Rambo: Last Blood : Au nom du père
Un item pour Marlène Schiappa – ou pas…
« Tu t’es perdu, vieil
homme ? » demande de manière rhétorique le frère infernal, proxénète over the top, amitiés à Menahem Golan.
Cette question, le spectateur, même nanti des meilleures intentions, pourrait
la poser au cher Sylvester, dont le character
d’ailleurs se définit, en voix off,
en conclusion, en « homme perdu ». Lesté d’un scénario risible, d’une
interprétation à l’unisson, affreusement téléfilmé, Rambo: Last Blood (Adrian
Grunberg, 2019) mérite la majorité de ses mauvaises critiques, décochées en tandem des deux côtés de l’Atlantique.
Mais il s’agit aussi d’un film à sa façon féministe, qui se confronte aux
fameux « féminicides », qui souligne l’importance, sinon
« l’innocence », du « deuxième sexe », salut à la
sartrienne Simone. Je ne reproduis pas mon propos à propos de Rambo
(Ted Kotcheff, 1982), je pointe plutôt du doigt la pietà de Paz Vega – à
plusieurs passé à tabac, ses deux paupières bouffies, John J. ressemble alors à
Rocky –, sœur esseulée/journaliste en danger/ange gardien mexicain, oui-da,
« Carmencita », auparavant j’évoque le martyre d’Yvette Monreal,
vierge valeureuse, trop aventureuse, à laquelle la félonne Gizelle, alias
Fenessa Pineda, transgenre Judas, rabatteuse miséreuse, pose subito, sur le seuil, son interrogation
à la con, premier sang versé, ma poupée ?, je n’omets la mélancolie
d’Adriana Barazza, son douloureux, définitif, « Je serai triste jusqu’à la
fin de ma vie » de grand-mère doublement endeuillée, puisque sa propre
fille, elle-même battue par son minable mari, géniteur sans cœur, ensuite victime
du cancer, en résumé du métrage, en
formulation de la sienne à lui, en reflet de celle de Sly.
Si le vétéran surarmé du Vietnam fore
des tunnels, ésotérique rituel, exotisme de party,
il ne répond pas seulement à un impératif scénaristique, où il anticipe avec
une adresse colossale la seconde partie du script
étique, il ne réactive pas uniquement le trauma
du combat là-bas, guérilla aux adversaires dépourvus de visages, fissa
transformés en hommes-rats, remember
une scène célèbre de Outrages (Brian De Palma, 1989),
soldat US soudain prisonnier d’un sol dérobé, d’une rouge tranchée munie
d’ennemis, « fantasme de castration » à la clé, olé. Si Sylvester
joue ainsi au mineur, outre creuser des tombes profondes, symétriques à leurs
homologues en hauteur, sur lesquelles se recueillir en silence, en souffrance,
instant presque fordien de vrai-faux western,
son geste de « rageuse » détresse, de machiavélisme assumé, revisite les
pièges rustiques du premier opus, duplique
en réalité la logique symbolique, la cohérence graphique, de Inseminoid
(Norman J. Warren, 1981) et Irréversible (Gaspar Noé, 2002),
autres fables guère facétieuses de féminité très tourmentée, aux supplices
intimes se déroulant à l’intérieur de cavités ouvertement utérines. Dans First
Blood, une « Afro-Américaine », appellation politiquement
correcte, accueillait le survivant errant au bord d’un lac malade, sorte de
Charon entre colère et malédiction. Dans ce Last Blood, le papa par
procuration essaie de sauver sa juvénile Eurydice, tel autrefois Orphée,
l’arsenal à domicile certes substitué à la lyre hypnotique, pacifique. Comme
jadis l’illustre prédécesseur, il échoue, il accumule le malheur, il perd à son
tour la guerre éternelle. La tête sur le volant, à proximité de la passagère
emportée, il murmure « Pourquoi pas moi ? », colosse increvable
toutefois défiguré, à l’instar de sa protégée pas assez protégée, par la « marque
du bétail » des frérots bourreaux, bergers bientôt bousillés de troupeau
sado (Salò).
