Clash : La Sortie de l’usine Lumière à Lyon
Zéro à Zagreb ? Bidons pas bidons…
À JW, éprise de PC
L’impeccable plastique puis la
présence physique de la sympathique, éclectique Catherine Alric néanmoins n’arrivent à
rendre dynamique l’opus
psychanalytique ? Pas grave, pardonnable, puisque ce métrage d’un autre
âge, daté du siècle dernier, obscur, oublié, possède quelques qualités, mérite
mon billet. Dédié à la mémoire émue de Betty Beckers, déjà au générique de
l’estimable, voire marxiste, La Nuit de la mort (Raphaël Delpard,
1980), Clash (Delpard, 1984) en sus se souvient, bien sûr à sa
mesurée mesure, de Carnival of Souls (Herk
Harvey, 1962), redéploie Répulsion (Roman Polanski, 1965),
revisite La Voix humaine, c’est-à-dire la première partie de L’amore
(Roberto Rossellini, 1948). Ainsi en excellente compagnie, celle d’Anna
Magnani, Candace Hilligoss, Catherine Deneuve, à laquelle le cinéaste ne
pouvait pas ne pas penser, faux air affiché d’une actrice à la suivante,
certes, Catherine Alric incarne une femme fréquentable aux confins de la folie.
Film de frontière(s), film d’atmosphère, film mortifère, Clash portraiture une
prisonnière volontaire, dont la réclusion de saison rappelle un brin le huis
clos sado-maso, pareillement climatique, du valeureux Vent (Victor Sjöström,
1928), modèle muet de la sous-imagerie si US du hom(m)e invasion, où la chère Lillian Gish, vierge de Virginie,
devenait presque cinglée, se faisait discrètement violer, se débarrassait de
son assaillant, l’intrusion au sein de la malsaine maison en métaphore de la
violation de son domicile intime, amen.
Prénommée à l’instar d’une célèbre héroïne d’albums jeunesse, notre Martine à
nous, jadis l’intitulé d’Isabelle Goguey dans La Nuit de la mort
précité, se retrouve vite à croupir à proximité du pire, recluse tourmentée
d’usine désaffectée. Détenue détentrice du fric de Fresson, papounet par
procuration, (faux) « frère » flingueur, « ami » et in extremis meilleur ennemi, ah, la
traîtrise entre truands, vous m’en direz tant, elle doit rester là trois jours,
à attendre, très tendre, du braqueur le retour, survivre à l’isolement, à
l’envahissement du présent par le temps passé, enterré, déterré.
L’adulte se douche, cauchemarde, se
mutile, se momifie, cf. le coincé sarcophage du sac de couchage, instant
risible, sublime ; l’enfant ressuscite, s’agite, lève les mains, rédige le double destin.
Ouvrage de division, de réconciliation, de guérison, Clash ressemble à un
mauvais rêve, à une traversée du tunnel, à un voyage au bout de la nuit, de la
vie. On y croise un clébard furibard, un minet terrassé, des voisins bizarres,
hilares, des mannequins nus à la Stanley Kubrick (Le Baiser du tueur, 1955). Pierre Clémenti, mutique, énigmatique, porte des gants, poltergeiste son chant, verse
des larmes de sang, se bastonne avec Bernard. Adoubez/avisez un baiser/travelling à 360 degrés, en écho à Vertigo
(Alfred Hitchcock, 1958), encore un conte de morte-vivante émouvante. Fondez
devant deux fondus au blanc irradiants. Ouvrez la porte de l’inconscient, sur
une scène supposée primitive, en vérité violente, à main masculine, paternelle, tachée, à
meurtre suggéré, par berger allemand interposé. Ne charriez pas (trop)
l’attaque d’un chariot élévateur écarlate. Appréciez plutôt l’incendie joli, le
spectre cramé, enfin vaincu en duo bienvenu, par le tandem des Martine dévêtues,
travelling again, bise donnée au rajeuni reflet, geste d’apaisement troublant,
en possible clin d’œil aux Innocents (Jack Clayton, 1961). Le trauma du papa dépassé, la culpabilité
évacuée, les terreurs classées nocturnes,
peut-être incestueuses, la peur consécutive du désir, remember le hammeresque et polanskien Plus grandir (Laurent
Boutonnat, 1985), par le jour radieux dissipées, Martine se réveille, sourit,
réentend la réplique cosmopolite, un peu cynique, des sbires, au soleil s’étire,
sortie de l’usine, de soi, de la salle infernale, spectatrice de sa propre vie,
voui, survivante solaire, solitaire, afin de mieux faillir, de défaillir, sous
les balles létales de l’impitoyable déloyal.
