Fantômas : Un pays qui se tient sage
Adieu au sérieux, bienvenu au malvenu…
…la Déesse est d’abord un nouveau Nautilus.
Roland Barthes, La
nouvelle Citroën, Mythologies, 1957
De plus, il n’y a pas d’histoire apolitique. La politique se
glisse toujours dans les histoires.
Christian Petzold, entretien du dossier de presse de
son Ondine
(2020)
Un demi-siècle divise Fantômas
(1913) et Fantômas (1964), cependant deux productions Gaumont ; une
guerre, en partie française, les agrège, « Grande » ou « sans
nom ». (Louis) Feuillade affichait sa frontalité (de proscenium), sa profondeur (de champ), sa fatalité (de fuite), pour
un polar de (peine) capitale, de couperet pirandellien, premier opus d’un serial plébiscité, surtout par les surréalistes. André Hunebelle,
« un vieux monsieur délicieusement courtois et bien élevé », dixit, sur son site, la mimi Mylène
(Demongeot), armé de son fidèle tandem
de scénaristes, dont son propre fils, le dialoguiste Jean Halain, à ne pas
confondre avec le romancier Marcel Allain, lui-même bien sûr associé à Pierre
Souvestre, pères littéraires de l’as des (faux) fantômes, opte pour la
« comédie d’action », l’application, les transparences made in France, la (course-)poursuite
d’épilogue, vingt minutes au compteur, mon cœur, en voiture, à moto, en train, en
hélico, en bateau. Fantômas, un nouveau Doctor No ? Plutôt un émule du
capitaine Nemo, idem en sous-marin,
mais en moins assassin, désormais muni de l’orgue de Michel Magne, toujours au
côté de la mutique Lady Beltham. Un ascenseur similaire, différencié, relie en
sus Feuillade & Hunebelle, appareil d’hôtel, accessoire de caverne.
Co-production franco-transalpine, Fantômas, rebaptisé en Italie d’un
explicite, prophétique, Fantomas 70, ne documente plus le
banditisme, sinon l’anarchisme, du début du (vingtième) siècle, il matérialise,
pour rire, le terrorisme de la décennie à venir. On se souvient qu’un troisième
« vilain », docteur de malheur, se camait aux écrans :
contrairement au Mabuse de Lang, cet ennemi indeed
« public », médiatique, détruit des téléviseurs, massacre la marquise
d’une salle osant diffuser un « film-reportage » à son affreuse effigie,
quel outrage.
Ce divertissement à succès, jamais
abstrait, fi du Feuillade, un brin baroque, tendance bientôt accentuée par le
bal masqué de Fantômas se déchaîne (Hunebelle, 1965), ah, le
romantisme musical dédié à la belle Hélène, débute d’ailleurs par le kidnapping à domicile d’un journaliste
anonyme, manquant d’imagination, adepte du scoop,
voire du scandale, auteur d’un « canular », Robert Dalban se marre,
de cimetière et d’interview, déguisé
en drolatique doublure de Musidora, la fameuse Irma Vep de Feuillade,
fichtre ! Plus magnanime que Mesrine, le dérobeur de diamants de défilé trafiqué ne lui coupe
pas la langue, il se contente de lui infliger au fer un F de propriétaire,
avant de se réinventer en Arsène Lupin écossais, selon le presque hammeresque,
marxiste, Fantômas contre Scotland Yard (Hunebelle, 1967). À l’image du
métrage d’un autre âge, au tourisme sudiste, ensoleillé, sur une (dé)route en
lacets, sillage de La Main au collet (Alfred Hitchcock, 1955), à l’écart du
cauchemar récent des « algériens événements », à proximité d’altérité des « nouvelles
vagues » européennes (et sud-américaines) vite avortées, l’homme masqué, pas
muselé, ridiculisé, pas risible, lui-même à l’abri du monde (immonde), au creux
de sa cave molto gothique, technologique, beau boulot de déco dû à Paul-Louis
Boutié (Le Grand Restaurant, Jacques Besnard, 1966), prend
acte de la puissance insolente (amusante) du
« quatrième pouvoir », donne au survolté Juve une leçon
d’identification, au sens criminel, existentiel, du terme, de désinformation
duelle, conflictuelle. Fregoli ne frisant la folie, le maître des face(tte)s,
le désabusé spectateur des humaines « marionnettes », affirme la
fraîcheur d’une fleur (« bleue ») face aux fatales (fanées) du mal
(du mâle), en frère de Baudelaire.
