Mister Universo : Arthur
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Tizza
Covi & Rainer Frimmel.
Documentaire de déprime, fiction à
frictions, Mister Universo (2017) séduit par sa modestie. On y suit donc un
dompteur de lions, au cours de ses pérégrinations, parmi une Italie à
transformer la Grèce humide, dépressive, de Theo Angelopoulos, en paradis
touristique, à jamais ensoleillé. Si l’aspect parfois sinistre de la vie
d’artiste, a priori « comique »,
n’échappa point au Federico Fellini himself
documenté des Clowns (1970), Mister Universo renverse, voire
retravaille, La strada (1954), puisqu’il s’achève sur le numéro de la
contorsionniste, callipyge, souriante et bien vivante Wendy (Weber), bonne fée
au dos fatigué, au chienchien acharné, aussi rousse que la chère Moira Shearer chez
les Archers (Les Chaussons rouges, 1948), certes moins suicidaire, qui
veille à sa manière, voyage en parallèle, sur son Peter Pan à elle, le prénommé
(et catho) Tairo (Caroli). Autant que sa précieuse présence, que sa
bienveillance à distance, sa chevelure de feu réchauffe le protagoniste (et le
spectateur), éclaire la noirceur du quotidien guère serein, adoucit une vie, un
mode de vie, déjà tamisés de décrépitude, d’amertume, en effet, malgré le sucre du café
partagé. Film à la fois drolatique et mélancolique, Mister Universo
reprend la recherche presque paternelle de Sugar Man (Malik Bendjelloul,
2012). En quête d’un dérobé porte-chance, d’un radieux souvenir de son enfance,
surtout d’un sens adulte à son existence, Tairo piste par ses proches ce pionnier,
ce fameux « Mister Univers », Arlésienne Black à biscottos pas tout à fait ramollos. La rencontre se déroule
enfin, simple, sobre, amusante, émouvante, à l’image du métrage, et, là aussi,
en compagnie d’une femme solaire, solidaire, amoureuse audacieuse, rescapée d’hôpital, la belle Lilly (Robin), elle-même propriétaire d’un porte-bonheur, gardé-serré
contre/sur son cœur.
Quand la « crise » sévit,
quand le directeur du cirque, aux profits peu mirifiques, arbore de l’or, quand
les animaux tombent malades, vieillissent ou décèdent (RIP,
« Rambo »), quand le racisme soft
(envers « les Portugais », « les Roumains »), de voisinage
énervé, souligne un malaise personnel, comment réagir, rebondir ? Il
convient de (re)partir, en solitaire, mon cher, de tailler la route, afin
d’éviter la déroute, de se confronter aux traces des années, à la sagesse
généreuse d’un octogénaire en aucun cas amer, bis. Récit de déréliction, de filiation, de transmission, Mister Universo associe ainsi la romance et la survie, la raison et la
superstition, la famille et la faille. En clôture de la séquence consacrée à
une route étrange, contradictoire, car ascendante/descendante, un docte quidam formule la morale, en français,
s’il vous plaît : la curiosité, quasi
quantique, relève d’une « vue de l’esprit », possible définition du
ciné, signature du style discret, singulier, de notre tandem de cinéastes (Tizza Covi écrit le scénario, s’occupe du son
et monte en outre, Rainer Frimmel dirige en sus la photographie, gère les
finances). Filmé en Super 16, in extremis
dédié aux désormais licenciés de la numérisation du cinéma, auto-produit,
récompensé de prix, Mister Universo constitue par conséquent un acte de résistance, dur et tendre, un portait démultiplié de marginalités, à la lisière du
désespoir, de la pauvreté. En ceci, il rime bien sûr avec Sacro GRA (Gianfranco
Rosi, 2013) et Dogman (Matteo Garrone, 2018), (re)lisez-moi ou pas. L’ensemble
pourrait fissa sombrer dans le misérabilisme bon teint, le réalisme pour rien,
le pathos insupportable, mais au contraire se caractérise par une élégance (et
une pertinence) de chaque plan, par des instants de silence (de solitude)
éloquent, par un (double) élan évitant l’enlisement, l’embaument.
Crépusculaire et résilient,
sentimental et trivial, initiatique et prosaïque, le périple de Tairo se
déploie comme il faut (filmer), esquisse des silhouettes honnêtes, sans les
exposer, les exploiter, immortalise un mouvement (en miroir) et des moments
appartenant à de « vrais gens » (les real people jadis réclamés par John Cassavetes, à l’époque du crowfunding radiophonique et
indépendantiste de Shadows, 1959). Ici, dans la « vraie vie », au
propre, au figuré, chacun joue son rôle (social) ou décide de démissionner, de (se)
fuir, c’est-à-dire, in fine, de se
(re)trouver, quitte à risquer un accident de camion, remonter à contre-courant
une procession de saison. Rempli d’empathie, de critique active, le regard dupliqué
de Tizza Covi & Rainer Frimmel ne cède, à aucune seconde, au dolorisme, au
défaitisme, à la légende, à la revanche. Sisyphe, on le sait, soulevait sans
cesse son lourd rocher, Albert Camus nous incitait même à heureux l’imaginer ;
au terme de l’aventure impure, parce que traversée par des forces opposées, le
héros rasséréné rentre à la maison itinérante, y rejoint, en Ulysse complice, sa
souple Pénélope pas en plastoc, qui se tord en simultané, avec un chapeau, sous
le chapiteau, sur une chansonnette d’amour triste et entraînante. Sincère, simulé,
en public, en privé, autour de Rome, au large de Milan, entre parents, entre
enfants, l’amour, crois-moi, tient (itou) à cela, à une déclaration par
procuration, force douce destinée à (nous) raccrocher, revigorer, peut-être,
pourquoi pas, rédimer, comme si le cirque, primordial et pathétique, proposait,
en définitive, en réalité, prouesse suprême, CQFD de « circus », une démonstration
de stoïque (et physique, et féminine) métaphysique.
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