Cependant, en passant au noir et
blanc, en rime aux réminiscences en bichromie, le réalisateur la ranime au même
moment qu’il l’assassine, Eurydice délestée de malice, paupières baissées,
cadavre soulevé, sur les bras, en pietà, porté, par son ange mortel si personnel.
Chacun, on le sait, nous l’enseigne aussi le ciné, technique fantomatique, art
funéraire, ma sœur, mon frère, se rendra à Samarcande, comme le précise un fameux conte perse, ironique et
funeste. Inutile de fuir le programmé périr, Martine in fine le devine, du côté d’une Croatie bientôt décimée par une
guerre intestine, médiatisée, extension de la déraison, élargissement européen
des souffrances de son enfance, film horrifique arrivé pour de vrai, sous nos
yeux blessés. Ce romantisme sombre, espoir du désespoir, le précis et impliqué Delpard
le paraphe par une poignée de lignes signées, explicites, in extenso je les cite : « Monstres de nos nuits/Vêtus de
soufre et de ténèbres/Venez parfois nous visiter/Dans le plein soleil de
midi/Nous avons tant de choses à nous dire. » Et à nous écrire, ce qu’il
fera, réinventé en romancier, à nous filmer, il reviendra derrière une caméra,
à la TV, en mode documenté. Outre bénéficier d’une direction de la photographie
due à Sacha Vierny, collaborateur régulier d’Alain Resnais, Peter Greenaway, au
service itou de Belle de jour (Luis Buñuel, 1967) ou du
contemporain, électrique, La Femme publique (Andrzej Żuławski,
1984), des effets du regretté (et suicidé) Benoît Lestang, ah, la cinéphilie adolescente, façon Starfix, de l’intensité poétique de la petite Iva Potocnik, de
la beauté, du talent, de Catherine Alric, par ailleurs interprète fluette d’une
chanson en forme de résumé, par le couple Angélique & Jean-Claude Nachon
composée, Clash séduit en raison de sa modestie, de sa mélancolie, de sa
sincérité, de son lyrisme.
Un film imparfait ? Personne ne le niera, pas moi, en tout cas, mais une odyssée de psyché assez pertinente et jamais frelatée, une touchante curiosité, surtout parmi le cinéma français, peu réputé, nul ne l’ignore, pour ce type d’exploration de l’âme, de l’esprit, du décor et du corps…
Le film est dédié à la mémoire de Betty Beckers, extraordinaire figure émouvante en particulier dans Maigret et Monsieur Charles de Jean-Paul Sassy : où elle incarne Nathalie Sabin-Levesque, une ancienne entraîneuse devenue solitaire qui verse dans l'alcool, Simenon et sa femme Denyse en vapeurs délétères d'ombres derrière lesquels il ne fait pas bon vivre. Pierre Clémenti vraiment fantastique...
RépondreSupprimerMerci pour ces évocateurs souvenirs de TV...
SupprimerOn la vit aussi chez Duvivier, vous (le) sav(i)ez ?
Comme le couple du Chat, oui-da !
Fantastique, yes indeed ; j'espère que le lien vers votre portait en musique vous permettra de correspondre avec d'autres admirateurs fanatiques...
"On la vit aussi chez Duvivier, vous (le) sav(i)ez ?" ....eh non !
Supprimerc'est également grâce à vous que j'ai visionné ce film mal ficelé qu'est Clash, le beau ténébreux Pierre Clémenti
semble effectuer un pas de deux
avec la camarde en embuscade fantomatique, il n' y a pas
vraiment de mots efficients pour décrire l'effet...incarner la figure de la mort sans être ridicule mais poignant, faut le faire !
