The Midnight Meat Train : Léon
Costards noirs contre gilets jaunes…
Il faut que je prenne ma place dans le trafic
Francis Cabrel
Avant de singer les American
Sniper (2014) pour Clint Eastwood ou de faire chanter puis pleurer Lady
Gaga selon A Star Is Born (2018), Bradley Cooper croisait donc Clive
Barker, prenait son Dernier Métro (1980), guère celui de François Truffaut, sa rame
en rime à celle du Métro de la mort (1972) de Gary Sherman, cannibalisme
souterrain compris. Plus réussi que Downrange (2017), survival du cinéaste concerné à la fois
similaire et différencié, situé en plein air, non plus sous terre, The Midnight Meat Train (2008) rappelle le David Fincher de Panic Room (2002), autre
huis clos acrobatique de résistance, autre guerre de territoire urbaine, et la
caméra prima donna d’un certain Brian De Palma, amateur notoire de
compartiments chthoniens, renvoyons vers Pulsions (1980) ou L’Impasse
(1993). Dans la scène hitchcockienne de l’hôtel, elle glisse au-dessus des
pièces, se fout des plafonds, comme à l’époque de Snake Eyes (1998) ;
durant l’affrontement presque final, en mouvement, elle traverse les vitres du
véhicule, tourne autour des duellistes mobilis
in mobile, amitiés à Nemo, le capitaine de Jules Verne, pas le poisson de
Pixar. Ryuhei Kitamura signe fissa un thriller
horrifique stylisé, où son efficacité ne verse jamais dans la vanité des
effets, où elle sert un vrai sujet, une réflexion en action(s) sur la
photographie à la Weegee. En surface, Barker, auteur-réalisateur tout sauf
réactionnaire, ici transposé par le respectueux et inventif Jeff Buhler,
curieux de découvrir sa relecture future du Simetierre (1989) de Mary
Lambert, paraît rencontrer le discours absurde des censeurs imposteurs : The Midnight
Meat Train démontre la mauvaise influence des images de violence, piège
son enquêteur improvisé, pas assez à distance, au propre et au figuré, à
l’intérieur d’un trajet terrifié, d’un aller simple pour l’enfer, direction directive
le terminus des abominations.
En profondeur, la part la moins
fréquentable de Leon se régale de sa transformation, romantique devenu
sodomite, végétarien réinventé en carnivore, écartez-moi ce bloc de soja, les
gars, artiste désargenté, pas encore exposé, aussitôt mué en Rambo du couteau, du
crochet, du maillet. Ce processus
révélateur, bienvenue au bain homonyme, ne saurait se dérouler sans douleur,
sans déchirement, sans langue in fine
arrachée, avalée, le témoin iconographique ainsi réduit à un silence définitif.
Mais impossible de faire machine arrière, de revenir en arrière, aux sexuels préliminaires,
parasités par des visions du récent passé, offerts en solution désespérée par
sa petite amie, à laquelle il offre une bague, auprès de laquelle il se garde
bien de s’engager. Désormais marqué, sur le torse, tel du bétail, in extremis recruté par le groupuscule
des catacombes, Leon remplace son modèle obsessionnel, se substitue au boucher,
enfile l’uniforme de salaryman
insoupçonnable, et le film se termine sur la boucle bouclée d’un cercle vicieux,
sur la chauve victime à venir de l’ouverture advenue. Métrage radical et
ironique, The Midnight Meat Train s’avère de surcroît un ouvrage
politique, un art poétique sur le cliché, la Cité. Quand Leon se présente
devant la directrice de la galerie, l’aristocratique, rarissime et sous-estimée
Brooke Shields, jadis immortalisée au seuil de l’adolescence par le Louis Malle
de La
Petite (1978), un film désormais impossible à financer, merci au
misérable moralisme moderne, celle-ci, sévère et juste, le congédie gentiment,
lui dit de revenir délesté du mélodrame d’un passager paupérisé, sur le point
de s’affaler sur un homme d’affaires circonspect. Si ses photos manquent de
cœur, le cœur de son amoureuse malheureuse, son amour de serveuse, battra dans
la main du bourreau, écho inconscient ou pas tant de la coda de Histoires
de cannibales (Tsui Hark, 1980), gore
allégorie drolatique sur le communisme asiatique.
