Vers la lumière : Les Instants clairs de Jacqueline Waechter

 

Surprise du samedi, relais urbi et orbi

En os et en chair je ne connais Jacqueline Waechter, cependant ceci m’indiffère, sus aux séductions éphémères, priorité à la proximité épistolaire. Des « moments éclairants », « intelligents », l’internaute point sot ni sotte en passera, en trouvera autant qu’il conviendra, via son site intitulé joliment Bright Moments. De la lumière, de la lucidité, du désir, de la légèreté, il (nous) en faut à satiété, surtout à l’heure de stupeur du ciné masqué, du monde démoralisé, soumis à sa symbolique morbidité. Impressionnant, impressionniste, poétique, politique, le miroir tout sauf fantomatique de Jacqueline – à la Pascal parions qu’elle m’autorisera de son prénom le respectueux emploi, partagé par exemple par les dear Mesdames Audry, Bisset, Pagnol – reflète en effet, fi d’effets, une femme fréquentable. Certains (hommes, oui ou non aimables) offrent ou (s’)envoient des fleurs, j’écris, de manière majoritaire, afin de mettre en valeur, de donner à (ré)écouter, (re)lire, (re)voir des œuvres selon mon cœur. Depuis à présent plus d’une dizaine d’années, ma prose inversée la suit par conséquent de cinq-six ans, l’auteur sans peur (de s’exprimer, de célébrer, de satiriser) exerce sa sensibilité esthétique, jamais prise en faute (de goût, plutôt de dégoût), toujours audacieuse, généreuse. Gamine de Belleville au temps des algériens « événements », la gosse photographiée (par son papounet) put donc se régaler « de chocolats glacés dans les cinémas du quartier, implantés en d’anciens théâtres de stucs », je cite ici son attachant texte autobiographique. Même si nous sépare plus d’une décennie, même si moins qu’elle le récompensé, gentillet, Ballon rouge (Albert Lamorisse, 1956) j’apprécie, je sais saisir la qualité de son style, de ses images, graphiques, de lexique, à leur juste mesure, plaisante production dépourvue d’imposture.  

En dépit de ce seuil (journal) intime précité, transposé, Jacqueline ne cède à la nostalgie, à la déprime, au solipsisme, aux plaisirs rassis d’antan, elle rédige (elle vit ?) en allant de l’avant. Jadis je lui dédiais, en cinéphile amitié, un petit portrait de son cher Maurice Ronet ; aujourd’hui j’esquisse (à peine, avec délice) le sien, je renvoie le lecteur, la lectrice, anonymes complices, vers la variété de ses biens (bienfaits), attestée par l’éclectisme de ses « libellés », où croiser, en matière de cinéma, oui-da, Audiard, Boorman, Cardinale, Clouzot, Cocteau, Dewaere, Duras, Garbo, Girardot, Herzog, Hitchcock, Jessua, Losey, Magnani, Renoir, Scola, Simon (Michel, pas Simone), Tarkovski, Taylor (Liz, pas Robert), Visconti ou Welles, liste subjective, pas exhaustive. « À la maison, on vivait en plein néoréalisme » confie encore JW – lut-elle l’éprouvant et suprême W ou le Souvenir d’enfance de Perec, au creux duquel, en parallèle, l’olympisme répond au nazisme ? – toutefois l’existence s’apparente à un « film d’horreur », tu peux l’ignorer, tu ne peux le nier : raison supplémentaire pour changer d’air, respirer celui, solaire, « insulaire », de la chère Jacqueline Waechter. L’art intéresse cette artiste jusqu’à l’ivresse, capable d’explorer la littérature, la peinture, la musique, le géographique délestée de tactique (de tics), de cynisme, de moralisme, de narcissisme. Parcourir, presque quotidiennement, puisque rythme soutenu, créativité maintenue, l’incandescent, immanent (et amusant) Bright Moments revient à faire un rêve les deux yeux ouverts, à caresser un songe, à refuser de jeter l’éponge. Eurydice, Béatrice, Madeleine/Judy guidèrent Orphée, Dante, Scottie aux Enfers, en Enfer, au fiasco d’un San Francisco funéraire, muses mortifères, à fissa vous (re)filer des Sueurs froides (Sir Hitch, 1958) de pur despair.

