La Fille de tes rêves : Laissez-passer
UFA ? Fallait pas…
À double sens, le titre original
explicite l’enjeu du jeu sérieux : la
prunelle de tes yeux implique un bien précieux, amoureux, une manière de
voir mieux. En mode méta, Fernando Trueba s’inspire plus ou moins du CV d’Imperio
Argentina et semble relire le Ernst Lubitsch de To Be or Not to Be (1942).
En réalité, sa satire assez soignée – Javier Aguirresarobe éclaira Les
Autres (Alejandro Amenábar, 2001), Parle avec elle (Pedro Almodóvar,
2002), La Route (John Hillcoat, 2004), Warm Bodies (Jonathan
Levine, 2013) – ne se hisse jamais au-dessus du niveau falot d’un téléfilm de
luxe poussif, poussiéreux. Malgré la présence du scénariste Rafael Azcona,
collaborateur régulier de Marco Ferreri & Carlos Saura, citons les
réussites sarcastiques de La Petite Voiture (1960), Peppermint
frappé (1967), Anna et les Loups (1973), Touche
pas la femme blanche ! (1974), du compositeur Antoine Duhamel,
partenaire poétique privilégié de Jean-Daniel Pollet (Méditerranée, 1963),
Jean-Luc Godard (Pierrot le Fou, 1965), François Truffaut (La Sirène du Mississippi,
1969), Bertrand Tavernier (La Mort en direct, 1979), tandem déjà à l’ouvrage sur Belle
Époque (1992), carte de visite oscarisée du réalisateur, la beauté ni le
lyrisme ne se manifestent, hélas. Quant au caméo de Hanna Schygulla en épouse
jalouse du bon docteur Goebbels, lui-même caricaturé en obsédé, il ne saurait certes
suffire à faire de La Fille de tes rêves (1998) un reflet hispanophone de Lili
Marleen (Rainer Werner Fassbinder, 1981). Comédie noire cousue de fil
blanc, in extremis conclue en
mélodrame historique d’évasion, d’aviation, coda à la Casablanca (Michael
Curtiz, 1942) incluse, La niña de tus ojos s’étire durant deux heures, se situe dans le sillage doux-amer de L’As
des as (Gérard Oury, 1982), de Papy fait de la résistance
(Jean-Marie Poiré, 1983), divertissements assurément inoffensifs, gentiment
révisionnistes, eux-mêmes ersatz pasteurisés, à succès, des inspirants Dieux
du stade (Leni Riefenstahl, 1938) et L’Armée des ombres
(Jean-Pierre Melville, 1969).
Avec son Berlin aryen, guère serein,
plutôt nocturne-cristallin, transporté du côté de Prague, où le directeur
artistique Jan Zeman bossa aussi sur Mission impossible (1996) de Brian
De Palma, sa razzia sympa de Goya, dont un prix d’interprétation à l’irréprochable
Penélope Cruz, vraie-fausse Andalouse « d’espagnolade » chorégraphiée
par sa sœur Mónica, doublée à la voix par Arabia Martin, son manichéisme
scolaire, rassurant, le métrage d’un autre âge, dû à l’auteur de Two
Much
(1995), ratage total, sentimental, commis après le dispensable Jumeau
(1984) d’Yves Robert, tant pis pour les chères Melanie Griffith & Daryl
Hannah, connut en 2016 une
suite a priori ad hoc, base de
bande-annonce, baptisée La Reine d’Espagne, un clone de John Ford cette fois-ci
substitué à l’avatar de Fritz Lang. Pourtant, essayons d’être indulgent, il
s’apprécie par sa modestie ; sa distribution à l’unisson, juste ensemble
choral presque à la Robert Altman ; sa connaissance du contexte des
doubles versions tournées en simultané, en réunion ; sa mélancolie sexuelle,
d’étreintes lactées, à proximité du propagandiste assommé, d’adieux pétris de
justice, de sacrifice ; ses timides accès d’humour noirissime, pensons aux
prisonniers de camp de concentration fissa recyclés en figurants basanés,
affamés, au sort sadique, ironique, réservé au fasciste falsificateur et
fornicateur, de préférence de femme d’ambassadeur hispanique prise par derrière,
devant une table de billard idoine, queue et boules, olé ! ; par son
générique drolatique aux archives habiles, au franquisme fatal. Le dualisme
Nord/Sud, mélange d’attraction et de répulsion, remémore de surcroît le bien
meilleur Pain et Chocolat (Franco Brusati, 1974), sorte de rime sudiste
sur l’exil et ses désillusions. Doté de tout cela, Fernando Trueba pouvait
diriger une fable affable sur le dessillement, l’engagement, l’urgence de
lâcher prise, de ne pas refaire la prise – il se contente de concocter un plat réchauffé,
frisant l’insipide, telles les lentilles teutonnes peu appréciées par les
papilles ibériques, salées par l’insanité nazie, quelle idée, les amis, d’aller
se restaurer dans le quartier juif…
La Fille de tes rêves, tout sauf film rêvé, demeure donc
un film à rêver, un filigrane à lire entre les lignes, entre les plans, au-delà
du classicisme stérile et du récit joli. Le cinéaste use à plusieurs reprises
de la fermeture à l’iris, file la métaphore programmatique, thématique. Libre
au spectateur d’y lire l’aveu d’un échec, la matérialisation d’une réponse
caduque à la Eyes Wide Shut (Stanley Kubrick, 1999) ou de garder les siens
ouverts, de jeter un œil distrait, désengagé, à cette épopée trop propre sur
elle, casée au creux d’un art et d’une époque par expérience et par
réminiscence très cruels.
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