L’Odyssée du sous-marin Nerka : Duel dans le Pacifique
C(h)œur coulé ? Plutôt touché…
Opus placé
sous le double signe de la tension généralisée, du suspense sonore, ce Moby Dick délocalisé du côté de
Pearl Harbor annonce davantage La Maison du diable (1963) que La
Canonnière du Yang-Tsé (1966). Exit
le romantisme martial, bienvenue à la sécheresse du récit, en rime aux Rats
du désert (1953). Si disparaît le pacifisme menaçant et extra-terrestre du Jour où la Terre s’arrêta
(1951), demeure la victoire à la Pyrrhus de Nous avons gagné ce soir
(1949). Avec un tel argument revanchard, voire révisionniste, infidèlement
adapté du roman à succès du bien nommé Beach par le scénariste Gay, signataire
du presque similaire Les Révoltés du Bounty (Milestone,
1962), Wise pouvait vite verser dans le patriotisme pompier, le manichéisme
minable. Or ses Japonais ne se réduisent jamais à des caricatures impures,
s’imposent à distance en sveltes silhouettes d’ennemis à redouter, à écouter.
Car là aussi le son s’impose, via la
« Rose de Tokyo » de la radio, sirène au bord de l’obscène, invisible
et suave Eurydice diffusant de la musique US nantie de nécrologies jolies. La
propagande se déploie sur les ondes, inonde de son défaitisme le bientôt
tombeau sous l’eau. La direction artistique du documenté Carrere, collaborateur
de Walsh (L’enfer est à lui, 1949), Hitchcock (Le crime était presque parfait,
1954), Sturges (Le Vieil Homme et le Mer, 1958), Brooks (Elmer Gantry le charlatan,
1960) ou Peckinpah (La Horde sauvage, 1969), représente un écrin totalement
masculin au sein duquel Harlan, chef opérateur majeur pour Minnelli (La
Vie passionnée de Vincent van Gogh, 1956), Curtiz (Bagarres au King Créole,
1958), Hawks (Rio Bravo, 1959) ou Mulligan (Du silence et des ombres,
1962), éclaire en clair-obscur le drame insubmersible.
Ancien monteur lui-même, Wise cède la
supervision de l’assemblage à Boemler, partenaire de Thorpe, LeRoy ou Sidney,
réveillé par Quand la ville dort (Huston, 1950) et déjà à l’ouvrage sur son Cette
nuit ou jamais (1957), tandis que Lancaster co-produit, à peine sorti
du somptueux Le Grand Chantage (Mackendrick, 1957). On le disait, le sound design s’avère ici essentiel, dès lors le sonar s’insinue jusque dans le thème principal de Waxman. Pour
insuffler de la crédibilité à ses bassins sereins, à ses maquettes au carré, à
ses transparences proprettes, tressés à des plans du bâtiment en plein air, en
pleine mer, Wise recourt à l’oreille, à l’émotion due à l’audition. La tactique
adoptée, dénommée silent running, salut à Trumbull, à son
déserteur spatial esseulé, escorté de ses plantes vertes (Silent Running, 1972),
constitue justement un exercice de silence, explicité par l’intitulé original, Run
Silent, Run Deep. La meilleure séquence du film se situe vers la fin,
acmé acoustique amplifiant follement le moindre toussotement. Auparavant, le
lancement soyeux des torpilles réjouit le spectateur casqué, comme la voix off féminine précitée. Dans Le
Bateau
(1981), Petersen s’appesantira sur un portrait de groupe, en mode paranoïaque,
claustrophobique, œcuménique. Wise effleure l’équipage, filme en frontalité,
parfois en contre-plongée, se focalise sur la rivalité du commandant et de son
second. Bloc de colère peu à peu solidaire, Lancaster donne la réplique et coupe
la chique à un Gable fatigué, commotionné, incapable de survivre à la coda,
rendu aux flots enroulé dans son drapeau. L’acteur, on le sait, décédera peu
après le difficile tournage des Désaxés (Huston, 1962), sa persona crépusculaire déteint sur le Nautilus
malsain, le transforme quasiment en Charon du Styx, titre français du bouquin
qui inspira Petersen, CQFD de boucle bouclée.
Le mystère des pertes maritimes et
militaires en série s’explique durant les dernières minutes : en sus du destroyer en surface, un sous-marin
malin trucidait les marins, présence audio ésotérique, réflexive, trop
familière pour être vite identifiée. Sinon, L’Odyssée du sous-marin Nerka
(1958) comporte en outre une pin-up
porte-bonheur, postérieur à tapoter, une épouse subliminale en tenue de
jardinage, un jeunot blondinet adepte du chiffre neuf, sous peu écrasé à
domicile par l’un des « tubes », des sacs poubelle pas perdus pour
tout le monde et bien sûr le concours des autorités concernées, remerciées. Il
semble que Gable & Lancaster ne s’entendirent guère, l’ex-Rhett Butler
fringant de Autant en emporte le vent (Fleming, 1939) ne cédant le
commandement que mis KO par une
trouvaille du scénario. Sans atteindre les cimes des années 60, citons West
Side Story (1960), The Haunting (1963), La
Mélodie du bonheur (1965), The Sand Peebles (1966), tant pis
pour l’impasse de Star! (1968), ni celles de la décennie 70, par exemple Le
Mystère Andromède (1971), L’Odyssée du Hindenburg (1975), Audrey
Rose (1977), accessit à Star
Trek, le film (1979), accessoirement autre histoire de conflit
hiérarchique, le métrage se garde de boire la tasse, ne sombre point dans les
abysses du rien. Wise suit deux individualistes et leur dialectique avec le
collectif, il intéresse avec des esquisses béhavioristes, il cadre au
millimètre, parmi un espace confiné dont l’artificialité de studio évite
l’écueil du factice, du trémolo. À défaut du lyrisme homoérotique de Melville,
Herman, pas Jean-Pierre, de l’insanité métaphysique d’Achab, son Richardson
peut-être atteint de Parkinson émeut en mineur. Ouvrez le « capot »
et risquez-vous donc à cette vivante chronique d’une mort annoncée.
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