The Blade : Ringo Lam, in memoriam
Les armes, les larmes, l’âme de Lam…
Survenue in extremis en décembre, apprise au présent par votre serviteur, la
mort de Ringo Lam (1955-2018) se reçoit en surface et symbole, dirait le Oscar
Wilde de la préface du Portrait de Dorian Gray. En effet,
outre terminer, autour de la soixantaine, une vie individuelle, elle met un
terme à une filmographie, à une cinéphilie, c’est-à-dire à un écho collectif.
Avec la disparition du cinéaste disparaît une part du cinéma de HK, de sa
réception en Occident, au tournant des années 80-90. Jackie Chan, Stephen Chow,
Tsui Hark, Sammo Hung, Wong Jing, Wong Kar-wai, Johnnie To, John Woo, Corey
Yuen, chacun à sa (dé)mesure, contribuèrent à établir un imaginaire, mirent en
images sa magie, en sa compagnie. Vingt-cinq films en trente-trois ans, cela
vous semble suffisant ? Ceci ne satisfit l’intéressé, retiré des écrans
contre sa volonté, de son plein gré, disons depuis une décennie, le segment de Triangle
(2007, co-dirigé par Hark & To) placé entre Looking for Mr. Perfect
(2003) et Wild City (2015) + Sky on Fire (2016). Que fit Lam
durant ce hiatus, hors profiter de sa
famille, cf. ses confidences ? Se découvrit-il puis soigna-t-il un cancer, dette
de cigarette, ses dernières photographies le révélant vieilli, amaigri,
affaibli ? En fait, on se fiche de le savoir, on cède le diagnostic aux
médecins mandarins, aux amateurs d’anecdotes nécrophiles. Comme le formulait à
peu près le Johnny Smith de Dead Zone (David Cronenberg,
1983), en serrant la main d’un séide, nous allons tous mourir, toi, moi, quelle
importance de connaître le quand, le comment. Si la tristesse des proches du réalisateur
se doit d’être respectée, en silence, à distance, la rédaction de l’admiration pâtirait
du pathétique, des larmes pour Lam. En sus il ne saurait s’agir ici de se
nourrir du pain rassis de la nostalgie, ni de se spécialiser au sein de la
rubrique des endeuillés, surtout selon le sillage de quelques mots à propos du
récent trépas de Raymond Chow.
N’importe quel spectateur doté d’un
cœur, d’un cerveau, sait bien que les salles, les domiciles, les transports
abritent des spectres sur tous les supports, que le ciné, en vérité, sent le
sapin, en Asie ou point. Il sait de surcroît que ces fantômes-là, devant ou derrière
la caméra, ne meurent pas, pas tout à fait, ne s’abolissent qu’ensevelis sous
l’oubli. Je l’écrivais au cours de ma déclaration d’amour au Temple
du lotus rouge (1994), le corpus
lamesque demeure largement à redécouvrir, à réexplorer, irréductible à la série
à succès des City, Prison
et School
on Fire (1987-1988). Au-delà des Van Damme (Full Contact, 1993 ;
Risque
maximum, 1996 ; Replicant, 2001 ; In
Hell, 2003), à côté du diptyque porté par Lau Ching-wan (Full
Alert, 1997 ; The Victim, 1999), à proximité du méconnu
Point de non-retour (1991), des titres intriguent, séduisent déjà, aura crépusculaire, pour ainsi dire post-mortem, pensons à Rien
ne sert de mourir (1986), justement, à Guerres de l’ombre
(1990), à The Adventurers (1995). Comédien éphémère, formé au Canada, débutant
pragmatique, auteur reconnu mais déçu par l’industrie, son cynisme, son
infantilisme, ses clarifications à la con, a
fortiori sur le final de The Victim, Ringo Lam, honoré à
l’étranger, en Amérique, à New York, entretenait un amour amer avec sa cité de
naissance, de violence, de quintessence de l’action orientale. Artiste
politique et presque prolifique, il nous laisse sans nous délaisser, nous
incite à parcourir son CV par procuration, ses meilleures métrages tels des
miroirs de colère, des appels d’air, des traversées enténébrées ponctuées de
fières lumières. Et ce cinéma chinois ne décède pas, pas encore, je renvoie
vers Une
pluie sans fin (Dong Yue, 2017), qui se déroule à l’époque de la
Rétrocession, deux décades plus tôt, donc contemporain rétrospectif de Full
Alert, boucle bouclée au nez des années écoulées, CQFD de
l’espace-temps quantique du ciné.
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