Approaching the Unknown : Mission to Mars
Neuf mois de réflexion ? Disons un désir d’aliénation.
L’une des postulantes au peuplement
parle de solitude et de mélancolie : les deux états caractérisent Approaching the Unknown (2016) qui, à défaut d’approcher l’inconnu, parvient à
faire éprouver un vécu, en l’occurrence celui du capitaine Stanaforth, premier
colon supposé atteindre la planète rouge au bout de 270 jours. Il communique
avec son pote au surnom de maigrichon, incarné en vidéo par le frérot d’Owen
Wilson, il croise un tandem dépressif
de station spatiale sépulcrale où se ravitailler, il s’adresse à sa suiveuse dormeuse
mais, surtout, il tient en voix off son
journal de bord, son journal intime. L’intimité en question ne signifie plus
l’étalage d’enfantillages autobiographiques, égocentriques, à l’instar du
babillage « accablant » d’écrivains réunis à la remise du prix
Melville à son ex-épouse, elle
désigne désormais une relation singulière au cosmos, liée à une expérience
presque christique au désert, quand le scientifique essaie in situ le réacteur transformant la terre en eau. Le cobaye, à bout
de forces, s’effondra, s’enroula dans le sable, aima la sensation de mourir –
puis se releva, se désaltéra, s’équipa chez les professionnels de Houston. Le
voyageur veut être « déchiré par l’espace », assommé par l’immensité
du silence pas même troublé par des flashes
d’éruption solaire. Sa machine hors-service, dépourvue de malice, sa collègue de travail rapatriée au bercail, pour cause de gyroscope en panne, son écran recouvert
d’un morceau de tissu aux allures de linceul, sinon de suaire, l’astronaute
refuse de faire demi-tour, poursuit sa route au risque de mal calculer son
point de chute, de finir à la dérive et définitivement déshydraté. Autour de
son vaisseau fantôme (un salut au James Mason de Pandora) vite
empoussiéré, négligé, déglingué, à son image, en écho au loft-labo des jumeaux gynécos de Cronenberg (Faux-semblants, 1988),
autre amateur notoire de tristesse solipsiste, la galaxie déploie sa poésie
abstraite, plus proche de Stan Brakhage (Stellar, 1993) que de Stanley
Kubrick (2001, l’Odyssée de l’espace, 1968).
Les cadres carrés, précis, traduisent
l’exiguïté, provoquent la claustrophobie. Exit,
l’altérité monstrueuse d’un Ridley Scott (Alien, 1979), bienvenue à l’ennemi
intérieur, le désespoir, enraciné partout, nourri de routine sportive, de temps
à perdre, d’erreurs à commettre. Dans Silent Running (Trumbull, 1972), un
écologiste assassinait ses co-équipiers afin de sauvegarder sa forêt
artificielle ; ici, les plantes périssent et la surface martienne, enfin
atteinte après le passage d’une tempête céleste, en apesanteur, au ralenti, ne comporte
bien sûr aucune verdure. À l’écart de ses semblables, isolé dès le début,
traversée dos tourné du QG au steadicam sollicité
par Sundance, Stanaforth s’exile sans regrets, sans retour, il trouve au terme
de son périple un vide en rime avec le sien, nudité de CV, d’intériorité,
ironiquement matérialisée par son crâne glabre. Vouloir voir une merveille
équivaut à faire cavalier seul, à se redresser en bonne santé in extremis retrouvée, rasé de près.
L’aridité, surcadrée à contre-jour en souvenir de la coda iconique de La
Prisonnière du désert (Ford, 1956), ouvre le huis clos point falot sur
une sorte d’éternité impossible, peut-être purement mentale. Rien ne vit, rien
ne meurt sur Mars, à part, probabilité, le capitaine positionné sur un petit
promontoire, contre l’horizon dénudé, vaguement montagneux. Nulle surprise si
l’on pense à la picturalité romantique de Caspar David Friedrich (Le
Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818), usitée aussi par Edgar
Reitz selon Heimat (2013), puisque
l’explorateur, pour s’endormir, se passait, à portée de main, le son d’un
orage. Le paysage, arrimage du naufrage, élargit en cimetière privé d’air le
cercueil en suspension, en rotation. Les hommes et les femmes peuvent bien
s’envoler pour l’invisible, ils emportent toujours avec eux leur fragilité,
leur mortalité, leur capacité à s’émerveiller, à danser, à réparer, à se cogner
la tête contre les murs, littéralement, bagages innés, évolutifs, d’une
humanité maîtrisant sa technologie jusqu’à l’entropie, jusqu’à la rencontre
avec un rêve in fine funèbre.
Habité par l’interprétation habitée
de Mark Strong, vu dans Les Chemins de la liberté (Weir,
2010), bien servi par la partition élégiaque de Paul Damian Hogan, le production design évocateur de Steven
Brower et le sound design immersif de
Claire Bell la bien nommée, le premier long métrage de Mark Elijah Rosenberg
mérite sa découverte, même si moins inspiré/inspirant que le Capsule
du Britannique Andrew Martin (2015), loué par qui vous savez. Car le cinéma,
art funéraire, art imaginaire, s’accommode mécaniquement, modestement,
majestueusement, de pareille harmonique, aventure à la fois idéale et
déceptive, naïve et lucide, tressée à la poussière des étoiles et à celle de
nos funérailles.
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