The Elephant Man : Le Grand Sommeil
Mouchoir d’insomnie ? Mouroir magnifique…
La cathédrale de Elephant Man répond au
dédale de Shining : en 1980, David Lynch & Stanley Kubrick
portraiturent deux freaks, deux
créateurs, deux hommes à proximité d’une maquette. Si Jack Torrance s’enlise au
sein de l’insanité, John Merrick réaffirme son humanité ; in extremis, ce tandem accède à une sorte de délivrance sidérante, sidérée, sise
sous le signe d’une image à miroiter, à intégrer. Le père impuissant,
frigorifié, ogre égaré par son extra-lucide
Petit Poucet, fait toutefois, photographié, la fête en famille, pour l’infinité
du passé, d’un bal du 4 juillet. Le fils orphelin, condamné, décide de se
coucher, enfin, en être humain, à l’imitation du gamin du dessin. À
l’agnosticisme ironique, fantastique, de Kubrick, succéderait donc le
sentimentalisme suicidé, maternel, de Lynch ? Pas vraiment, malgré le
redoutable adagio de Samuel Barber, bientôt utilisé avec une délicatesse de
pachyderme, justement, par Oliver Stone selon Platoon (1986), où le
déjà christique Willem Dafoe succombait les bras levés, interrogeait au ralenti
le Ciel silencieux, amen. On sait que
le biopic produit par Mel Brooks
prend des libertés parfois reprochées avec la réalité de départ, mais ce
mélodrame révisionniste assumé, un peu moqué, notamment par un second David,
Cronenberg, lui-même, ensuite, chasseur de mouche, toujours pour Brooks (The Fly, 1986, suicide idem),
conserve dans sa coda un quant-à-soi de bon aloi, une retenue très britannique.
On pleure souvent, beaucoup, chez Lynch, pourtant, ici, le spectateur observe
un apaisement, heureusement délesté d’apitoiement, de larmoiement. Comparé à la
conclusion-torrent de Twin Peaks: Fire Walk with Me
(1992), celle de Elephant Man surprend par sa discrétion bressonienne, sa
précision sereine, et nous bouleverse d’une façon différente, ouverte sur
l’intériorité, d’un jouet, d’une chambre, d’une conscience, d’un utérus
cosmique, cosmogonique.
Le visage de la mère stellaire
reviendra dans Dune (1984), Virginia Madsen substituée à Lydia Lisle, le
couple inversé fera retour au cours de l’opus
précité, Laura Palmer, femme multiple, femme unique, décédée, consolée, à
côté de Dale Cooper, presque fille pour presque père, ange gardien dédoublé,
puisque ange peint de chambre à coucher réapparu (mentionnons en sus la
toile/portail des Chaffont). Une fois l’œuvre signée, une fois le lit défait,
une fois les deux femmes de sa vie – l’actrice et la génitrice – regardées une
dernière fois, John s’allonge pour ne plus jamais se relever, accessoirement ne plus se coucher devant la monstruosité du
monde « normal ». Lynch filme son cérémonial soigneux, courageux, à
tendre distance, rapprochement de lent zoom
avant, depuis une légère plongée angulaire. Sublimé par le noir et blanc du
grand Freddie Francis, par le talent évident de John Hurt, le moment magique, tragique,
pudique, se déploie, par conséquent, en plan-séquence, à peine parasité par un
insert de l’obsession ensommeillée. Puis
une coupe de gros plan du gisant immortalise son masque mortuaire, yeux fermés,
qu’il repose en paix. Le cinéaste ne s’arrête pas là, alors qu’il pourrait, il
panoramique de droite à gauche, dépasse les petits cadres précieux, la bible de
poche, le napperon de riche, immaculé, retourne au rideau doucement agité, de
la fenêtre dissoute en bref fondu. Outre boucler la boucle avec le prologue, « roman
familial » de naissance fantasmée, plus tard réactivé par le sinistre showman, la fin de The Elephant Man affiche
une éternité retrouvée à la Rimbaud, pardon, une immortalité climatique,
poétique, prosaïque, portée par des vers économes de Tennyson, comme une
éclipse régressive, revenons aux origines, avant un définitif (et lacté) fondu
au blanc. Ainsi le cercle de l’œil psychique, du soleil noir mélancolique,
remplace les verticales et les horizontales épousées en travellings millimétrés de la cathédrale reconstituée, géométrie ante/post-mortem d’une âme modeste, maltraitée, in fine, souhaitons-le, avec elle-même,
sa difformité, sa société, son impardonnable brutalité, sa discutable charité,
et l’univers réconciliée.
Du syndrome de Protée : https://www.vanityfair.fr/culture/ecrans/story/elephant-man-de-david-lynch-l-histoire-tragique-de-joseph-merrick/11974
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