Les mortes-vivantes, on va finir par le savoir, fascinent quelques mecs, ensorcellement de grand écran, de grands enfants, de romantiques rétifs à la ruine organique, car viscères + poussière, ma pauvre sœur en sueur. Pour une fois (de plus), dans le sillage de mes rendus hommages à Francesca Archibugi, Ariane, Jacqueline Bisset, Sandrine Bonnaire, Valeria Cavalli, Rebecca De Mornay, Mimsy Farmer, Jodie Foster, Agnès Godey, Anouk Grinberg, Audrey Jeamart, Marlène Jobert, Laure Marsac, Elexis Monroe, Anne Murat, Charlotte Rampling, Céline Tran, Aurélie Verlhac ou Raquel Welch, je voulais vous présenter une femme-flamme vraiment vive, dotée d’une personnalité salutaire, de la myopie misogyne et misandre à des années-lumière. Blake (William, pas Perry, tant mieux, tant pis), bien avant le cultivé Jim Morrison, parlait de sweet delight, d’endless night (Auguries of Innocence), le leadeur des Doors de realms of bliss, realms of light (End of the Night). Parmi notre nuit infinie, démunie de sens, de merci, brillent les belles bougies de la vibrante vigie, fine Jacqueline, juchée sur son phare (les psys s’excitent de pareille verticalité priapique) dressé contre le désespoir, les retards, les trop tard. Si le silence in extenso, radio, à la Rimbaud, me séduit aussi, me rattrapera, je l’assure, je ne m’en soucie, que ces lignes allègres, incitatives, vite vous invitent à croiser sa route à l’écart de toutes les déroutes. Certes les ténèbres recèlent de l’or, un obscur trésor, ma mélancolie n’oppose aucun démenti, mais tandis que reviennent la pluie, l’automne monotone, saluons le soleil virtuel, les impressions sensorielles, « l’éternel été » coloré, en mode Camus, allez, du lumineux mystère de la stimulante Jacqueline Waechter.

Commentaires

  1. Beau à pleurer, texte magistral, criant de vérité, parole de morte-vivante, oh mon frère d'écran ...

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    1. Ravi de vous (s)avoir à nouveau ravie, disons différemment, fraternité pas trafiquée en reflet, en effet...

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    2. Pour compléter le beau tableau, partie de campagne, Le film de la vie,
      ce souvenir d'une histoire qui perdure en se réinventant... http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2018/09/le-pot-beurrejournees-du-patrimoine.html

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    3. Vivante évocation d'une France d'enfance, disparue, maintenue, mise à nu par vos mots tout sauf généraux.
      Laurel & Hardy ? Bien sûr que oui !
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/01/les-compagnons-de-la-nouba-ma-femme.html

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    4. «Si jamais quelqu'un vient à mon enterrement avec une figure triste, je ne lui adresse plus la parole. » Stan Laurel
      , Oliver Norvell Hardy, contrairement à Stan Laurel , n'était pas un enfant de la balle.
      « Mon père, Oliver Hardy, était un homme de loi… Il était d'origine anglaise, et l'un de ses ancêtres fut le compagnon et l'ami de Nelson. Vous savez peut-être que l'un des derniers mots de l'Amiral, frappé à mort sur le pont de son navire, fut : ‘‘ Embrasse-moi, Hardy ! '' Hardy était son aide de camp. Mon arbre généalogique remonte jusqu'à lui… » ( Laurel et Hardy de Jacques Lorcey , Editions PAC, Paris 1984).

      "Nous avions l'habitude d'aller chez un coiffeur italien, dont la boutique était à côté du studio. Il avait un énorme accent étranger – et il aimait les garçons. Il s'était pris de passion pour moi !… après chaque séance de rasage, il me passait de la poudre sur la figure et me tapotait les joues en disant ‘' Le joli bé-bé, le joli bé-bé'' !…
      Toute l'équipe se mit à me plaisanter à ce sujet et, au bout de quelques temps, chacun m'appelait ‘'Baby'' – bientôt abrégé en ‘'Babe''. Et voilà comment je suis devenu ‘'Babe Hardy'' pour toute ma vie !.. " ( Laurel et Hardy de Jacques Lorcey , Editons PAC , Paris 1984).

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    5. Merci à vous, à lui, pour ces savoureux souvenirs, et longue vies aux admirateurs de Laurel & Hardy, hétéros, homos ou bi...

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    6. Bonus...https://jacquelinewaechter.blogspot.com/2011/02/enfances-parisiennes-la-croisee-des.html

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    7. Bassin serein, minutes ultimes...
      Parisienne, JW ? Aussi universelle, allez !

