Robe noire : L’habit ne fait pas le moine

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Bruce Beresford.

Moins renommé que l’interminable mélodrame Mission (Roland Joffé, 1986), dommage pour l’admirable Morricone, voici donc Robe noire (Bruce Beresford, 1991), disponible en ligne dès aujourd’hui, en direct demain soir, à vous de voir. Produit par Robert Lantos, créancier de David Cronenberg sur Crash (1996), eXistenZ (1999), Les Promesses de l’ombre (2007), ce téléfilm de luxe, tourné surtout in situ, un moment à Rouen, finalisé en Australie, possède pourtant plusieurs qualités, en dépit de ses multiples plans, plutôt répétitifs, de traversées en canoë. Doté d’une drolatique trivialité, d’une violence avérée, le survival évite les écueils du manichéisme, du rousseauisme, du dolorisme, s’oppose aux pièges du pathos, résume in extremis, ironique, laconique carton point abscons, le destin-déclin des amers Amérindiens, enfin chrétiens, des Hurons convertis, disons radoucis, désormais massacrés, au terme d’une quinzaine d’années, par de narquois Iroquois, voilà, voilà. Puisque l’enfer s’avère pavé de bonnes intentions, dit-on, notre évangéliste fragile va souffrir le martyre, perdre un doigt, perdre presque la foi. Flanqué du romancier/scénariste irlandais Brian Moore (Le Rideau déchiré, Alfred Hitchcock, 1966), catho ma non troppo, Beresford filme le froid, l’effroi, la « fornication », un infanticide, fichtre. À deux reprises, pendant la scène de sexe boisée d’Annuka & Daniel, pendant la coda œcuménique, épilogue pragmatique, vade retro, variole, Georges Delerue, exilé volontaire, magnifie le métrage d’un autre âge, ante-numérique, encore organique, lui confère un musical sens du tragique, très idiosyncrasique, comme si La Femme d’à côté (François Truffaut, 1981) soudain surgissait au Canada, comme si la délivrance de son Libera Me sonnait vraie.

Voyeur, acteur, au cours de ces deux instants déterminants, Lothaire Bluteau se montre émouvant, pleure, se punit un peu, s’en remet à Dieu. S’il ausculte la contamination de la colonisation, s’il décrit la tumeur du colonialisme, de surcroît religieux, au creux du corps originel, pluriel, troublé, acculturé, sauvagerie soft, bien-pensante, bien-priante, à défaut d’être bien-baisante, bien-tolérante, tressée à celle de la fierté, de la férocité, de la rivalité, de la survie, tribale, hivernale, Robe noire ne cède au désespoir, démontre, au-delà du choc ad hoc des rencontres, des cultures, des impostures, une possible estime, une sincère solidarité, une reconnaissance assortie d’enfance, de confiance. Documentée, récompensée, à succès, sommet du box-office local occupé avec Faux-semblants (1988), Cronenberg again + Jésus de Montréal (Denys Arcand, 1989), revoilà Lothaire, l’odyssée dérisoire, dépressive, lucide, mérite le détour, pas le désamour. De manière guère surprenante, cruauté collective cosmopolite, christique, on y retrouve le fameux, obsolète, quoique, « châtiment des baguettes », c’est-à-dire, en VO, du gauntlet, déjà évoqué par le calvaire comique du Candide de Voltaire, ensuite illustré par le littéral Stanley Kubrick (Barry Lyndon, 1975), par le métaphorique Clint Eastwood (L’Épreuve de force, aka The Gauntlet, 1977). Chomina, leader indeed « charismatique », contesté, fidèle, endeuillé, des Algonquins, au sein de la neige, solitaire, s’éteint, visité itou par un féminin manitou. Unisson de natives, au-dessus des océans, car règne le rêve, le leur, celui des Aborigènes, philosophie de prophétie, du monde, souvent immonde, en douloureuse illusion, dirigée par un démon, peut-être en robe noire, rajoutent, dare-dare, les occidentaux, d’Occitanie, cathares.

Un brin de montage alterné, panoplies portées en parallèle, en tandem, de ponctuels retours en arrière, placés sous le signe d’une mère austère, funéraire, des arbres cathédrale, nef en forêt, un nain chafouin, pardon, politiquement correct écrivons, une personne de petite taille spoliée par l’Europe interlope, par l’étrange étranger de son autorité, bientôt de son identité, un minot mort-né, des seins beaux et chauds, faussement offerts, levrette suspecte, un Paradis dépourvu de femmes, vaste, vain Enfer, un survivant désarmant, à fissa confesser, auquel se confesser idem, une aurore crépusculaire, ma sœur, mon frère : autant de visions, voire de stations, d’un chemin de croix de cinéma, où apprivoiser l’altérité, où prodiguer de la tendresse express, où accomplir un périple, à la fois audacieux, courageux, discutable, indéfendable. La robe noire du titre, du jésuite, revenait, auparavant, dans le pareillement sociologique, critique, La messe est finie (1985), de Nanni Moretti, anti-héros d’Italie désunie. Solution ou obsession, intuition ou déraison, la croyance, à l’instar de la mort, demeure un mystère, une chimère, un savoir, un pouvoir, une façon de voir, de pré-voir. Tout cela, Robe noire le donne à (re)voir ; visionnez-le, puis reparlons-en un peu, « si Dieu le veut »… 

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