"On connait ce dicton chinois selon lequel chacun possède deux lieux de naissance, l'un matériel, réel, l'autre un lieu de prédilection, celui où l'on est psychiquement venu au monde."
Monsieur, le Prince des Ténèbres, Lawrence Durrell
Trad. de l'anglais par Henri Robillot
Brigitte (Lahaie, pas Macron, merci mais non) rendit chez Rollin la mort érotique :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/01/brigitte-lahaie-les-films-de-culte.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2014/07/derriere-la-porte-rouge-defense-et.html
Et Bergman l'adouba médiévale, ludique :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/09/le-septieme-sceau-la-diagonale-du-fou.html
Belle(s) lecture(s), belle soirée !
« Un cinéaste, ça se demande comment va le monde. S'il ne pose pas cette question, il fait du cinéma qui se prend le pouls. » André Téchiné
Supprimerhttp://jacquelinewaechter.blogspot.com/2014/05/hotel-des-ameriques-pour-un-voyage.html
Un évidence, mais ce cinéaste-ci pas le mieux placé pour l'énoncer...
SupprimerTarantino (ex-gérant de club-vidéo) and Co., ciné au carré, recyclé, à concasser...
Un article qui témoigne de vos dons de monteuse et de votre sensibilité assumée...
D'un Biarritz à l'autre, encore une histoire de couple tourmenté, en autarcie, cette fois-ci selon Żuławski :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/01/femmes-au-bord-de-la-crise-de-nerfs_60.html
Supprimer"Plus rien ne va
Sommeillant, je vois, la nuit, des crimes lourds où l'on saigne
Pauvre moi, pauvre de moi ! L'outre est pleine à craquer
Au matin, comme il est âcre, le goût du vin maudit !
Va, dépense tout mon crédit, car j'aurai soif aujourd'hui
Rien ne va, plus rien ne va
pour vivre comme un homme, comme un homme,
comme un homme droit.
Plus rien ne va pour vivre comme un homme doit
Dans tous les cabarets sans fond où je m'enterre chaque nuit,
je suis l'empereur des bouffons, le frère de n'importe qui.
Je vais vomir mon repentir au pied des tabernacles,
mais comment prier dans la fumée de l'encens des diacres ?
Rien ne va, plus rien ne va
pour vivre comme un homme, comme un homme,
comme un homme droit.
Plus rien ne va pour vivre comme un homme doit
Et comme un vieux loup dans les bois, en fuyant le pire,
je suis resté tout seul avec moi, près des montagnes où l'on respire.
C'est là que je voulais trouver un air nouveau sur un sommet plus haut,
mais qui reconnaît de loin un vrai sapin d'un faux sapin ?
Rien ne va, plus rien ne va
pour vivre comme un homme, comme un homme,
comme un homme droit.
Plus rien ne va pour vivre comme un homme doit
Loin de tout manège, je suis ma vie en laissant ma trace dans la neige
Pour qu'il me trouve, l'ami qui me suit loin de tout cortège
Ah venez, levez-vous, venez par ici, devant et derrière !
Nous n'avons que faux amis, faux amours, faux frères
Rien ne va, plus rien ne va
pour vivre comme un homme, comme un homme,
comme un homme droit.
Plus rien ne va pour vivre comme un homme doit
Vois-tu les sorcières ici ou là, dans la forêt qui bouge ?
Vois-tu le bourreau tout là-bas avec son habit rouge ?
Plus rien ne va ici, déjà sur nos chemins de terre,
mais j'ai bien peur que l'au-delà ressemble à un enfer
Vladimir Vysotsky https://www.youtube.com/watch?v=qz2u4HvVkEM
Rien ne va, plus rien ne va
pour vivre comme un homme, comme un homme,
comme un homme droit.
Plus rien ne va pour vivre comme un homme doit."
https://www.youtube.com/watch?v=qGwoUu-acbo
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/07/laisse-aller-cest-une-valse-notes-surde.html