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    8. Lucio Dalla - La sera dei miracoli (Video Live)
      https://www.youtube.com/watch?v=CJEk72PJ5fo

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    9. Aucun artiste n'est plus universel que lui.Victor Hugo

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    10. https://www.youtube.com/watch?v=CLLrhbxv80U
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/02/sacro-gra-de-lautre-cote-du-periph.html
      Fameuse formule déçue-admirative de Gide...

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    11. Merci beaucoup pour les liens, fort attachants, cher ami virtuel...
      http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2018/11/apollinaire-source-de-la-poesie.html

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    12. Les liens (nous) relient, attachent pour mieux libérer, pas vrai ?
      Pas de virtualité en amitié, sentiment qui se donne, rarement, qui, parfois, se reprend, tel l'amour entre amants...
      Vous appréciez ce poète davantage que moi, je ne vous en veux pas, loin de là :
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/11/eyes-wide-shut-filmer-linvisible.html?view=magazine

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    13. "Ti supplico, ah, ti supplico: non voler morire.
      Sono qui, solo, con te, in un futuro aprile…"
      poesie di P.P.Pasolini
      http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2015/11/pier-paolo-pasolini-dans-la-clarte.html

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    14. L'avril de Moretti, va savoir, voui...
      https://www.youtube.com/watch?v=MB58PuNYO8o

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    15. Jacques Brel "La Chanson de Jacky" : étant petite, cette chanson passait souvent à la radio, on habitait alors rue Saint- Maur, enfant précoce je voulais tout savoir du poids de chaque mot, et quand on ne m'expliquait pas de quoi il retournait, mon père le faisait parfois, je comprenais beaucoup de chose au travers de l'incandescence du grand Jacques...
      https://www.youtube.com/watch?v=EFG1QLCzICc
      Piaf passait aussi souvent en chantant sur les ondes et ça m'apportait un éclairage sur les relations hommes femmes, la vie...

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    16. Merci pour ces souvenirs en musique.
      Brel & Piaf aussi visités par votre serviteur auditeur, surtout à l'adolescence...
      Il faudra bien un jour reconnaître la valeur, pas seulement littéraire, de la chanson dite populaire, ce que faisait Fanny chez Truffaut.
      La voici d'ailleurs, en mère pas si admirable, pour un tour de force miroité, CQFD :
      https://www.youtube.com/watch?v=fEMvL9sbOzE&list=OLAK5uy_l3txT7ALlJA58c23FNdrJdH3wTDs318P0&index=1

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    17. Le parcours de Corinne Masiero, la danse classique, les films de Cassavetes,
      en autres galères et joies éphémère du parcours du combattant artiste,
      pour ajouter une touche contemporaine au tableau bio :
      Corinne Masiero : une heure en tête-à-tête,
      https://www.youtube.com/watch?v=RpkgSP8H00A

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    18. La révélation valeureuse de l'assez surfait Louise Wimmer, sorti voici une décennie.
      La suite de son CV, entre militantisme et TV, peine à me passionner, je l'avoue volontiers.
      Et le "naturel" peut fissa se confondre avec une forme d'artificiel...
      https://www.youtube.com/watch?v=hapid29Rvww

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    19. Perso, le fait d'avoir tâté de la mouïse en tant que femme, désespérante à force de s'esquinter pour tenter d'exister en criant à la fois de rage et lançant comme un appel au secours confondu à la face humaine, le côté brut de décoffrage, tout ça c'est du réel, ça sent la vécu, pour le reste, comme elle le dit si bien en toute franchise elle est une actrice avec la dimension d'égo qui va avec, et elle travaille en fonction de la demande des réalisateurs, les conditions historiques du moment font le reste, et elle est en plein dedans,
      on échappe pas à son temps, son milieu, ou si peu...
      reste à lui trouver un rôle taillée à sa mesure soit sa dimension tragique non encore révélée...des femmes de cette trempe ça me donnerait envie de passer derrière la camera avec un bon scénar ...
      Pareil pour Lola Dewaere...

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    20. Luxe de l'actrice, récemment réaffirmé par Isabelle Huppert, en presque auto-portrait pour ARTE, que de pouvoir de sa propre vie s'évader, d'en vivre des milliers, au risque de perdre ou de passer à côté de la sienne, certes...
      Ce qu'elle ne trouve guère dans l'assez sinistre et insipide Effacer l'historique, hélas...
      Des progrès à faire, en matière de condition féminine ? Nul ne le niera, pas moi, en tout cas, mais le problème relève de la condition humaine, et le capitalisme sait parfaitement instrumentaliser les sexes, afin de s'en sortir à l'aise ; ne jamais se tromper d'ennemi, mon amie...

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