Panic Beats : Les Nouveaux Monstres


Héritage d’outrages, modernité des antiquités…


Ouverture valeureuse : guère servant, un chevalier à cheval châtie son épouse à poil, femme infidèle, suppliante, chassée puis massacrée en forêt, à la nuit tombée, en travellings latéraux et POV casqué, au sein du bleu presque Klein typique de l’imagerie horrifique des années 80 – disons donc que Horror Rises from the Tomb (1973), premier volet des mésaventures d’Alaric de Marnac, rencontre En quatrième vitesse (Robert Aldrich, 1955), idem débuté par la course nocturne d’une traquée peu couverte. Ensuite, Paul Naschy, redevenu Jacinto Molina, adresse un clin d’œil de question à Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940), à sa gardienne de maison à frissons, tandis que la mariée alitée, bientôt macchabée, lit le bouquin d’un certain Fischer, tel Terence. Enfin, Panic Beats (1983), titre explicite, retravaille l’intrigue cardiaque et méta des Diaboliques (Henri-Georges Clouzot, 1955), double baignoire tombale et lentilles oculaires immaculées incluses, avant que la coda ne réinstalle le fantastique ibérique, ne valide les légendes de l’enfance, en boucle bouclée de chapelle profanée, de morale a priori misogyne. Nous voici bel et bien en Espagne, même délocalisée du côté de Paris, de Pérouse, de Toulouse. Nous voici en compagnie de Machiavel résiduels, d’un nid de vipères au grand air, d’un panier de crabes modérément remarquable. Spécialiste stakhanoviste de l’épouvante hispanique, Naschy interprète aussi, filme en champs-contrechamps épuisants, en zooms zen, en plans de situation à répétition, il filme sans beaucoup d’argent mais doté de deux ou trois idées, il parvient à créer ce que des tas de dollars ne sauraient pouvoir acquérir, un climat. Cette maison de cinglé(e)s, dirigée par des aliéné(e)s, nous la reconnaissons, au moins depuis Poe & Franco, nous y respirons à notre façon, en Europe dépressive, nous savons que le seul moyen d’en sortir revient à y mourir.


Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé affirmait l’hermétique Sergio Martino en 1972, selon son giallo apparemment inspiré par le propriétaire du Chat noir. Paulo/Jacinto nous verrouille dans son huis clos un brin gothique, drolatique et cynique, curieusement émouvant, il donne un tour d’écrou à la malédiction à la con, aux fictions en reflet. Dans Panic Beats, le cœur d’une victime richissime s’affole et l’adultère côtoie le mystère, et les mises en scène s’amoncellent, toutes tendues vers les cadavres à venir, qui reviennent, qui se délestent en direct, geste brechtien, de leurs farces et attrapes sinistres, intéressées, intéressantes. Si le Mario Bava de La Baie sanglante (1971), pratiquait l’extermination écologique sur fond de fric, Naschy rédime in extremis ses monstres familiers, conscients d’eux-mêmes, parfois amoureux par nécessité, malgré tous leurs péchés, de chair et de sang. Bien servi par l’évocatrice direction de la photographie de Julio Burgos, par un casting convaincant, généreux, jamais réduit à une galerie de faire-valoir du vaniteux acteur/réalisateur/scénariste, citons par ordre d’apparition la méconnue Carole Kirkham, holocauste athlétique, la co-productrice Julia Saly, collaboratrice régulière de Naschy, en vrai-fausse doublure blonde de la brune Véra Clouzot, la vétérane Lola Gaos, croisée chez Luis Buñuel à l’époque de Viridiana (1961) ou Tristana (1970), la juvénile Frances Ondiviel, aux dix-huit ans incandescents, l’éphémère Silvia Miró, maîtresse mature achevée à coup de hache, Panic Beats réjouit en mineur, réunit durant une heure et demie des meilleurs ennemis, des mensonges en série, surplombés par la silhouette suspecte d’un Maurice à faire vomir le joli et poli James Ivory, puisque drogué de dos, puisque épris du poster central de Playboy.


Ici, on roule en Citroën et R5, on se fait dépouiller par des pauvres déguisés, à la solde du seigneur ulcéré par son passé d’époux humilié, désargenté, scène héroïco-comique, on séduit la nièce incestueuse, instable, peut-être parricide, assurément ex-prostituée, on verse un somnifère lacté chipé à Soupçons (Hitchcock, 1941), on se sert de serpent bibliques, point catholiques, on brûle à la cigarette les yeux du rival sur papier journal, on hésite en voix off à étrangler le corps classé sans style et sans classe de la belle endormie au pubis apparent, plaisant, pudique, on confesse à la mère par procuration, au courant, la noirceur de son âme, on lui fait illico dévaler l’escalier, on la termine à main nue, on pleure des larmes théâtrales, on se délecte en robe de deuil, on découvre un pommeau de douche pissant du sang, on périt sous le regard impassible d’une petite madone à domicile. Avec sa saveur seventiesLatidos de pánico démont(r)e à sa mesure Le Charme discret de la bourgeoisie (Buñuel, 1972), à savoir ses manigances, ses meurtres, ses assassinats, sa lâcheté, son irréalité, sa rapacité, son romantisme factice, touristique, sa sauvagerie à peine dissimulée sous un vernis social, hivernal. Et pour le pessimiste, sinon lucide, Paul Naschy, le populaire ne possède rien de salutaire, prompt à répéter les perversités de son voisin du dessus. Le cinéaste saisit-il des salauds, s’amuse-t-il à leurs dépens, sorte de Claude Chabrol espagnol ? Oui et non, car il procure à ses pantins mesquins ou trop tendres une véritable humanité, celle de l’irrésistible désir, de jouir, de nuire, de s’enrichir, dépourvu de la moindre merci, celle de la scélératesse associée à la noblesse, de rang, de sentiment, celle du surnaturel historique, sarcastique, visage relooké de la culpabilité. Un film de et pour rien ? Un film, au final, assez sadien.

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