Accusé à tort de racisme, de
fascisme, notamment selon Michel Ciment, le « concierge » favori de feu
Jean-Pierre Mocky, Rambo: Last Blood peut paraître a priori un tract
patraque de trumpisme opportuniste, mur (des lamentations de l’immigration)
significatif survolé. En vérité, dans la vraie vie, Grunberg bossa souvent en
Amérique du Sud, assista Alejandro González Iñárritu, signa Kill
the Gringo (2012) avec Mel Gibson, lui-même un temps suspecté
d’antisémitisme, en raison de son explicite La Passion du Christ (2004). Rappelons donc brièvement aux aveugles volontaires, inutile de vouloir les
convaincre, la judéité de Jésus, la « mexicanité » de Carmen, Gaby, Maria, le caméo du médecin point malsain. Co-scénariste, co-producteur,
principal protagoniste, Stallone oppose deux espaces irréalistes, ne se soucie
pas de sociologie ; à cheval, au propre, au figuré, sur un Arizona
autarcique, édénique, et un Mexique jamais métonymique, peint en noir, aux
couleurs du pire désespoir, pour des motifs dramaturgiques davantage que
politiques, il évolue puis régresse au sein d’un univers placé sous le sceau de
l’impureté, du mélange des gens, des « genres », du passage dans les
deux sens, en permanence, des frontières (voire de la Frontière), n’en déplaise
aux tenants du chacun chez soi, au cinéma et au-delà. Mélodrame familial mâtiné
de rape and revenge, Rambo: Last Blood retravaille
la relation père-fils de First Blood, en réenvisage le
voyage-sauvetage, remplace Œdipe par Électre, chouette. Tandis que la série des
Rambo
ressemble un brin à celle des Un justicier dans la ville, pareille
pentalogie à base d’éprouvantes violence(s), de vaines revanches, pareillement
tentée par la caricature, la déconfiture, cet ultime épisode dialogue à
distance avec le supérieur et suprême Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia
(Sam Peckinpah, 1974), autre récit d’amour « interracial » contaminé
par le cauchemar, la culpabilité, décapitation en répétition.
Créature (de Frankenstein)
surprenante, à la fois émouvante et repoussante, Sylvester Stallone abandonne
bel et bien les allures « d’étalon italien », mise à nu liminaire,
alimentaire, incarne à présent un improbable croisement de John Wayne, Charles
Bronson et Michael Myers, la « forme » informe du serial killer similairement dénué de
merci – Clint opine, impitoyable justicier d’une prostituée balafrée, cf. Unforgiven (1992) – de La Nuit des masques (John Carpenter, 1978), moralité de
virginité itou. Avant de revenir d’entre les morts décimés, par ses soins mélomanes
exterminés, merci au menaçant Five to One des Doors, de s’asseoir, blessé, dans son rocking-chair paternel de ranch désolé, bouleversé, rêve de foyer
brisé, en écho à la coda de La Nuit du chasseur (Charles
Laughton, 1955), Rambo, heartbroken,
arrache le cœur du tourmenteur, promesse réalisée en souvenir disons
inconscient, quoique, de Indiana Jones et le Temple maudit
(1984). Sur fond de maltraitance enfantine, d’esclavage de mineurs mineurs à la
mine, de culte à Kali, Steven Spielberg philosophait sur la famille « recomposée »,
après la famille décomposée de E.T., l’extra-terrestre (1982), succès
planétaire centré autour d’un étrange étranger, d’un alien pourchassé, in extremis
rentré (renvoyé) chez lui, par conséquent mise en bière stellaire du mythique melting pot terrien étasunien. Sur fond
de home invasion, élément molto local,
l’Hexagone, de moindres dimensions, de mince horizon, au sens de la propriété
défendue à main armée moins prononcé, se contente de cambriolage, dénomination
à double acception, équivalent minoré, matérialisé, du viol, allez, je renvoie
vers L’Emprise
(Sidney J. Furie, 1982), Sylvester Stallone organise en stratège lessivé, en
archer ensanglanté, une victoire de territoire instantanée, achevée au soir, au
crépuscule (nietzschéen) de l’idole, manieur de forge veuf à la Conan
le Barbare (John Milius, 1982).
In fine, Rambo:
Last Blood met un point final (provisoire ?) à une franchise bancale, schizophrène, symbiose
morose et cependant stimulante de reaganisme, d’interventionnisme, d’identité,
de spiritualité. Terminator de la Nation, l’orphelin assassin, rajeuni-ressuscité-démultiplié par l’épilogue express, paraphe, fatigué, la faiblesse
des hommes, la défaite des pères, la force des femmes, l’éphémère des mères. Encore
une contradiction, Stallone y tient au long cours un discours de désamour à
rapprocher des paraboles anthropophages de Romero, pourtant son parfait opposé, antimilitariste et marxiste,
car le Républicain et le Démocrate prennent acte de la faillite du « vivre
ensemble », en tout cas au domaine de « l’Oncle Sam », racontent
en direct une Histoire de l’Amérique, des histoires américaines remplies de
bruit et de fureur, dotées d’un cœur. En 2010, on s’en souvient, le regretté
George prenait congé via un western shakespearien, l’insulaire et
mésestimé Survival of the Dead, intitulé synthétique, programmatique. En
2019, le doux-amer Sylvester reprend son rôle de mort-vivant armé jusqu’aux
dents, spectre trouvé par la plupart infect, fantôme au miroir du trop tard,
carburant aux médocs et au ressentiment. Une fois les silhouettes suspectes
atomisées, que te reste-t-il, isolé Johnny ? Une dernière chevauchée,
Rambo de Marlboro, ermite à rhumatismes, soldat d’infortune à la tendresse
taciturne, épitaphe fugace de film hommage, de film naufrage, tant mieux et
dommage.
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