Meurtre en 45 tours : Week-end
Un aveugle à violon, une justice à l’unisson – DD sans Daredevil…
On croit reconnaître vite la chanson
des Diaboliques
(Henri-Georges Clouzot, 1955), mais cette nouvelle adaptation du tandem Boileau & Narcejac ne joue
jamais la même partition. En résumé, il s’agit d’un téléfilm inoffensif, commis
par le méconnu Étienne Périer, ensuite, logique, reconverti à la TV. Celle-ci,
qualifiée de « truc » par le musicien méprisant, peu soucieux de sa
domesticité, formate le métrage et son paysage, s’incruste en incrustations de
saison, en grosse caméra méta. Apparemment transparent, l’argument implique des
transparences assez rances et surtout un ménage à trois entre bourgeois. La
chanteuse amoureuse, l’amant désarmant, même armé, le compositeur à la froide
fureur, petit plaisantin d’outre-tombe : le vaudeville vire vers le suspense paupérisé, la voiture s’envole
vers un vrai suicide. Le spectateur patient apprend durant la dernière scène,
par la bouche du commissaire auteur de lettre anonyme, la fin, les moyens, vous
ne m’en voudrez point, hein, la double machination maritale et mécanique. Le
policier mélomane, amateur de chansonnettes sentimentales, illumine le mince
mystère d’un monologue en écho à celui du psy du contemporain Psychose
(Alfred Hitchcock, 1960), dont la pragmatique moralité divise l’humanité en
auteurs et en rêveurs, point commun du crime, of course. Ève rêve de l’accident, d’un collier l’étranglant ;
elle porte un prénom très connoté, de fautive originelle, elle s’en sort
cependant, cède le volant, repart sur un nouveau départ, à moins que la
malédiction du piéton pressé, à l’épouse hospitalisée, ne la rattrape
hors-champ, les enfants. Tant pis pour le plumage déplumé, puisque le ramage
séduit, avec modestie.
Bien entourée par Michel Auclair
& Jean Servais ; bien éclairée par Marcel Weiss, cadreur accolé à
Robert Bresson (Les Dames du bois de Boulogne, 1945) ou Claude Autant-Lara (Le Diable
au corps, 1947), puis collaborateur régulier, en tant que directeur de
la photographie, de Jean-Pierre Mocky, partenaire de Jacques Tati le temps de Trafic
(1971) ; bien concurrencée sur microsillon par Jacqueline Danno, l’année
suivante la voix invisible d’Anouk Aimée relookée en Lola (Jacques Demy,
1961), Danielle Darrieux mène le jeu, chante et enchante, évite que l’on
déchante. En 1968, face à Fernandel, l’actrice sur disque taillera itou la
route en Américaine, revoyez L’Homme à la Buick de Gilles
Grangier. Pour l’instant, modèle d’élégance et de présence, elle subit la
jalousie du Machiavel à la truelle, merci aux ponctuations colossales d’Yves
Claoué, elle partage une culpabilité par procuration, elle se démène dans la
capitale, à la campagne, dans la toile tendue par l’éditeur rempli de rancœur,
lui-même victime d’une audacieuse, d’une maître-chanteuse. Tout ceci sent le
studio, le quasi huis clos, le mégot,
le cabot, tandis que l’usine spécialisée, lieu d’une chute magnanime, ne
ressemble en rien à sa consœur de Phantom of the Paradise (Brian De
Palma, 1974), espace de pressage, en particulier du visage. Au crédit de l’opus oublié, une ironie jolie, spot godardien de prévention routière
compris, une obsédante enseigne d’hôtel, Vertigo (Hitchcock, 1958) délocalisé
à Bilbao. Dans Psycho, on s’en souvient, Janet Leigh, conductrice
différenciée, similaire, s’envoyait en l’air, succombait au sein d’un marais. Inquiète
et sereine, taiseuse et radieuse, infidèle fameuse, muse insincère, notre
Danielle traverse le triangle avec adresse, délicatesse, sorte d’aristocrate de
radio, de diva du vinyle, de pécheresse en pensée pardonnable et pardonnée.
La femme forte ne s’affole, s’écarte
du traquenard, dote le film anonyme de sa propre lumière singulière, à la
sensualité devinée. Divertissement dispensable, presque pendable, Meurtre en 45 tours lui sert d’écrin, de coffret, de sarcophage, méritait en
mineur le salut express, tout sauf
nécrophage, de votre acoustique serviteur.
Ah la sensualité glaciale de la belle DD dans ce film à suspens !
RépondreSupprimer'Eve se taisait et Leprat comprit qu’elle le laissait choisir, qu’elle acceptait l’épreuve, qu’elle l’accueillait même avec un plaisir secret. Elle aimait ces minutes de vérité ; elle raffolait de ces coups de dés… l’amour, la séparation, la vie, la mort… à pile ou face. Il pouvait se libérer d’un mot. Mais il ne disposait que d’une seconde. S’il hésitait, il était fini. Elle le congédierait comme un domestique."
A coeur perdu, Boileau-Narcejac
Cet extrait du tandem Jeanne Moreau me rappelle, telle que joueuse guère malicieuse, quoique, à Nice chez Demy, Baie des Anges déchus remplie des "requins" du destin...
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