Le Secret des Marrowbone : Le Château de ma mère
Moelle d’âme, forteresse de Bettelheim ou Michael Mann, ligne à franchir,
à écrire.
Un territoire, un manoir, un
miroir : nous voici de retour au pays des souvenirs, dirait Mickiewicz, et
bien sûr de la cinéphilie, en particulier espagnole. Le triple secret du film,
mère mobile, malade, morte, père truand, incestueux, assassin, survivant à
personnalités multiples, n’importe quel spectateur des Autres et de L’Orphelinat
le connaît, le reconnaît. Nulle surprise puisque le scénariste du second,
Sergio G. Sánchez, rédige et
réalise Le Secret des Marrowbone, que produit d’ailleurs Juan Antonio Bayona,
que met en musique Fernando Velázquez, que monte Elena Ruiz, tous les trois
déjà au côté de la belle Belén Rueda, autre mère malheureuse à progéniture de
sépulture. Rien de neuf en matière de fantômes, de famille, de présent
empoisonné par le passé, de culpabilité partagée à conjurer, à évacuer ?
Oui et non, car le mélodrame, terreau de l’horreur, on ne cessera de le
répéter, se transforme finalement en histoire d’amour, celle entre Allie &
Jack, Jack & Jill presque sur la colline de Peggy Lee, pardon, de Brian
Wilson. « On ne vit pas dans un tombeau » affirme Jane, la sœur
abusée, la maman de remplacement. Toutefois ce titre endeuillé, soigné,
constamment séduisant et parfois poignant, ne quitte pas la maison maudite, à
la fois refuge et piège. Littéralement, tout se passe ici, à part un bref
épisode à la bibliothèque, différent et similaire cimetière, où les livres attendent
que des lecteurs viennent les ranimer, les ressusciter. Et Allie, au terme du
voyage mental et sentimental, décide de s’y installer, malgré les
avertissements du soignant, son bon sens d’ordonnance. Une nouvelle poupée, une
compagne après l’épreuve et une photographie solaire, d’anniversaire, encadrée
en cadeau, sur laquelle vient se superposer le beau sourire du fils devenu
homme, témoin meurtrier ou délateur parricide, suivant la perspective,
cependant innocent, peut-être en rémission grâce à la propre résilience d’Allie,
sa lune à lui.
Dans Le Secret des Marrowbone,
on ne gémit pas, on se bat, on essaie de s’en sortir, quitte à ne pas sortir de
la demeure qui accueille son vrai sauveur, de sexe féminin, boucle bouclée avec
l’arrivée maternelle. La valeur de l’ouvrage réside dans cette capacité assumée
de thérapie, le fantastique conçu en traversée des ténèbres vers la lumière, en
trauma démoli, concrètement, dont il
convient de se défaire afin de respirer un peu d’air. Classique, psychologique,
psychanalytique, œdipien en plein, l’opus
pourtant plaisant bénéficie d’un faisceau de talents, citons les noms du
directeur de la photographie Xavi Giménez (La Secte sans nom, The
Machinist, Abandonnée ou Agora), du décorateur Patrick
Salvador et de Jaime Anduiza à la direction artistique. Mais, surtout,
énumérons ceux de la distribution, anglo-saxonne et remarquable, je vous
présente Mia Goth, Nicola Harrison, Anya Taylor-Joy, Tom Fisher, Charlie Heaton,
George MacKay, Kyle Soller et le petit Matthew Stagg. Le Secret des Marrowbone
leur doit beaucoup, sinon tout. Il mérite en outre sa découverte pour son
rythme (à contre-courant) et ses rimes (tache au plafond, larme d’album, spectres diurnes, communication
nocturne par morse), pour sa baignoire de fugue psychogénique chipée à Femme
fatale, pour sa plage impressionniste et paradisiaque empruntée à La
Fille de Ryan. L’amnésie n’existe pas et l’oubli abolit tout sauf
l’essentiel ; Allie, consciente et clémente, réveille Jack et le ramène
vers la vie, au prix de la mélancolie, de la schizophrénie. Elle parie sur
l’avenir, sur eux deux, elle ne craint pas les présences autrefois obsédantes,
elle « attend leur retour à l’intérieur », débarrassée de la peur,
confiante dans ses puissances. Le vrai secret de l’item se tient en elle, femme plurielle, jeune et vieille,
amoureuse, amante, amie, mère, infirmière et survivante soutenant un homme
détruit, reconstruit, emmuré, libéré, taiseux, radieux. Un grand film ? Un
film pour grandir, guérir, repartir à partir du pire.
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