’esprit critique, de sens du tragique, toutefois le mettent à l’abri de l’ironie (un brin voltairienne) de Gustave en son « gueuloir ».


Avec cette scène magique et physique, envoûtante et dissonante, au vil valseur, au mari maudit, de surcroît alcoolisé, déplacé, émouvant Van Heflin, Minnelli cristallise son cinéma, nous redonne foi dans ses puissances de danse et de déchéance, en sus de magnifier une muse elle-même very bovaryenne. Comme dirait une vaine Valérie, « Merci pour ce moment », grand Vincent(e).


Commentaires

  1. "dans ses puissances de danse et de déchéance"
    un autre reflet ballet du drame d'amour
    Les Amants de Teruel un film français réalisé en 1961 par Raymond Rouleau, sorti en 1962.
    https://www.youtube.com/watch?v=qjJQluoiEM4

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