Film de mecs, aimables et estimables
Louis de Funès, Jacques Dynam, Jean Marais, Raymond Pellegrin, Fantômas
affiche toutefois deux femmes fréquentables, actives, réactives, tout sauf passives,
stupides. Sur un carton point con, Marie-Hélène Arnaud, notamment modèle pour
Chanel, demande à un Marais ensommeillé, émancipé, piégé, de renoncer à
comprendre son (« deuxième ») sexe, amen. En professionnel (« de la profession ») pas
méprisant, pas méprisable, cf. itou son sympathique (et anecdotique, d’accord) Le
Capitan (1960), Hunebelle, guère rebelle, ainsi se moque, pourtant,
esprit « bon enfant », des « forces de l’ordre » (ou du
désordre), de leurs méthodes « musclées », Juve en clochard grimé en
fait les frais, ou pseudo-scientifiques, la scène du portrait-robot rappelle
les discutables (redoutables) théories d’un Cesare Lombroso, ou gastronomiques,
Marais, aristocratique, athlétique et usual
suspect, ne se plaint d’être mis à la
diète. S’agit-il, par conséquent, dissimulé sous la panoplie « tout
public », d’un item
insurrectionnel ? Pas une seconde, certes, davantage d’une satire réussie,
un peu alanguie, festive, inoffensive, des puissances de la presse, de la
police, de l’argent, les (grands) enfants. Ceci explique en partie sa
pérennité, sa postérité, n’en déplaise aux fanatiques de Feuillade, encore
courroucés par pareille transposition. Figure de la fronde franco-française,
mannequin (de cire, ersatz coloré de Yul Brynner) de mobile immobilité,
reformulation du mobilis in mobile du
vadrouilleur de Verne, amoureux d’une sage (et sexy) image, en cela cinéphile, du moins masculin, hétéro, il en
faut, Fantômas cristallise, à sa modeste mesure, suivant ses distrayantes
aventures, quelque chose de la psyché hexagonale, à la fois cynique et
sentimentale, arrogante et vaillante.
Dans Sueurs froides (Hitchcock, 1958), on ne saurait voir (vivante), apercevoir, la véritable épouse du fourbe Gavin Elster, et pour cause, on n’avise que la divisée Judy, eh oui. Dans Fantômas (1964), le nom du personnage s’efface, chèque gadget, rime inversée aux cartes nominatives à première vue « vierges » de Fantômas (1913), son vrai visage s’évacue vers l’invisible : au miroir pop, interlope, désinvolte, consumériste de nos inhumées sixties, il porte en réalité nos traits déformés, malfaisants et charmants, son rire résonne en réponse au pire (écoutez sa réplique au sujet des « crimes contre l’humanité », allez), en souvenir d’enfance, de France, de son énergie, de son imagerie, de son cinéma d’autrefois et d’aujourd’hui. .
Merci pour ce billet parfumé aux souvenirs "d'enfance, de France",
RépondreSupprimertroublante voix et présence de Lady Mac Rashley Françoise Christophe,
Jean-Roger Caussimon fantastique Lord Edward Mac Rashley, Raymond Pellegrin : « La voix de Fantômas », Robert Dalban et Dominique Zardi géants en seconds rôles
Quand Fantômas passe, quelqu'un trépasse... de plaisir , rires enfantins en fusées !
https://www.dailymotion.com/video/x1k8eqe
Actrice en effet dotée d'une voix évocatrice, croisée chez Clouzot (La Prisonnière) & Deray (Borsalino)...
SupprimerActeur (et auteur, compositeur, chanteur) rencontré chez Autant-Lara (L'Auberge rouge), Renoir (French Cancan), Girault (Le Gendarme et les Extra-terrestres) ou Hossein (Les Misérables)...
Des sourires, sans une once de nostalgie...
Certes ce n'est pas renversant, Pascal réduit à son pari, sans la nuit de feu :
Supprimer"Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob,
non des philosophes et des savants.
Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix.
(...)
Joie, Joie, Joie, pleurs de joie.
Je m'en suis séparé.
le Mémorial Blaise Pascal
"Par la suite, il les transféra chaque fois qu'il changeait de vêtement. Un serviteur découvrit après sa mort, dans la doublure de son dernier habit, « un petit parchemin plié et écrit de la main de M. Pascal, et dans ce parchemin, un papier écrit de la même main : l'un était une copie fidèle de l'autre »4. Les proches de Pascal parlent alors d'un « mémorial » : un témoin rapporte qu'ils voient ce document comme « une espèce de mémorial qu'il gardait très soigneusement pour conserver le souvenir d'une chose qu'il voulait avoir toujours présente à ses yeux et à son esprit ». Si le parchemin a aujourd'hui disparu, le papier d'origine, qui se trouve à la Bibliothèque nationale de France, a été authentifié par l'abbé Périer, neveu de Pascal4."
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morial_(Blaise_Pascal)
Difficile de philosopher, en effet, surtout après Nietzsche et ses tables brisées...
SupprimerCe Mattéi-ci, notez l'accent français, me semble aussi se caractériser par une paresseuse démagogie, TV décérébrée, numérique googleisé, art marchandisé, CQFD.
Au lieu de formuler des truismes, essayons de faire preuve de (re)création, y compris au niveau de la réflexion en action, des concepts et des notions, non ?
superbe article, les FANTOMAS ont pour effet de crédibiliser JEAN MARAIS dans un rôle hétéro comme ROCK HUDSON dans ses films , DE FUNES qui ne devait être qu'un faire valoir vole la vedette a J.MARAIS .....un film d'hommes c'est absolument vrai !
RépondreSupprimerMerci du passage et du compliment
SupprimerSur Hudson lire aussi :
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/04/embryo-dobermann.html
https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2015/02/les-larmes-ameres-de-petra-von-kant-le.html