Notez itou que la pauvrette se fait
éventrer aussi sec, Leslie Bibb, jolie blonde aux faux airs de Maria Bello,
juchée sur un tas de cadavres remémorant le bûcher de la valeureuse Valeria, alias Sandahl Bergman, au creux de Conan
le Barbare (John Milius, 1982). Finalement, toute cette folie, ces
disparitions en série, dans la nuit, dans les journaux, classées sans suite,
passées inaperçues dans le trafic, vive la police complice, ne servaient qu’au
maintien de l’ordre, en effet, à la survivance d’une lignée lovecraftienne,
d’un groupe de gloutons prédécesseurs, sinon successeurs, de l’humanité
immature, sorte de survivance sauvage, voire de revanche à vomir, des esclaves
de Metropolis
(Fritz Lang, 1927). Pour que la ville, de toute éternité un « trou à rat »,
dixit la point nostalgique Maya, se
maintienne, se perpétue, le rituel de l’anthropophagie doit être accompli,
servi, chaud ou froid, comme il vous plaira. Pour que les classes supérieures,
les bobos d’expo, les insomniaques et les maniaques, les mannequins et les vauriens,
continuent à respirer, une portion de la population se doit de succomber, de se
viander en quartiers de viande suspendus aux poignées relookées en esses, olé.
Bien sûr, le George A. Romero de Zombie (1978) disait déjà tout cela,
et brillamment, et salement, cependant Kitamura ne démérite pas, moins marxiste,
davantage ludique. Tandis que Leon, émule du dandy existentiel de Blow-Up (Michelangelo Antonioni,
1967), enfile son impeccable panoplie pour son nouveau poste, enfile à son
doigt sa bagouse aux allures de pentacle, la TV à l’arrière-plan nous apprend
que des émissaires de l’Union européenne viennent visiter le maire US, prendre ses transports, signer des
accords. Le marché mondialisé, on le sait, se fiche des frontières, même de
celles de la misère, demandez aux passeurs de migrants, et les habitants des tunnels
peuvent dormir sur leurs deux oreilles, ou plutôt ce qu’il en reste, toujours
des séides taciturnes, en costume, les serviront, les approvisionneront, leur
fourniront leur affreux festin nu.
Alors que le Dario Argento de Deux yeux
maléfiques (1990) s’en tenait à un portrait détourné du photographe
étasunien des années 30, à une étude clinique, opératique, de l’insanité placée
sous le signe félin d’Edgar Allan Poe, Kitamura élargit par conséquent les
dimensions de l’interprétation, filme un filigrane assurément social,
délocalisable au Japon, disons. Incarné, au sens le plus organique du terme,
par un casting collectif convaincant,
impliqué, mention spéciale au colosse Vinnie Jones, embelli par l’élégant
boulot bleuté-ambré du clipeur et directeur de la photographie Jonathan Sela, The
Midnight
Meat Train, primé à Gérardmer, sacrifié en salles, pratique un
sacrifice pas un brin tarkovskien, cartographie une géographie de la
hiérarchie, se méfie en sus du manichéisme puisqu’il autorise son redoutable
Mahogany à somatiser, à conserver ses reliques physiques au sein du musée
mélancolique de sa pharmacie mimi, à l’instar du scientifique et suicidaire Seth
Brundle de La Mouche (David Cronenberg, 1986). De la gare à l’abattoir, il
suffit d’une ligne, forcément green,
d’un film et d’un soir. Allez-y voir, osez vous y risquer au prix d’un ticket de sang souillé, afin d’effectuer
un voyage sans retour, loin de la lumière mensongère du jour.
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